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Entre CRS beckettiens et brillant procès du théâtre, Garraud-Saccomano nous régalent

“La beauté du geste” est la première création du couple Garraud-Saccomano depuis leur arrivée à Montpellier. Pièce sur l’homme-CRS suivie du procès de la même pièce : une “farce” à contre-emploi pour les nouveaux locataires du Centre dramatique national. Jusqu’au 18 octobre.

 

 

On dit souvent que gérer un CDN est un risque pour les artistes. Véritables usines à gaz , l’institution est dévorante. Nathalie Garraud et Olivier Saccomano paraissent, eux, s’y bonifier. Leur troupe aussi.
On prend place dans un dispositif bi-frontal sur la scène des 13 Vents : le public est coupé en deux de part et d’autre par une bande scénique dans une représentation réversible. Les acteurs vont faire face de manière alternée aux uns et aux autres. C’est une petite jauge : 150 personnes. Une petite forme qui s’impose sous la signature des Garraud/Saccomano ayant choisi le proche et l’expérimental plutôt que le faste des représentations face aux fauteuils rouges.

CRS : idiots utiles

On retrouve les 5 CRS découverts en 2017 à La Vignette. C’était la première fois que le public montpelliérain découvrait les deux futurs patrons du CDN. A l’époque, la proposition avait été diversement accueillie. Elle paraissait signer un théâtre d’engagement, de gauche pour le dire vite. On entendait dire qu’un théâtre lénifiant, d’indignation vertueuse avait les clef du domaine de Grammont.

Dans cette nouvelle formule, ils prennent tout le monde à contre-pied. D’abord, leurs CRS ont des états d’âme. Si la pièce a été conçue en plein état d’urgence (“le premier depuis la guerre d’Algérie”), elle précède les Gilets jaunes. Revue à la lueur de la coriace révolte française, elle rend leur propos encore plus iconoclaste. “La beauté du geste” pense à contre-courant : malgré leurs casques, leurs combinaisons noires de robocop, les forces de l’ordre font de la peine. On les entend souffler, gémir, on voit la sueur perler. Après les combats à mains nus de l’entraînement, c’est la restitution de la longue attente devant les émeutiers. “On écoute et on se montre comme à l’opéra. On fait les vaches, on respecte les rêves des gens, on ne juge pas, on laisse monter la plainte“. Les mains dans le dos, les honnies compagnies républicaines de sécurité sont les marionnettes spectrales, les idiots utiles d’un commandement de l’absurde (“Et s’il n’y avait personne au bout de la chaîne ?”). C’est mutique et dense comme du Beckett. Une jambe de femme s’échappe de l’uniforme, tente une valse. Ambiance trans et bas résille dans la caserne. Osé.

Un procès hilarant du théâtre

A la première partie qui se joue dans l’obscurité succède une seconde séquence très enlevée -et dans la lumière- où sont jugés tous les protagonistes : acteurs et spectateurs. Un concepteur de jeu vidéo bio , la mère d’un acteur, un spectateur bègue, la productrice du spectacle, un policier des Renseignements généraux. Pièce insidieuse, message douteux, affaire d’état : c’est un procès du théâtre qui suggère à Olivier Saccomano, à l’écriture, quelques morceaux de bravoure. Un peu débordé par sa propre éloquence : cela dure plus de 2 heures et demi. Sa langue, brillante, érudite, a des accents classiques, tout en élaborant une critique radicale du monde et à la fois chatoyante et enrichie de tous les jeux d’illusions shakespeariens. Jetant le trouble sur les apparences, il revient sur l’étiquette de populo-gauchisme qu’il s’emploie à décoller de son front.

Formidable réflexion sur le théâtre qui emprunte à tous les genres, frôlant le boulevard… Et s’offre une incursion vers le cinéma avec un Godard aux sentences génialement fumeuses qui dynamitent le plateau. Et surtout, cette surprise : “La beauté du geste” est drôle ! Exploitant un registre humoristique tout à fait inédit dans leur répertoire, Nathalie Garraud à la direction d’acteurs obtient beaucoup de ses acteurs qui nous régalent. Presque un peu en surrégime dans la fébrilité et l’enthousiasme de cette première du 3 octobre. Une nouvelle saison qui commence très bien.

 

Photos : Jean-Louis Fernandez

www.13vents.fr

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