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Pierre Lapointe : “Je suis le plus français des chanteurs québécois actuels”

Le 7 mai 2022, le chanteur, compositeur et pianiste québécois Pierre Lapointe est venu jouer à Nîmes. Il y a lancé sa tournée franco-belge et piano-voix “Seul sur scène”. A LOKKO, le poète de la science du cœur a parlé de musique, de piano et d’orchestre, de son travail, de sexualité, des gens du Québec et de France, des joies et peines d’amour que nous connaissons toutes et tous.

L’été qui vient, ça fera 13 ans que la voix de Pierre Lapointe me procure le même type de réactions, de sensations, d’émotions que celle de la contralto Kathleen Ferrier. La voix de Pierre Lapointe, c’est la tendresse et la blessure dans la tendresse que gardent, chaudes et préservées, les cordes vocales et l’humidité des lèvres. Lapointe, c’est l’artiste dont j’aime écouter, les yeux fermés, la musique et les mots, pour les avoir rien qu’à moi, ses mots et sa musique. 

Le piano qui “répare

Vivre la musicalité de sa voix qu’il accompagne sobrement de son jeu au piano et des riches accords que le compositeur privilégie dans ses partitions. Être touché par la conversation entre deux instruments : sa voix et le piano, le piano et sa voix. Pierre s’adresse à moi, et à moi seul, ainsi qu’à tous les autres, hommes et femmes, jeunes ou pas, qui l’écoutent et qui sont venus au concert, ce soir, à Paloma. De son côté, le piano s’adresse à Pierre Lapointe qui en joue. C’est avec cet instrument qu’il “se répare”. Le piano parle à celui qui écoute Pierre Lapointe en jouer et le parfaire à sa manière. Le piano parle à celui devenu, avec le temps, un compagnon de route artistique et émotionnelle : Pierre. 

Une sophistication toute racée et simple

Trouver le ton juste est rare, en en art comme dans les relations humaines. Faire de chacune des chansons un univers intime et singulier où se racontent, comme dans l’œuvre de Lapointe, des expériences de vie, les siennes, celles de ses ami(e)s, finalement les nôtres, c’est rare et ne peut qu’être apprécié dans notre monde de bruits et de confusion permanents. 

L’œuvre de Pierre Lapointe est multiple. Son personnage est en métamorphose créatrice continue, des mutations qui se voient dans son habillement, au civil et sur scène. Au début très “flottante”, sans référence à des lieux ou des amis, sa musique est une invitation à écouter sa propre vie. Son œuvre vous baigne dans la pop, dans la variété des émotions, c’est la joie, c’est la peine, c’est souvent l’entre-deux et le mélange des deux émotions que provoquent, parfois, les souvenirs des heures noires et ceux des heures douces. Elle vous touche, et “c’est le plus important”. Rien de plus proche de nous, dans sa sophistication toute racée et simple, que l’art de Lapointe. La musique est une industrie, une consommation mondiale en flux tendu liquidant, souvent, les particularités et les franchises de l’art. 

Le plus français des chanteurs québécois

Pierre Lapointe fait un “clin d’œil à une certaine forme de tradition et de rigueur aussi”. C’est peut-être pourquoi la “jeune génération (…) de la culture hip-hop” l’écoute et le respecte autant. De son côté, son auditoire est “amoureux d’une certaine forme de chansons douces et accessibles”. Elles “demandent quand même de l’attention”. Le public de Lapointe lui est fidèle sans doute parce qu’il est un artiste fidèle à ce qui l’inspire.

