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Me Too : la biennale Art Press de Montpellier dans la tourmente

Un des nouveaux projets du MOCO, la future biennale d’art contemporain dédiée aux jeunes diplômés des écoles d’art, se heurte au boycott de plusieurs écoles qui ont été choquées par le soutien de la revue organisatrice Art Press au plasticien Claude Lévêque, accusé d’agression sexuelle sur mineurs. Une affaire délicate pour Numa Hambursin, le nouveau directeur du MOCO qui s’exprime ici.

 

En janvier 2021, le journal “Le Monde” révélait que le grand plasticien Claude Lévêque était visé par une plainte ouverte par le parquet de Bobigny à la suite d’accusations d’un sculpteur de 51 ans qui aurait été agressé sexuellement ainsi que ses deux frères, dans les années 80, alors qu’ils avaient moins de 15 ans.

Voilà un an que cette affaire empoisonne le monde de l’art contemporain. Claude Lévêque est une star française de l’art et l’un de ses plus grands ambassadeurs à l’étranger. L’un de ses tapis de laine “Soleil noir” trône dans les bureaux de l’Élysée.

Récemment, un comité de quartier réclamait à la municipalité de Montreuil de rallumer la sculpture “Modern Dance” que celle-ci avait immédiatement éteinte après les révélations du journal “Le Monde” décrivant un artiste entouré de très jeunes enfants qu’il appelait ses “filleuls”.

Une affaire qui empoisonne le monde de l’art

Un mois après ces révélations, le 23 février 2021, la revue “Art Press” publiait un texte intitulé “Présomption d’innocence” (1) pour soutenir le plasticien, accompagné de cette photo (à la UNE). C’est cette position qui se trouve aujourd’hui au cœur du problème. Prestigieuse revue d’art française, “Art Press” est aussi l’organisatrice de cette Biennale destinée à montrer le travail d’étudiants diplômés des écoles d’art françaises, dont les participants sont sélectionnés par un jury. Une première édition – intitulée “Après l’école” – a eu lieu en octobre 2020, au musée d’Art moderne et contemporain et à la Cité du design de Saint-Étienne, avec 36 jeunes créateurs. Une deuxième édition est prévue à Montpellier en octobre 2022. Une opération emblématique de la nouvelle direction du MOCO (regroupant l’école des Beaux-Arts, la Panacée et le nouveau centre d’art de la gare) à laquelle Numa Hambursin a associé le Musée Fabre.

Annecy, Grenoble, Toulouse, Lyon boycottent

Révélée par “Libération”, la polémique a commencé avec le refus de l’Esaa, l’école d’art d’Annecy, d’y participer. Stéphane Sauzedde, son directeur, a fait savoir avec vigueur qu’il boycotterait l’événement. Pour une raison précise : Laurent Faulon, le plaignant de l’affaire Lévêque, se trouve être l’un de ses enseignants. “On sait que les agissements dénoncés par Laurent Faulon sont prescrits et donc ne peuvent être considérés par la justice… Aucun·e diplomé·e de l’Esaaa ne souhaiterait participer à une biennale organisée par le journal et les personnes qui témoignent un tel mépris pour sa parole”, a-t-il écrit dans un courrier adressé aux organisateurs.

À son tour, l’Esad Grenoble-Valence a indiqué son refus de cautionner l’événement d’Art Press. Un conseil étudiant devrait s’y tenir ce 14 décembre pour statuer. À Toulouse, L’Isdat a pris une position médiane : elle ne participe pas officiellement à la manifestation tout en laissant ses élèves libres de leur choix.

La directrice de l’Ensba de Lyon a également décliné l’invitation, dans des termes qui situent les enjeux de ce débat cristallisé autour d’un média de référence “Art Press” qui s’est érigé en îlot de résistance face à la déferlante Me Too. Trois ans avant le soutien à contre-courant de Claude Lévêque, en janvier 2018, sa fondatrice iconique Catherine Millet signait une tribune défendant le droit des hommes “à importuner” (2), où elle fustigeait “cette fièvre à envoyer les porcs à l’abattoir”. “Certaines des positions portées par la revue Art Press depuis ces dernières années, a commenté Estelle Pagès depuis Lyon, sont en contradiction avec ce que les écoles supérieures d’art cherchent à déconstruire.”

