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Fatou Sy : « Le confinement arrive encore… »

Série LOKKO « LA VIE AU TEMPS DU COVID-19 »

Dramaturge ivoirienne, dont deux de ses œuvres ont été découvertes au festival littéraire et théâtral montpelliérain Texte En Cours, Fatou Sy met en parallèle le confinement qu’elle a vécu à Abidjan, durant la crise politique de 2010-2011, et le confinement actuel pour se protéger du Covid19.

Le confinement arrive encore. Bientôt il frappera à notre porte. Il ne nous a pas oublié tout comme nous en 2011…

La violence qui arrive

2011, l’année de la guerre. On en sentait le souffle. Les palabres politiques allaient bientôt se transformer en Kalachnikov. On sentait que l’heure était grave mais se prépare-t-on vraiment à la guerre ? Nous étions à peine couchés que les militaires débarquèrent dans la capitale.

Le confinement arrive encore mais peut être qu’à la différence du précédent, il est un luxe.

2011, les balles perdues, l’instinct de survie

Au précédent, nous n’avions pas eu le temps de faire des provisions. Nous n’attendions aucune mesure gouvernementale devant nous dicter notre conduite. L’instinct de survie nous appris que nous devions rester chez nous, accroupis souvent quand les tirs se faisaient trop proches car les balles perdues guettaient chacun de nous même dans notre sommeil. Nous savions que d’une minute à l’autre, un bombardement pouvait faire de nous des dommages collatéraux. Nous avons peut-être plus de chance avec ce confinement de nous en sortir. Il suffit de ne pas sortir. Aussi difficile que ça.

Le confinement arrive encore mais, peut-être qu’à la différence du précédent, nous ne serons pas obligés de sortir, malgré le danger, pour chercher des vivres les mains en l’air ou avec un drapeau blanc pour signaler que nous sommes innocents. Pour signaler que nous ne voulons que du pain, puiser de l’eau ou des médicaments. Pour signaler que nous voulons vivre.

2011, l’odeur des cadavres et de la chair calcinée

Le confinement arrive mais, peut-être qu’à la différence du précédent, les rues ne pueront pas l’odeur du cadavre et de la chair calcinée. Les magasins ne seront pas vandalisés. La joie de vivre reviendra rapidement et nous reprendrons nos vies sans cauchemars nocturnes permanents. Comme quoi après la guerre, c’est encore la guerre pour oublier…

2020, comprendre que nous ne maîtrisons toujours pas notre vie ?

Le confinement arrive encore mais, peut-être qu’à la différence du précédent, nous comprendrons mieux que nous ne sommes pas si puissants et que nous ne maîtrisons pas notre vie. Nous devons restez chez nous. Enfermés à répéter les mêmes choses encore et encore sans pouvoir s’aérer comme on le souhaiterait. Comme quoi c’est un luxe que de pouvoir sortir de chez soi en toute « liberté ». Nous l’apprendrons encore une fois.

Vivre, aimer et pardonner face à la mort, en Afrique comme ailleurs

Le confinement arrive encore mais, peut-être qu’à la différence du précédent, nous serons plus aptes à nous comprendre, à nous aimer, à nous pardonner, à nous soutenir. A la différence du précédent, il ne concerne pas une petite ville d’Afrique insignifiante aux yeux du monde des puissants.

Le confinement arrive encore mais, peut-être qu’à la différence du précédent, il nous apprendra cette réalité que nous nions encore: Peu importe qui nous sommes, d’où nous venons, ce que nous faisons, face à la mort, nous sommes tous égaux. Et nous sommes déjà morts, le jour de notre naissance.

Fatou Sy, dramaturge, Abidjan-Côte d’Ivoire

 

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