Pierre Lapointe est “probablement le plus français de tous les chanteurs québécois actuels” : quand il chante, son accent disparaît. Je lui demande s’il existe une saudade, une sensibilité particulière propre à son pays. Il répond : “Le peuple québécois est un peuple assez joyeux” touché par la mélancolie, peut-être, “qui peut naître de l’hiver”. Ce seraient les sentiments de solitude et d’abandon historiques, “surtout chez les francophones”. Selon lui, il existe “un certain sentiment d’infériorité par rapport à d’autres nations quand on est Québécois”. Par ailleurs, le Québec et l’histoire de la chanson au Québec sont très jeunes : “C’est peut-être un peu complexant, mais extrêmement vivifiant”. Tout est à faire. Dans les arts québécois, les règles s’inventent encore : c’est aussi le fruit de l’expérimentation, de la “liberté nord-américaine qui existe moins en France”.

Vendredi 6 mai, la veille de son concert à Paloma : conversation téléphonique avec le chanteur. J’étais, à la fois, journaliste avec ses questions préparées et le gars qui sait qu’il chiale presque à l’écoute de certaines mélodies et certains vers de l’artiste. J’admire peu de monde. Mais là… ça secouait dans les battements de mon petit cœur pendant que le téléphone sonnait. C’est pas pro… La conversation dura presque une demi-heure. 

Un travail enfin “justifié”

À la relire, cette longue interview qu’il a fallu découdre et recoudre à l’article, je me dis que Pierre Lapointe a été généreux dans sa parole, une générosité d’homme franc et sincère. Et nous ne nous connaissons même pas. En dehors de ses concerts, je l’ai croisé deux fois, à Montréal, dans la rue et sur le quai du métro. Je me rends compte qu’il a livré le témoignage franc d’un artiste qui crée et a évolué, d’un individu qui parle de sa carrière et de son art avec le recul et la maturité d’un homme ayant accédé à la maîtrise de son talent, de son écriture, de sa présence sur scène et à nos oreilles. 

Il se dit ému d’aider à réparer “les peines d’amour” ou “la détresse de vivre”. Il est touché de voir ainsi son “travail justifié”. Il se livre ; c’est la parole intime d’un des continuateurs de la chanson française et francophone des maîtres : Felix Leclerc, Aznavour, Barbara…

La narration des sentiments

Je lui transmets une remarque et une question qu’un de mes amis, Stéphane, a voulu lui poser : “Je trouve que sa voix n’est pas que musicale. Il y a une dimension relative à la narration des sentiments. Le danger c’est de tomber dans une interprétation théâtrale mais il n’y tombe jamais. Y pense-t-il ? Le craint-il ?” “Je pense que je l’ai fait dans mes débuts”, répond Lapointe. Il cite une chanson de ses débuts : dans “Le Colombarium”, “j’étais beaucoup dans un personnage”. Avec le temps, la théâtralité a pris son humble mesure : chanter des “petits aveux de défaite”, évoquer l’état de “découragement” font s’effacer l’exagération. Sa voix qui “n’est pas que musicale”, c’est peut-être grâce au “travail sur la symbiose entre cette émotion-là avec (sa) musique et (sa) voix”.

Au téléphone, parlant de son travail, Lapointe dit : “Pour moi, tout est intéressant. Piano, voix, avec des grandes orchestrations.” Ce qui est important, c’est de faire une chanson “intéressante” dans toutes ses interprétations : avec orchestre ou en piano-voix. Studio, scène et écriture, même la promo, tout l’intéresse. 20 ans de carrière. Pierre Lapointe est un artisan maîtrisant les pouvoirs de la scène : il a fait son miel des cours de théâtre suivis au Cégep de Saint-Hyacinthe. 

La salle est debout

Samedi 7 mai, Paloma, Nîmes. Concert de Pierre Lapointe. Piano, voix. Clarté si émouvante des deux instruments. En France, son dernier tour de chant date de 2018. Comme beaucoup d’artistes empêchés de scène par la pandémie pendant une paire d’années, la question du retour devant public fut présente. Il le dit à la fin de ses 90 minutes de concert : “Merci d’être là”. Il n’a pas chômé durant son absence scénique. Depuis 2019, 3 albums, “Pour déjouer l’ennui”, “Chansons hivernales” et, en 2022, “L’heure mauve” qui porte le nom d’une exposition co-créée avec Nicolas Party au Musée des Beaux-Arts de Montréal. La verrons-nous, un jour, à Montpellier ? Allô MoCo ?

