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Philippe Jaroussky flamboyant en chef d’orchestre

Le célèbre contre-ténor Philippe Jaroussky a choisi Montpellier pour ses débuts dans la direction, ce 25 mai à l’Opéra-Comédie. Il s’est montré particulièrement bluffant à la tête de l’Ensemble Artaserse pour Il primo omicidio, un joyau du baroque italien.

 

 

On ne présente plus Philippe Jaroussky, contre-ténor connu de la scène internationale, artiste à la discographie prestigieuse. Spécialiste de la musique baroque, il a interprété Gluck, Haendel, Caldara, Vivaldi, Pergolese ou Bach auprès de chefs d’orchestre prestigieux. Touche-à -tout optimiste et créatif, il fonde en 2017 une académie de musique pour repérer et aider de jeunes talents en situation d’éloignement culturel. Il favorise au fil des rencontres musicales la naissance de l’Ensemble Artaserse (du nom d’un opéra dans lequel Farinelli fit sa première apparition à Londres en 1734). Cet ensemble à géométrie variable qui allie musiciens reconnus et jeunes talents s’est spécialisé dans la musique du XVIIe siècle, et très vite acquis ses lettres de noblesse dans le monde entier.

A de nombreuses occasions, Philippe Jaroussky a confié les difficultés techniques d’une voix de contre-ténor et les changements vocaux qui ne manquent pas de survenir au cours d’une  longue carrière. La direction  d’orchestre, qui l’a toujours attiré, est une option alléchante pour rester au plus près de la musique et de la scène. Ce sont désormais deux carrières parallèles qui se profilent.

Une première montpelliéraine

Philippe Jaroussky a choisi Montpellier pour ses débuts dans la direction : début 2021, malgré le confinement et l’absence du public, toute l’équipe est venue répéter et enregistrer cet opéra qui est visible sur la chaîne Mezzo jusqu’à la fin du mois de juin, spectacle qu’il a dirigé in vivo ce 25 mai au Corum. Le choix est ambitieux : un Oratorio d’Alessandro Scarlatti, sensuel, lyrique et dont la partition redoutable est un véritable défi pour les solistes.

Il primo omicidio (le crime originel), joyau du baroque italien raconte le meurtre d’Abel par son frère Caïn, un drame de la jalousie dans lequel interviennent  leurs parents Adam et Eve, Dieu et Lucifer. Drame éminemment humain dans lequel Caïn est rongé par la jalousie mais aussi par le remords et la culpabilité. Un thème résolument et tristement moderne qui trouve son écho dans la folie meurtrière des guerres fratricides .

Semblant contradictoire avec la violence du propos, l’écriture musicale est d’une grande douceur évoluant avec âpreté vers une intensité dramatique. On y retrouve les éléments incontournables de la musique baroque : une écriture verticale où les variations du contrepoint s’appuient sur une base musicale (le continuo ou basse continue) assurée par le clavecin et le basson.

Une direction en osmose

Même s’il endosse ce rôle de leader avec la fraîcheur du débutant, la complicité avec l’orchestre est évidente et le résultat est bluffant. A l’époque baroque, la musique se dirigeait au bâton : on frappait le sol avec pour marquer le rythme et donner le tempo (Lully d’ailleurs en est mort, la gangrène s’étant mise dans son orteil écrasé par sa lourde canne). La direction moderne a  évidemment évolué, mais elle garde avec bonheur cette cadence et ces impulsions qui rendent cette musique irrésistiblement dansante. Brillance des cordes emmenées par le talentueux Thibault Noally et belle expertise du continuo en particulier Michele Pasotti au théorbe et Nicolas André au basson, la qualité musicale et le son d’orchestre sont de haute tenue et signent une évolution dans l’interprétation de la musique baroque, impulsée dans les années 1970 par des chefs comme Malgoire ou Harnoncourt.

Le choc Bruno de Sà

Pas moins de six solistes se partagent cette partition redoutable. Le couple Adam et Eve est bien équilibré : le ténor Kresimir Spicer allie puissance de la projection et souplesse des vocalises et l’excellente soprano Inga Kalna (photo du dessus) sait habiter toute la douceur maternelle d’Eve dans des pianissimi bouleversants. Autre couple au centre de l’intrigue: les deux frères ! L’aîné Caïn, complexe et tourmenté, est  magnifiquement incarné par le contre-ténor Filippo Mineccia : une voix puissante aux accents dramatiques.

La surprise voire le choc de la soirée viennent du jeune Bruno de Sà (à droite sur la photo ci-dessus avec Filippo Mineccia). Il est  bien plus qu’un contre-ténor, c’est un sopraniste : comment d’un corps fluet et quasi juvénile peut sortir une voix pareille ? Une  voix puissante fabuleusement bien placée, à la technique irréprochable, de la pureté du cristal, des harmoniques incroyables dans des aigus vertigineux doublés d’une sensibilité artistique évidente, voilà un jeune homme dont  le public va entendre parler ! Ancien élève de l’Opéra junior de Montpellier, Paul-Antoine Bénos-Djian prête son joli timbre de contre-ténor à la puissance divine tandis que Yannis François, silhouette de danseur, campe un Lucifer qui manque parfois de noirceur .

Un seul bémol : l’absence de sur-titrage qui nuit à la compréhension de l’œuvre, détail qui ne fit pas d’ombre à la standing ovation du public visiblement heureux de la reprise des spectacles…

 

Avec une distribution légèrement différente, ce concert est visible sur la chaîne Mezzo : le 1er juin à 12h30, le 5 juin à 18h15, le 10 juin à 13h 55 et le 11 juin à 9h.

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