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H 24 sur Arte : “on se lève et on se bat”

Chaque soir à 20h45, l’ambitieuse et féministe série de Arte montre 24 actrices incarnant des situations réelles de violences faites aux femmes, scénarisées par 24 écrivaines. Retour sur la soirée de présentation montpelliéraine avec les initiatrices du projet, Nathalie Masduraud et Valérie Urrea.

A l’occasion de la sortie de la série « H24 : 24 heures dans la vie d’une femme » sur ARTE, le 23 octobre dernier, les réalisatrices et documentaristes à l’origine de cette idée, Nathalie Masduraud et Valérie Urrea, étaient présentes au Gaumont Comédie, ce lundi 18 octobre. Cette projection de 8 épisodes sur 24 fut suivie d’une discussion animée par la journaliste et militante au sein de l’association Nous Toutes 34, Marie-Pierre Soriano. L’une des actrices, Nadège Beausson-Diagne, engagée au sein du Collectif 50/50, avait fait le déplacement et nous a ravies de son énergie militante et de sa force vitale. La librairie coopérative La Cavale a assuré la promotion de l’ouvrage éponyme qui s’est vendu jusqu’au dernier, les militant.es ravi.es de pouvoir obtenir une dédicace des trois femmes réunies. Tous les bénéfices seront reversés à la Fondation des Femmes.

Près de 100 féminicides recensés en France en 2021

C’est presque une centaine de femmes qui ont œuvré collectivement à la réalisation de ce projet collaboratif avec pour pitch : 24 actrices (dont Diane Kruger, Camille Cottin, Anaïs Demoustier, Florence Loiret Caille, Noémie Merlant, Romane Bohringer), 24 écrivaines (dont Agnès Desarthe, Lydie Salvayre, Chloé Delaume, Lola Lafon, Christiane Taubira ou encore Anne Pauly) et 24 faits réels sous la forme d’une collection de 24 courts films (réalisés par 10 femmes) pour dénoncer les violences que toutes ces femmes, dans leur diversité, subissent au quotidien, à chaque heure du jour et de la nuit, H24.

Valérie Urrea a expliqué qu’il s’agissait d’ «interroger le cinéma français après Me Too, en travaillant avec Arte pour la dimension européenne, et de questionner l’engagement de l’artiste», heureuse que tant de femmes aient accepté de suivre leur mouvement. La réalisatrice avait pour «espoir qu’avec le Grenelle des Violences Conjugales suite à la Loi Schiappa, cette série ne soit plus nécessaire». Malheureusement les chiffres sont sans appel : en France, 100% des femmes déclarent avoir déjà subi du harcèlement de rue et sexisme ordinaire et ce sont pas moins de 93 000 femmes qui sont victimes de viol ou tentative de viol chaque année. Près de 100 féminicides ont déjà été recensés pour l’année 2021 et 60% des femmes victimes ont subi des violences sexuelles enfants comme le rappelle l’association Nous Toutes.

Et c’est de cela qu’il s’agit : donner à voir des réalités qui sonnent comme des banalités pour les femmes et rappeler l’importance du féminisme et du combat pour les femmes et minorités de genre en 2021, dans une société encore dominée par des hommes cisgenres privilégiés.

25 femmes aux rôles principaux : une première mondiale

Nathalie Masdurand s’est félicitée d’ailleurs de changer la triste discrimination habituelle des castings avec ces «25 femmes aux rôles principaux : une première mondiale». Nadège Beausson-Diagne, qui a avoué s’être «habituée à ne pas être représentée en tant que femme noire», a insisté sur la responsabilité en tant qu’actrice d’incarner ces histoires, auxquelles de nombreuses femmes s’identifient. Et de penser aux victimes en les jouant, comme elle le fit pour « Nina » en interprétant la 25ème heure, celle inspirée de cette « histoire de trop » (une femme sous emprise) qui a poussé les deux réalisatrices à faire cette série (voir, ici).

Nadège Beausson-Diagne a déploré «l’omerta dans le cinéma français» et émis le souhait que Gérard Depardieu soit «bientôt jugé». Elle qui a été victime de pédocriminalité et d’agressions sexuelles témoigne de son histoire intime devenue politique lorsqu’elle a pu «s’emparer de ces questions et monter un collectif en Afrique» car «la transmission est l’une des clefs de la résilience». Même si cette visibilité pour les femmes victimes de violences sexuelles, à l’instar d’Adèle Haenel, impacte leur vie professionnelle : «on est boycottées sur pleins de projets car on est considérées comme des emmerdeuses de féministes». C’est avec optimisme qu’elle montre toute la force de la sororité et qu’elle appelle à «agir pour retrouver notre humanité, ne plus fermer les yeux et se révolter, car ensemble on peut faire changer les choses».

Un récit à la première personne, unité de temps et de lieu

En tant que directrice de collection, Valérie Urrea avait mis en place un dogme très précis : «un seul feuillet, un récit à la première personne du singulier avec une unité de temps et de lieu», créant «cette journée infernale que l’on ne souhaite à personne» où de nombreuses violences sont performées à l’écran, certaines métaphoriquement, d’autres littéralement : du harcèlement de rue, au cyber-harcèlement, des violences gynécologiques et obstétricales à l’emprise, du sexisme jusqu’aux féminicides, «sans pouvoir malheureusement toutes les montrer», tant elles sont nombreuses, mais en soulevant le continuum de toutes ces violences.

