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Danse : le Brésil tout autre de Lia Rodrigues

Des danseurs nu.es, des dizaines de tissus sur scène : à la Vignette, les onze danseur.ses de la pièce Encantado ont fait palpiter une culture afro-américaine enchantée dans ses relations intimes avec les puissances de la nature. Cela pourtant sans jamais sombrer dans le cliché exotique. 

Depuis quelques années, les questions décoloniales ont gagné les plateaux de la danse et de la performance. On y fait droit à l’histoire, aux savoirs, aux revendications aussi, des nations indigènes, dans la singularité de leur rapport au monde -sur le plan spitituel, y compris. Ces peuples ont été massacrés, colonisés, relégués. Souvent cela se combine aussi avec la grande préoccupation écologique. Les artistes brésiliens ne sont pas les derniers à s’exprimer vigoureusement sur ce terrain, avec tout leur contexte amazonien.

Une danse décoloniale au risque de l’exotisme

Or avouons-le, cette vaine artistique nous a mis mal à l’aise à  plusieurs reprises. Une fois transportées dans les réseaux de la diffusion culturelle, et jusque sous les regards occidentaux gavés d’images, il nous a paru que les réalités évoquées risquaient vite de sombrer dans la réinvention d’un exotisme, tout de clichés chamarrés surgis de la forêt, tels qu’on les retrouverait volontiers dans les pages du rutilant magazine Géo. Juste de quoi flatter les vagues bonnes consciences écolos occidentales, ainsi gratifiées de rusticités “authentiques”, d’autant merveilleuses que perçues à grande distance.

Et c’est fou, comme la seule séparation entre une salle de spectateur.ices et un plateau où évoluent des artistes, peut induire une distance considérable, favorable à tant et tant de détournements des angles de vue. Avouons même que ce doute a pu nous tracasser devant certains spectacles précédents de Lia Rodrigues, eux plutôt issus de la rudesses des réalités sociales dans les favelas de Rio.

Ancienne danseuse de Maguy Marin

La chorégraphe brésilienne, déjà bien connue des spectateur.ices de Montpellier danse, nous est récemment revenue avec onze jeunes danseur.ses, au Théâtre de la Vignette (cela en même temps qu’était accueillie Maguy Marin à Grammont. Ce qui ne signifie pas rien, Lia Rodrigues s’inscrivant dans une lignée qui la vit acter en interprète de cette immense chorégraphe française.

Sa nouvelle pièce est titrée Encantado, ce qui signifie en portuguais “enchanté, émerveillé, ensorcelé”. Plus précisément dans la culture afro-américaine (par exemple celle des Guarani Mbya au Brésil), les encantados sont des entités étroitement liées aux éléments naturels, et qui circulent à la frontière des mondes. Ni vivants ni morts, ils incarnent la vitalité de la nature et son mouvement incessant. Ces indications, on les a recueillies sur la feuille de salle distribuée aux spectateur.ices de La Vignette.

Intégralement nu.es

Les interprètes d’Encantado se présentent d’abord intégralement nu.es sur le plateau. Ils s’y engagent l’un.e après l’autre, par les côtés latéraux de la scène. On a connu des centaines et des centaines de situations de nudité sur les plateaux de danse des dernières années. Ainsi a-t-on compris, fort heureusement, que les corps, eux-mêmes produits de la culture, peuvent signifier dix mille choses différentes, même défaits de tout atour vestimentaire. Ces nus initiaux, puis d’ailleurs finaux, d’Encantando, sont en fait extrêmement discrets, feutrés, comme coulés dans le monde. Ils vont l’habiter. Non y faire tapage. Ni s’en emparer.

Sur le plateau, ils vont d’abord dérouler un immense tapis fragmenté, fait de dizaines de tissus, souvent aux allures de simples couvertures à bas prix, qu’on achetait ici chez Tati, certaines vivement colorées de motifs figuratifs de la nature. Cela suffit à inscrire une sorte de matérialité imaginaire du monde. Les interprètes d’Encantando vont s’y glisser, s’y vautrer, s’y dissimuler, s’y enrouler. Tout du long, ils vont s’en faire des masques, des tuniques, des capes, des robes, des prothèses.

Des tissus et des processions

Tout le plateau est ainsi labouré, soulevé, convulsé, déposé, exposé, étiré, vrillé, dans une organicité qui tient autant de l’humain que de la matière empruntée, épousée, transcendée. Il y a là un patient investissement des puissances d’une métamorphose toujours inépuisable, où l’œil spectateur ne sait jamais à quoi s’attendre, qui fait forme peu définie, mais évocatrice, par présences fugitives, traversantes, ou tableaux mirifiques, parfois plus composés.

Cet œil spectateur n’a guère loisir de s’arrimer à une figure confortable d’être reconnaissable. L’humain fusionne en états zoomorphes, en surgissements, figures insolites, possessions passagères. La gestuelle peut être aussi bien saccadée, tranchante, que langoureuse, envoûtante. Cela tient autant  de l’échappée onirique, que de l’immersion carnavalesque, faisant place à des processions de revenants, voire des motifs grimaçants de cabaret.

Un collectif endiablé

Aucune logique hiérarchisante ne s’impose. Surtout jubilatoire, l’état dispensé laisse plutôt essoré. On a rarement éprouvé une telle sensation chahutée entre l’éclat de postures individuelles crânement affichées, et le brassage incessant d’un collectif réuni, endiablé. C’est tout le plateau qui, lui-même, s’anime avec une intensité rare, entre la perspective plane d’un tapis gigantesque et le sursaut du soulèvement volcanique.

La pulsion d’ensemble, portée par des sonorités généreuses, chevauche certes une ligne d’énergie ascendante. Mais au final -on l’a déjà évoqué- l’issue est celle d’un effacement apaisé. On se sera interdit de blesser ce monde qui s’était offert. Puisse cette sagesse être reconduite, tant elle ne prive, pour autant, d’aucune ivresse sensuelle. Juste brésilienne.

Une dernière représentation d’”Encantando” en région est donnée au Cratère, scène nationale d’Alès, ce vendredi 17 février.

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