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Agnès Robin : “Je vois de l’énervement,
de la détresse chez les artistes”

Article publié le 2021-01-25 14:28:24
Comment exercer ses fonctions d’élue à la culture en plein Covid quand les urgences et les enjeux se déplacent ? Entretien avec Agnès Robin, enseignante-chercheuse à la Faculté de droit de Montpellier, adjointe à la culture de la Ville de Montpellier. Elle détaille les mesures prises pour soutenir le secteur et donne des éléments de réponse sur le caractère “feutré” de la politique culturelle montpelliéraine sous Michaël Delafosse, qui alimente les spéculations.

 

LOKKO. Cette crise sanitaire affecte-t-elle la politique de la ville en matière culturelle d’une manière ou d’une autre ?

Agnès Robin. Nécessairement, oui. C’est une situation qui nous contraint à trouver des solutions immédiates et adaptées par rapport à la pandémie et à ses conséquences. Fin 2020, nous avons mis en place des aides au profit des salles de concert, de spectacle, de cinéma. C’est quelque chose que nous n’aurions pas fait en temps normal, en tout cas sous cette forme-là pour le secteur privé.

Alors, détaillons les. Il s’agit notamment d’un pré-achat de places ?

Nous avons d’abord rencontré les responsables de salles par catégorie. D’abord les salles de concerts, les salles de théâtre, puis les salles de cinéma, relevant chacune d’une économie un peu différente. A chaque fois, nous avions à coeur de trouver des solutions concertées. C’est à la suite de ces échanges que nous avons voté en conseil municipal des subventions pour les deux premières catégories (1) et opté pour un pré-achat de 5000 euros de billets par salle de cinéma que nous distribuerons quand les salles réouvriront via les services sociaux de la ville et de la métropole (CCAS).

L’aide aux loyers entre dans ce dispositif ?

Tout à fait, même si, en ce qui concerne le Rockstore par exemple (2), cette aide avait déjà été mise en place par le précédent maire, à l’occasion du premier confinement. Nous l’avons maintenue. Par contre nous l’avons également accordé à d’autres salles comme le Dièze qui en a donc également bénéficié.

Vous avez rencontré de nombreux acteurs culturels. Comment les avez-vous trouvés ? Affectés, on le suppose ?

Très affectés. Bien sûr. Je le vois tous les jours puisque je suis en contact quotidiennement avec eux, en visioconférence le plus souvent. Je vois de l’énervement, de la détresse mais un certain nombre d’artistes continuent à créer en attendant la réouverture des lieux. Ce qui a créé la détresse, ou en tout cas une forme de lassitude, c’est de penser et de croire qu’ils allaient pouvoir se produire en décembre. C’est ce qu’on a appelé le “stop ang go” et qui a fait des ravages. Espérer mais être stoppé dans son élan, c’est beaucoup d’énergie dépensée pour rien. A l’échelle d’une ou d’un artiste ou d’un collectif, c’est dur.

Cette crise a été révélatrice d’une culture à 2 vitesses. On voit bien que les plus grandes structures, subventionnées, s’en sortent financièrement pas si mal, que beaucoup ont fini l’année en excédent budgétaire pour ne pas avoir dépensé tout leur budget et avoir bénéficié de subventions intactes. C’est plus dur pour les petites structures, les compagnies, les indépendants.

Si on se situe du point de vue strictement financier, il n’y a pas de différence de traitement. Pour tous les projets qui n’ont pas pu être montrés à cause des confinements, les subventions ont été maintenues. Du point de vue humain, qu’on évolue dans un grand établissement, au sein d’un orchestre ou d’une petite structure, la frustration est la même. Les grands équipements ont eu les moyens de mettre en place des formules de substitution numériques, c’est très bien, mais l’on sait bien que c’est un pis-aller. Cela ne remplacera jamais le plaisir de jouer devant un public. Du coup, je ne crois pas que l’on puisse parler de rupture d’égalité mais il est bien évident que les subventions d’un grand établissement sont sans commune mesure avec celles d’acteurs plus modestes. C’est ainsi depuis longtemps.

Il y a d’intenses négociations entre les représentations professionnelles et le Ministère, quasiment plusieurs fois par semaine. Les collectivités territoriales, qui sont des financeurs majeurs de la culture, sont-elles partie prenante de ces échanges ?

Pas du tout. Je suis en contact direct avec les acteurs locaux. Nous sommes là en soutien, pour accompagner les revendications et les actions mais ne sommes pas partie prenante de ces négociations.

On se souvient du maire de Dijon qui a signé un arrêté pour autoriser les librairies à ouvrir dans leur commune, par dérogation au confinement national. Pas de posture transgressive de ce genre à Montpellier ?

