C’est l’une des plus grandes cinéastes animalières en France. Elle a réalisé une vingtaine de films diffusés dans plus de 130 pays. Parmi ses œuvres marquantes : Tautavel, vivre en Europe avant Néandertal ou encore Trois petits chats, vu par plus de 1,6 million de téléspectateurs sur France 2. Installée à Montpellier depuis trois ans pour son écosystème porteur, Emma Baus y a présenté en avant-première son dernier film, au cinéma Nestor Burma : Le renard qui a sauvé son île, qui raconte, en images réelles et animées, le sauvetage du renard nain de Californie, une espèce menacée après le déversement d’un puissant insecticide dans l’océan.
Le renard qui a sauvé son île, sortie prévue à l’automne.
LOKKO : Ce film raconte comment, à la suite d’un drame écologique au début des années 2000 sur l’île de Santa Cruz, le renard gris de Santa Cruz a frôlé l’extinction. Il suit le quotidien d’un couple de renards en mettant en lumière la richesse de la faune et de la flore locale. Pourquoi vous être intéressée à cette espèce en particulier ? Qu’est-ce qui, selon vous, rend ce renard si singulier, au point d’en faire le héros de votre film ?
EMMA BAUS : J’aime mettre en lumière les liens entre l’humain et la faune qui peuvent donner l’espoir qu’il est encore possible de sauver des espèces menacées autour de nous. Sur cette île, un enchaînement de causes a presque mené à la disparition totale du renard gris, mais une gigantesque opération de conservation a permis de le sauver. C’est une histoire qui donne de l’espoir pour l’avenir.
Et puis, ce renard est particulièrement mignon, et c’est aussi ce qui m’a convaincue d’en faire un personnage principal. Son charisme nous permet d’aborder des enjeux plus profonds, comme le fonctionnement de l’écosystème.
Aviez-vous déjà entendu parler du renard de Santa Cruz avant de lancer ce projet ?
Non, pas du tout. C’est une découverte assez inattendue. Le compagnon de ma productrice, d’origine californienne, a un neveu qui a été le conservateur de l’île, il y a trois ans. C’est lui qui nous a raconté cette histoire. Elle avait déjà été traitée dans quelques articles ou petits reportages aux États-Unis, mais aucun film ne s’était penché sur ce sujet avec une telle ampleur, sur 52 minutes.
Dans le documentaire, vous avez choisi d’intégrer des scènes animées. Quel était l’objectif derrière ce choix, et avec quels artistes ou studios avez-vous collaboré pour les réaliser ?
Assez rapidement, en travaillant sur le sujet du renard californien, je me suis heurtée à la difficulté d’expliquer clairement les interactions avec tous les acteurs positifs ou négatifs de son déclin. C’était très compliqué à expliquer. J’ai alors intégré une minute d’animation pour illustrer le cercle vertueux de la chaîne de conservation de ce renard. Mais, au fil du développement du film, on a élargi le concept : toutes les scènes de flashback sont finalement devenues des séquences animées. Le présent est filmé en images réelles, le passé en animation. Cette double narration permet de mieux comprendre l’évolution de la situation. Nous avons collaboré avec le studio montpelliérain Les Fées Spéciales, et plus particulièrement avec l’artiste Éric Serre.
Le renard des îles est le plus petit renard d’Amérique du Nord avec une longueur de 48 à 50 cm.
L’animation permet-elle aussi de rendre le documentaire plus accessible aux enfants ?
Je fais mes films pour un public large. Ce sont des œuvres tout public, pensées pour être comprises par des enfants à partir de 6 ans, mais qui parlent aussi aux adultes. J’aime l’idée qu’un public familial, transgénérationnel, puisse regarder mes documentaires, ensemble.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les conditions de tournage, et sur le matériel utilisé pour capturer ces images ?
C’est toujours complexe de faire un film animalier. L’enjeu principal est toujours de savoir comment filmer les animaux. Sur l’île de Santa Cruz, les renards ont été domestiqués il y a 13 000 ans. Aujourd’hui, comme ils n’ont plus de prédateurs naturels, ils n’ont aucune crainte de l’homme. On peut les approcher à deux mètres, un peu comme des chats.
