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« Au Cameroun, le Covid est peu présent mais la peur est là »

“Sa majesté” Mvom Abolo Emmanuel, chef traditionnel du canton Bikelé-Sud, à l’est du Cameroun (ci-dessus devant la case d’un village pygmée) supervise un ensemble de 20 villages.  Dans une région du pays où le Covid est peu présent et où une bonne partie de la population est peu instruite, les chefs de village tentent comme ils le peuvent de mettre en place des mesures de distanciation sociale. Par Corinne Hyafil.

 

« Chez nous, au Cameroun, au départ la population a eu peur, le ministère de la Santé donnait les chiffres de contaminés, le nombre de décès et le nombre de guéris. Comme les chiffres allaient croissant, les populations qui vivent en zone urbaine et donc qui ont la la radio et parfois la télévision étaient informés et prenaient peur.

Les frontières sont fermées

Le 17 mars, le gouvernement a fermé les frontières et les gens qui arrivaient restaient en quarantaine. Les cas positifs étaient emmenés directement à l’hôpital. Il y avait des morts, il y avait des guéris. Avec seulement 2954 cas, 139 morts et 1555 guéris, le gouvernement se bat comme il peut mais le plateau technique au Cameroun n’est pas assez fourni. Il n’y a pas assez d’infrastructures sanitaires.

Il faut dire que par rapport à l’Europe et à l’Amérique, il n’y a pas beaucoup de morts ici ! Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que le noir est plus résistant à certaines pathologies ? Peut-être parce que la population est très jeune ? Photo prise en novembre 2018, lors de l’intronisation de Mvom Abolo Emmanuel.

On ne peut pas être enfermé quand on a faim

Les gens sont de plus en plus conscients que la maladie est là, mais il faut avouer que les conditions de vie rendent difficile l’application de mesures de confinement. Vous ne pouvez pas demander à quelqu’un de rester sur place quand il a faim. Vous ne pouvez pas empêcher quelqu’un d’aller vendre ses légumes au marché. Vous ne demanderez pas à un vendeur de beignets de ne plus sortir vendre ses beignets alors que c’est avec ses beignets qu’il vit. Vous voyez un peu la difficulté !

Le masque c’est pas beau

En ce qui concerne la distanciation sociale, elle n’est pas appliquée totalement parce que, je vous l’avoue, les Camerounais sont un peu têtus. Le port du masque reste très très aléatoire. Certains le mettent d’autres ne les mettent pas ; ils disent que ça étouffe ou que ce n’est pas beau.

Il y a quelques jours, le Président a débloqué une somme importante pour que soient distribués du savon, des seaux avec des robinets afin que les gens se lavent régulièrement les mains. Du gel et des affiches pour présenter les mesures barrières ont aussi été distribués.

La peur plane

La chance c’est que dans les campagnes, la maladie n’est pas encore présente. Mais on sent quand même que la peur plane. Dans les villages, ils sont au courant qu’il y a une maladie qui sévit mais comme ils n’ont pas de radio ni  télé, c’est difficile pour eux de savoir réellement ce qui se passe. Surtout qu’à la campagne, les gens sont peu instruits. Si on pouvait leur montrer des images des morts comme on en a vu en Italie, en France, aux Etats-Unis, peut-être prendraient-ils conscience de l’importance de mettre en place des mesures de prévention.

Si en ville, le gouvernement essaie de sensibiliser la population par le biais des médias, dans les campagnes, c’est le rôle qui nous est alloué à nous les élites, nous les chefs traditionnels. Nous qui avons un peu l’esprit éclairé nous devons essayer de sensibiliser les villageois.

Dans mon canton, chaque chef de village prend la peine de réunir la population pour lui expliquer. Certains achètent de leur poche des cache-nez et des seaux pour leurs administrés. Mais il est difficile de se faire entendre là où le niveau d’instruction est très bas et la pauvreté ambiante très présente. Hier, j’ai fait le tour de certains villages pour essayer de sensibiliser les populations.

Comme les chefferies sont des lieux très fréquentés, chacun a fait l’effort de mettre un seau devant sa porte afin que les gens se lavent les mains (photo ci-dessous : réunion des chefs de village).

Dans ma région, qui est une région de forêt, la pharmacopée traditionnelle fait des merveilles. Les populations, à titre préventif, ingurgitent des produits divers issus de leur environnement. Les villageois concoctent des tisanes et autres décoctions à base d’écorces, de racines, de feuilles d’arbres et d’herbes.

La distanciation sociale, nous essayons de leur en parler et de leur faire prendre conscience. Mais il faut bien reconnaître que dans les villages, c’est très difficile de mettre en place les gestes barrières. L’Africain est tellement sociable qu’il ne peut pas voir son frère sans l’accueillir à bras ouverts. Ne pas saluer de la main signifie qu’on n’aime pas son frère. Alors, c’est difficile de leur demander de ne pas saluer, de ne pas boire du vin dans un même gobelet. Dans le village, quand on sert le vin dans un gobelet, vous partagez le gobelet à cinq ou à six. D’abord parce que vous vous aimez mais aussi parce qu’il n’y a pas assez de verres !

Bars et écoles fermés

Même s’il y a peu de cas, on sent qu’il y a un impact énorme. Les populations souffrent beaucoup déjà psychologiquement parce que la maladie fait peur mais surtout la vie devient difficile. La vie est en arrêt, les bars sont fermés, alors que ce sont les bars qui recrutent les jeunes qui travaillent. Les entreprises ne fonctionnent plus très bien, les gens ont du mal à nourrir leur famille. A cause de la fermeture des écoles (ci-dessous), les parents se retrouvent avec les enfants toute la journée à la maison. Et chez nous, les familles ont souvent six enfants. Tout cela a un coût.

Depuis le 30 avril, le président de la République a pris des mesures allant dans le sens d’un allègement du confinement pour redonner vie à l’économie. Il a été demandé aux Camerounais d’être conscients et responsables. Aujourd’hui, l’activité a en partie repris, pourtant personne ne peut savoir les conséquences d’un tel choix. Nous faisons confiance aux autorités. On espère que tout n’ira pas dans le sens du pire. »

 

Photos @DR

 

 

 

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