Je me suis exprimée sur le sujet des librairies. J’ai dit que j’étais triste de les voir fermer. Mais agir contre la loi, non…

Il y a eu une expérience, pionnière, à Barcelone, lors du festival Primavera Sound, où un panel de volontaires a été testé, avant et après le concert. Et pas un seul cas Covid. La profession discute actuellement de ce passeport sanitaire. Pensez-vous que ce soit une alternative ?

Il faut se saisir des études réalisées sur la performance de ces tests antigéniques et on voit bien que leur fiabilité n’est pas totalement prouvée. Comme je ne suis pas scientifique, c’est un peu délicat pour moi de prendre position. Si les test sont fiables, pourquoi pas ? Mais ce qui me gêne, c’est cette forme de discrimination à l’entrée des salles. Je serai tout à fait heureuse que les festivals puissent réouvrir au printemps et l’été naturellement. On perd parfois un peu de vue que refuser l’entrée d’une salle à quelqu’un qui est malade est une mesure proprement discriminatoire. Du point de vue des libertés individuelles et des droits fondamentaux, cela peut poser un problème juridique et, au-delà, politique. Notre privation de liberté actuelle est telle qu’on en arrive à accepter l’idée de refuser les personnes (qui ont payé leur place ?) à l’entrée d’un festival parce qu’elles seraient contagieuses. C’est dire ce à quoi, d’une certaine manière, nous avons renoncé. Accepter les personnes dès lors qu’elles sont masquées ne suffirait-il pas ?

Est-ce la situation sanitaire qui explique la relative discrétion de cette nouvelle équipe municipale en matière de culture. Ni conférence de presse, ni annonce spectaculaire, une alternance des dirigeants qui est en cours (3) mais se fait à bas bruit…

La situation sanitaire est l’une des raisons en effet de cette discrétion. Dès que nous sommes arrivés, fin juin, début juillet, nous avions pourtant organisé des événements artistiques un peu partout dans la ville pour soutenir les artistes et “réenchanter” la ville. Cela aurait été une magnifique manifestation. Des petites performances théâtrales, chantées, dansées étaient envisagées dans des périmètres sécurisés. A la mi-août, nous avons malheureusement dû y renoncer. Il était déjà question de réduire les possibilités de produire des spectacles, même en extérieur, en raison de la seconde vague qui commençait à poindre. Ce projet nous a pris, nous et les services de la culture et du patrimoine, beaucoup de temps et d’énergie. Par la suite, nous nous sommes attelés à cette vaste concertation devant aboutir à des mesures Covid. C’est quelque chose de plus feutré, c’est sûr… Pour le reste, on continue on travailler sur le fond.

La politique culturelle de Montpellier va se déployer progressivement. Ce sera certainement quelque chose de beau, de “spectaculaire” notamment une politique de parité hommes/femmes quant à l’attribution des subventions, et d’autres actions qui sont en train d’être réfléchies aujourd’hui.

Quel est votre grand dossier à vous ?

Je l’ai souligné à titre personnel dans la campagne : améliorer l’accueil des artistes et pour cela créer des conditions favorables pour qu’ils puissent travailler dans les meilleures conditions, dans des lieux dédiés, réservés. Ce qui suppose de réfléchir un peu… Cette période particulière nous a été utile pour établir un état des lieux. On collecte actuellement une série de données. Avec l’aide de la SA3M (société d’aménagement] ou ACM (office public d’habitat), nous allons tenter de repérer certains lieux vacants et les rénover éventuellement quand ce sera nécessaire. Nous regardons également du côté d’institutions qui ne relèvent pas directement des collectivités locales, je pense aux universités, au Crous, par exemple. Il s’agit d’aller au-delà du périmètre de la ville et de la métropole, voir ce qui existe, et trouver d’autres partenaires à fédérer sous la forme, par exemple, d’un guichet unique. Des investissements assez importants sont à venir. D’autres grands dossiers suivront dont nous pourrons reparler le moment venu.

 

(1) Le Jam, le Black Sheep et l’Antirouille en sont les bénéficiaires pour les musiques actuelles pour un montant de 70 000€, qui serviront à financer des cachets d’artistes, de techniciens et les frais de location des salles.

(2) A hauteur de 30 000€.

(3) Depuis l’élection de Michaël Delafosse, le départ de plusieurs dirigeants a été acté :  Jean-Louis Sautreau, directeur mutualisé de la culture de la Ville et de la Métropole, Gilles Gudin de Vallerin, historique directeur du réseau montpelliérain des médiathèques élargi à la métropole, Valérie Daveneau, directrice du Domaine d’O. Le remplaçant ou la remplaçante de Nicolas Bourriaud au MOCO sera connu en mars, sauf s’il se succède à la direction de l’ensemble Hôtel des collections/Panacée/École des Beaux-Arts mais ce serait alors une surprise.

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