Mais ça ne veut pas dire qu’on les voit tout le temps. Nous sommes restés trois semaines sur l’île, et il y a eu des journées entières sans aucune apparition de renards. C’est là que le travail en amont est crucial : on collabore étroitement avec les scientifiques qui nous indiquent les meilleurs lieux et horaires pour les observer, ainsi que les bonnes périodes de l’année.
Les renards sont surtout visibles à l’aube et au crépuscule. On organisait donc des sessions de tournage très tôt le matin, puis le soir. Côté matériel, nous avons utilisé des caméras, des appareils photos et des optiques à longue focale pour faire des gros plans. Pour les prises de vues sous-marines et aériennes, nous avons fait appel à un collaborateur régulier de la réserve naturelle, car ces captations nécessitent des autorisations complexes à obtenir.
Comment le projet a-t-il été financé ? Avez-vous bénéficié du soutien de diffuseurs comme Arte, ou d’autres partenaires publics ou privés ?
Le projet a été financé d’une part par la société, Nord-Ouest Documentaires (ndlr : un budget de 240 000€). Notre premier partenaire, sans qui le film n’aurait pas vu le jour, a été Arte. Ensuite, nous avons obtenu des financements complémentaires du Centre national du cinéma, de la Région Occitanie et de la Métropole de Montpellier dans le cadre du soutien aux Industries Créatives et Culturelles. Cela nous a permis de réaliser toute la post-production à Montpellier.
D’où vous vient cette passion et cette sensibilité pour la nature, l’environnement et les animaux ? Qu’est-ce qui vous a donné envie d’en faire le cœur de votre métier ?
Cette passion pour le cinéma animalier me vient de mon enfance. Je passais mes vacances dans les Pyrénées-Orientales, à la montagne, où on peut voir des cerfs, des marmottes, des aigles. L’été, je faisais du voilier sur la Méditerranée. C’est quelque chose qui m’a beaucoup marquée. J’ai aussi été très marquée par des films comme Out of Africa, qui m’a donné envie d’allier ma passion pour la nature au cinéma.
Vous faites partie des rares femmes à réaliser des films animaliers, en France comme à l’international. Est-ce que cela a représenté un défi particulier de vous imposer dans un milieu encore très masculin ?
Les femmes représentent seulement 5 à 10 % des réalisateurs de films animaliers en France. Je suis fière d’en faire partie. En tant que femme, j’ai une approche différente du cinéma animalier qui est souvent très normé. Je cherche à faire des films plus intimes. Je privilégie aussi les petits animaux aux grosses bêtes. Mais je n’ai jamais ressenti de frein pour aller sur le terrain. En revanche, les films à gros budgets pour le cinéma ou la télévision sont encore exclusivement confiés à des hommes. On espère que cela évoluera.
« Trois petits chats » : un chat peluche qui passe ses journées dans un bar à chats à Tokyo, un chat livré à son sort en Grèce, et un chat de ferme à la campagne, trois vies de chatons.
Quel est, à ce jour, votre documentaire le plus largement diffusé ? Et comment peut-on visionner vos films aujourd’hui ?
Si l’on parle de succès en termes d’audience, il s’agit de Trois petits chats (2016), vu par 1,6 millions de spectateurs. Mes films sont diffusés à la télévision, et ensuite disponibles en replay pendant les six mois qui suivent leur diffusion. En revanche, ils ne sont pas accessibles sur YouTube, car ils font l’objet de multi-diffusions dans le temps, selon les accords de diffusion.
Avez-vous déjà de nouveaux projets en préparation ?
J’ai plusieurs projets en développement, certains déjà soutenus, notamment par la Région Occitanie pour la phase d’écriture. J’ai fait un premier teaser de bande annonce sur le passage du Général Hannibal dans les Pyrénées avec ses éléphants. C’est un film pour lequel nous essayons de trouver du financement. Si celui-ci n’aboutit pas, j’ai d’autres projets, dont je ne peux pas encore vous parler. En général, seul un projet sur trois que j’écris parvient à être financé.
Le site de Emma Baus, ici.
Photo à la UNE @Ema Martins, photos du film ©Nord-Ouest Documentaires