Et cette femme aux multiples visages, jeune ou moins jeune, racisée ou non, cisgenre ou pas, traverse toutes les sphères sociales, du milieu sportif au travail, du foyer à la rue, de l’école à l’hôpital. Nathalie Masduraud a raconté que l’enjeu était de «toucher l’intime de chacune et de rendre ces femmes dignes, justes et fortes en montrant l’insoumission et la riposte aussi», lorsque la légitime défense les pousse à agir et à frapper pour se sauver elles-mêmes comme dans «Le cri défendu» où la performance de Deborah Lukumuena souleva des applaudissements de satisfaction dans la salle.

Sur la photo de gauche à droite : Nathalie Masduraud, Nadège Beausson-Diagne, Marie-Pierre Soriano et Valérie Urrea au Gaumont Comédie.

Nathalie Masdurand relèvera que de nombreux textes comportaient la phrase « il ne s’est rien passé » afin d’appuyer sur le silence des victimes comme mécanisme de défense «pour éviter que la situation ne déraille» ou de blocage émotionnel , notamment la sidération pendant le viol. Elle a insisté sur la hiérarchisation des violences faites aux femmes au sein de notre société. Souvent sans le passage à l’acte (l’agression sexuelle), la violence serait tenue comme négligeable, banale, alors que le traumatisme est considérable. Sans parler des risques que les femmes prennent en répondant à leur agresseur.

L’épisode interprété par Camille Cottin « 23H – Nuit rouge », réalisé par Emilie Brisavoine/texte de Kaouther Adimi, qui évoque le harcèlement d’une journaliste, renvoie d’ailleurs au coup de poing que Marie Laguerre avait reçu en 2018 lorsqu’elle avait répondu « ta gueule » à un harceleur de rue. Ses mots font écho à ceux de la jeune femme dont la vidéo était devenue virale sur les réseaux sociaux, alors que la situation était tristement banale : «Qu’est-ce que tu veux que je te dise que ton désir il me dégoûte, que t’es le millième à faire ça». Et à propos de l’inaction des passant.es- : «personne ne bouge comme si c’était normal mais c’est normal ça arrive tous les jours, H24 obligées de supporter les regards, les insultes, les attouchements». Montrant ces réflexes de survie, ces réparties que l’on arrive enfin à extraire de soi, ces épisodes attestent de la puissance des mots, cathartiques, mais aussi des silences, glaçants.

#doublepeine au commissariat de Montpellier

La majeure partie de ces histoires -celles ne relatant pas un féminicide- termine par un dépôt de plainte, et ce même si l’on sait l’impunité des agresseurs et les jugements que subissent les victimes lorsqu’elles se rendent au commissariat comme le souligne Nadège Beausson-Diagne en évoquant le mouvement #DoublePeine parti du commissariat de Montpellier (à lire : l’interview dans LOKKO d’Anna Toumazoff à l’initiative de ce mouvement).

Et si seuls quelques hommes étaient présents dans la salle, des compagnons, des amis ou des militants féministes, leur présence sera saluée. Les réalisatrices rappelant à quel point les alliés sont primordiaux dans cette lutte. Leur revient la responsabilité d’éduquer leurs enfants, leurs pairs, et eux-mêmes, afin d’encourager la déconstruction des mécanismes de notre système patriarcal sexiste qui oppresse les femmes et minorités de genre, notamment en luttant contre la masculinité toxique, les stéréotypes et injonctions de genre ou de sexe, et de prévenir les féminicides.

Ce collectif de femmes engagées a souhaité témoigner de la violence de ces normes et constructions sociales sur des individus queer en montrant ce.tte jeune migrant.e dans l’épisode «02H – Fantôme » (texte de Monica Sabolo avec la voix de Romane Bohringer) repensant aux deux femmes juges qui ont déclaré qu’elle était trop masculine pour avoir été violée et trop moche pour être crédible : «Les filles comme moi nous ne sommes pas là, nous n’avons pas d’émotions, pas de blessures, pas de corps, nous n’existons pas, nous sommes des fantômes».

Sur l’invisibilisation, la salle regrettera que les travailleuses du sexe, notamment transgenres, qui sont sujettes à des violences inouïes, sociales et étatiques (et sont toujours en première ligne des luttes féministes et LGBT+) ne soient pas représentées à l’écran. Des femmes de confession musulmane aborderont aussi la question de l’intersectionnalité, subissant à la fois le sexisme et le racisme, d’où l’importance évoquée par les réalisatrices de «passer le flambeau en Afrique, en Asie».

Leurs espoirs : «que la parole se libère et que ces courts films servent d’outils de sensibilisation dans les écoles». C’est en bonne voie puisqu’Arte Education a déjà racheté la série et que les demandes des établissements scolaires commencent à affluer. Elles viennent également d’être invitées à présenter H24 à l’Assemblée Nationale et espèrent que la force de cette rencontre engagera des mesures concrètes pour lutter contre ces violences systémiques et abolir la culture du viol.

Visible en intégralité sur arte.tv 

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