La première partie du concert à Paloma fut habitée par Lumière, Étienne Côté dans le civil, cheveux blonds, longs, ondulés, ébouriffés, pas tout à fait peroxydés, un cousin du Petit Prince, en pattes d’eph, bien plus légèrement maquillé que Ziggy Stardust. Voix, guitare. Folk. Rock. Les 70’s. 30 mn de chansons au micro tirées de son album-concept “A.M.I.E.S.A.M.O.U.R.” Je l’ai acheté, et j’ai même une dédicace. Hé, ouais. De quoi patienter avant mon prochain séjour au Québec. L’album est une gourmandise que j’écoute régulièrement depuis !

Voilà, il s’installe au piano. Cravate, costume, souliers noirs, chemise blanche, cheveux gris. Les lumières : mordorée, blanche ou bleue. Sobriété pour laisser toute la place aux mots, au timbre de la voix, à la clarté du Steinway & Sons ouvert. 

C’est le rire qu’il fait jaillir

Il parle au public qui rit à ses traits d’humour. S’appuyant sur une partie de son répertoire, les amours qui ne durent pas et ce que c’est qu’essayer quand même, encore et encore, Lapointe entrecoupe ses spectacles de pauses intempestives. Il commente ses chansons et n’hésite pas à caler, entre certains vers, ce qui paraît être des confidences sur sa vie amoureuse, sensuelle, amicale. Il raconte sa vie, celle de ses amis. Il dit que telle ou telle chanson est liée à telle ou telle histoire plus ou moins ratée. C’est le rire qu’il fait jaillir. C’est l’observation riante du minuscule, d’une vie intime qui ressemble à quasiment toutes les autres, les nôtres, ce sont les petites catastrophes et les petites grandes victoires gagnées sur ces catastrophes-là. Nous nous retrouvons en lui qui se retrouve en nous. L’humain, ses joies et ses peines ne lui sont pas inconnus. “Pierre, on t’aime !” Le vague-à-l’âme et la déception que sont l’autre et parfois soi-même, à un tel niveau d’art et de présence artistique, sont un baume au cœur très bienvenu. 

Ce n’est pas seulement le rire qu’il déclenche : membre de la communauté LGBTQ, outre les plaisirs de la chair et les déroutes sentimentales, Lapointe raconte l’homophobie dans les familles, les parents qui rejettent leur enfant homo, ses ami(e)s qui doivent taire leur vie ou qui ne voient plus maman et papa. Au piano, devant le rideau noir pailleté d’or, une mélodie en mineur, justement : “Maman, Papa”. “La sexualité fait partie de la vie”, dit-il simplement. Il se souvient des premières fois où il a parlé d’amour entre hommes, il y a une dizaine d’années. À part quelques chansons humiliantes au Québec, “ça ne s’était pas vraiment vu”. Depuis, il y a eu Zazie, au début des années 2000, Eddy de Pretto et Pomme ces trois dernières années.

Paloma, 22h50, 7 mai 2022. La salle est debout. La scène est éteinte. La salle est allumée. Il est l’heure de partir. Le piano est toujours là. Debout, le public reste. Applaudissements qui durent. Depuis 2018, Pierre Lapointe n’était pas venu en France. Son public est fervent. On est accro. Vraiment. On applaudit. On tape du pied. Le public est déjà en manque. Plusieurs minutes passent. Le chanteur revient. Le col n’est plus cravaté mais déboutonné. L’artiste, qui vient de passer 90 mn au piano, se montre en chemise blanche et en pantalon noir de costume. Il ne porte plus sa veste. “30 secondes plus tard et vous me faisiez revenir tout nu sur scène. Je suis désolé. Je dois reposer ma voix. Et j’ai des allergies…” Le printemps. 

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