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Laurence Pagès danse sur les silences de Joë Bousquet

À La Bulle Bleue, la chorégraphe montpelliéraine Laurence Pagès a montré son travail d’exploration sur l’immense et énigmatique écrivain languedocien, l’un des plus importants poètes-philosophes de la première moitié du vingtième siècle, qui a vécu une partie de sa vie reclus dans une chambre à Carcassonne.

À quatre-vingt-dix minutes de Montpellier, on imagine mal le sentiment d’étouffement qui émane de Carcassonne, chef-lieu de l’Aude : ville de garnison, de retraités et de fonctionnaires, engluée dans l’enfoncement de sa monoculture viticole, le délabrement de sa SFIO cassoulet, écrasée par sa Cité médiévale, sa caricature de festival, enfin décapitée par l’exode de sa jeunesse vers les centres universitaires toulousains et montpelliérains. C’est pourtant là que Joë Bousquet passa toute sa vie, à qui toute l’avant-garde littéraire venait rendre visite.

Une adolescence rabougrie

Moëlle épinière sectionnée sur le front en 1918, l’écrivain ne quitta plus jamais sa chambre aux volets fermés. Cette immobilité forcée jusqu’à son décès en 1950, mua en un mouvement intégral d’écriture. Soit une vie entièrement fusionnée en mots, faisant silence sur toute notion de description ou de péripéties, qui n’avaient plus lieu d’être. Cette échappée par-delà l’étouffement fascine Laurence Pagès. Artiste chorégraphique, elle dit avoir vécu à Carcassonne « une adolescence rabougrie », qu’interroge la mémoire du géant figé que fut Bousquet, le paradoxe de son rayonnement néanmoins universel.

La passion de la danse bûto

Ensuite Parisienne, dorénavant Montpelliéraine, Laurence Pagès puise dans ses réflexions la matière de la pièce Silences, qui était créée ce 23 avril dans le studio justement intimiste de La Bulle Bleue. Laurence Pagès voue aussi une passion pour Tatsumi Hijikata, performeur japonais qui initia la danse butô. Face aux ravages du siècle et de la trivialité moderne, celui-ci cultiva la quête de puissances archaïques enfouies, dans un corps tétanisé au bord de l’immobilité, assumant une fragilité de béances intérieures. Tout l’inverse du beau corps de la danse.

Au côté de deux autres interprètes féminines, Laurence Pagès tisse les traces écrites de ces deux artistes masculins. A rebours de tout tapage visuel, de toute exubérance physique, le trio féminin part en quête de gestes qui seraient ceux d’un silence, noué dans la lecture poétique, également l’écriture actuelle de textes engendrés dans le processus même de la pièce en train de s’inventer. Cela se cultive d’abord dans le chuchotement, la bribe, une vapeur flottante de mots irisés, leur danse de sons et fuites de significations. Cela tandis que les présences ne se perçoivent qu’à travers des panneaux de papier de soie, comme en ombres chinoises, ensorcelées de lumières très attentionnées, propices aux déformations des métamorphoses.

Une exploration des lisières

Nulle musique n’accompagnera cette gestuelle juste suggérée, y compris lorsque les panneaux finalement séparés laissent place à une présence plus directe des danseuses sur le plateau. Patients, les mouvements sont ceux de tensions arquées, de vrilles et de torsions muettes. Développés, les membres supérieurs s’obstinent dans des fouilles, des excavations de l’intériorité sourde, dans la proximité de soi, qui finira au sol, dans un brouillard de papiers déroulés, enveloppants, comme d’une puissance tellurique souterraine, sans désir d’épanchement.

Certaines explorations restent plus claires en se tenant sur la lisière.

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