Le directeur du MOCO, Numa Hambursin, n’est en rien visé personnellement par ces reproches mais il se retrouve à gérer la réputation clivante de la marque “Art Press”. Un journal dont il est proche. Il avait invité son rédacteur en chef Richard Leydier en tant que commissaire d’exposition lorsqu’il était le directeur artistique du Carré Sainte-Anne. “Je veux bien qu’on déboulonne les monuments, explique-t-il à LOKKO, mais Art Press est une revue considérable depuis 50 ans, avec une notoriété internationale. Elle ne peut pas être réduite à la tribune de Catherine Millet, que je n’ai personnellement pas signée.”

Selon la communication du MOCO, plus d’une trentaine d’écoles auraient répondu positivement à l’invitation d’“Art Press”, notamment les Beaux-Arts de Paris et la prestigieuse l’école Fresnoy, à Tourcoing, dirigée par Alain Fleischer (auteur des plafonds de l’hôtel de ville de Montpellier). Seulement “4 ou 5” réponses négatives seraient parvenues aux organisateurs.

Une position commune des étudiants 

Du côté des étudiants montpelliérains, leur représentante au Conseil d’administration du MOCO a expliqué à LOKKO qu’elle consultait actuellement les élèves “pour établir une position commune”. “L’Esba de Montpellier est une école mobilisée sur ces sujets. Nous avons créé en 2020 un Groupe Égalité, qui inclut des représentants de l’administration, pour agir en tant que médiateur en cas d’agression raciale, sexiste ou sexuelle.” D’une manière générale, les étudiants des écoles d’art ont pris leur part dans le mouvement Me Too. Après plusieurs témoignages d’élèves des Beaux-Arts de Besançon, un #balancetonecoled’art a été lancé. Les écoles de Bourges et Grenoble ont été également des lieux de référence dans l’émergence d’une parole sur les agressions sexuelles. En particulier, l’Esad de Grenoble confrontée à des affaires de viol avec plaintes.

L’un des deux commissaires de la Biennale d’“Art Press” a tenté d’apaiser les tensions en déplaçant le débat sur le terrain pédagogique : “Ceux qui critiquent n’ont pas demandé aux jeunes artistes comment s’était passée la première édition”, s’est indigné Romain Mathieu, critique d’art, enseignant à l’École supérieure d’art de Saint-Étienne. “Cette biennale est l’occasion de donner une visibilité aux jeunes diplômés, a-t-il expliqué à ‘Libération’. Les écoles ont pour mission de veiller à une professionnalisation, alors qu’il est si difficile aujourd’hui de devenir un artiste.”

“Je suis intraitable sur ces sujets.”

Même argumentaire pour Numa Hambursin : “cette Biennale correspond parfaitement à ce que nous faisons aux Beaux-Arts de Montpellier, qui est à la pointe de l’insertion des jeunes diplômés. Nous ne sommes pas si nombreux en France à nous préoccuper des débouchés d’un diplôme très difficile. Ne gâchons pas cela !”

Avant que s’expriment officiellement les étudiants des Beaux-Arts montpelliérains, qui avaient soutenu le maintien de son prédécesseur Nicolas Bourriaud, Numa Hambursin a pris les devants en organisant prochainement à l’Esba une rencontre avec les commissaires de l’exposition : “je suis intraitable sur la question des violences sexuelles. Je propose d’ailleurs aux étudiants de Montpellier que nous en parlions pendant la Biennale elle-même. Emparons-nous de ces sujets ! Il n’est pas question, pour moi, de les mettre sous le tapis.”

 

(1) Présomption d’innocence. Claude Lévêque – artpress

(2) « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » (lemonde.fr)

 

 

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Maryse Claude DURAND
Maryse Claude DURAND
2 années il y a

ça devrait être clair: on ne soutient pas un homme, fut-il un artiste. S’il est blanchi, on reprend contact, s’il est condamné, on l’oublie!

Le bleu du ciel
Le bleu du ciel
2 années il y a

J ai lu : que dire on mélange morale justice et politique dans l enseignement qui infestent les écoles d art pendant qu on apprend plus aux étudiants à dessiner , photographier , réfléchir 🤔 sur la pratique artistique et son histoire ce qui ne cautionne absolument pas les saloperies de Lévêque

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