Avec une grande salle d’exposition de 1000m2 creusée sous le parvis, le musée Fabre renouvelle et amplifie sa dynamique en changeant de nom : livré en 2029, le «Grand Musée Fabre» renouera avec les grandes expositions monographiques internationales, sous l’impulsion de sa nouvelle directrice, Juliette Trey. L’institution montpelliéraine, au cœur d’un «quartier du musée» où s’ajoute la chapelle de la Miséricorde voisine, démarre la célébration de son Bicentenaire par une grande rétrospective Soulages, du 28 juin 2025 au 4 janvier 2026.
1000m2 pour les expos temporaires
Plus de 2500 œuvres, tous genres confondus, sont entrées au musée depuis 2007, soit 20% de ses collections. C’est le legs, considérable, de son ancien directeur Michel Hilaire. Pour absorber cette croissance, la vieille dame de la culture montpelliéraine renaît une nouvelle fois : une nouvelle extension du musée pour un budget de 30 millions d’euros entre dans une phase active.
«Un diamant enfoui dans le sol»
Ce sera principalement un espace creusé sous l’actuel parvis Buren : une salle pour les grandes expositions temporaires de 1000m2 (photo) à laquelle on accède par un escalier immaculé. « Un diamant enfoui dans le sol » selon la formule de l’architecte Emmanuel Nebout. Tandis que l’actuel espace dédié aux expositions temporaires sera occupé par les collections d’art moderne et contemporain. Reporté pour cause de tension budgétaire, le chantier qui démarre en 2027, et ne nécessitera pas de fermeture, sera livré à l’été 2029.
Un quartier de musée
La ville exerce une vigilance sur les biens à vendre dans tout le pourtour du musée dans l’idée de construire un «quartier du musée», sur le modèle, toutes proportions gardées, des sites muséaux d’exception que l’on voit à Vienne ou Amsterdam. A côté de l’Hôtel Sabatier d’Espeyran, ouvert en 2010, s’ajoutera désormais la chapelle et la pharmacie de la Miséricorde (la dernière apothicairerie montpelliéraine encore en place avec des faïences de valeur), rénovée.
Une nouvelle direction
Née à Paris, diplômée de l’Ecole du Louvre, Conservatrice générale du patrimoine, Juliette Trey a eu le coup de foudre pour Montpellier, à l’occasion de sa venue, il y a une dizaine d’années, pour préparer une exposition au musée du Louvre sur Edme Bouchardon.
Elle intègre un poste qui est un des rares de la culture montpelliéraine à dépendre statutairement de l’Etat. Ce qui explique sans doute la discrétion de ses directions successives. En charge des peintures du 18è siècle, et des pastels, au musée national des châteaux de Versailles, puis chargée des dessins français des 17è et 18è au département des Arts graphiques du musée du Louvre, elle a un profil solide de curator (elle a assuré le commissariat de l’exposition inaugurale du musée du Louvre Abu Dhabi), plutôt classique, mais elle se dit déterminée à innover : médiation sensorielle, actions hors les murs, dispositif de recherche pour des domaines variés comme l’acoustique, la chimie, l’architecture…
Quand on lui fait remarquer qu’elle change, du Louvre au musée Fabre, d’échelle, elle souligne : «J’ai commencé ma carrière à Versailles puis au Louvre et ce sont presque pour moi des accidents de parcours car j’ai toujours eu envie de travailler pour des collectivités territoriales et pour des musées en région, au plus près d’un public, d’un territoire».
L’expo Soulages
«Plus que tout autre, ce musée a compté pour moi». La donation en 2005, de son vivant, de celui qui était alors l’artiste contemporain français le plus cher, avait marqué un tournant dans ce musée de région, le propulsant à une hauteur internationale. Une singularité aussi : une telle collection est sans équivalent en France parmi les musées des Beaux-Arts, dont la plupart des artistes exposés sont morts. Un espace tout en verre dépoli d’une sophistication rare, joyau du musée.
L’exposition, qui ouvre ce samedi, réunit plus de 120 œuvres -toiles monumentales, œuvres sur papier, cuivres, bronzes, pièces en verre- pour retracer les grands jalons de la carrière de Soulages tout en éclairant les affinités esthétiques et philosophiques qui le reliaient au musée Fabre. En vis-à-vis, par exemple, d’œuvres de Rembrandt, Zurbarán, Courbet, Cézanne, Van Gogh, Picasso, ainsi que les rencontres significatives qui ont émaillé la vie de l’artiste, avec Hans Hartung, ou Zao Wou-Ki. « Soulages la rencontre« , du 28 juin 2025 au 4 janvier 2026.
L’ouverture asiatique, Tibet compris
C’est l’une des grandes nouveautés du musée : un accord passé avec le musée Guimet prévoit de déplacer ses collections à Montpellier, à l’Hôtel Sabatier d’Espeyran, pour un événement annuel sur 4 ans, à partir de décembre 2025. 4 thèmes : «La Chine», «Les mondes indiens», «Le Japon», «Les mondes himalayens». On sait que le musée parisien a fait l’objet de reproches sur l’effacement du Tibet dans ses collections soumis à la pression de la Chine. Interrogée par LOKKO sur ce sujet, Juliette Trey assure : «La notion de Monde himalayen englobe le Tibet, donc il ne s’agit pas d’effacer le Tibet, mais de penser une zone géographique un peu plus large. Et bien sûr, on sera vigilant sur le fait que le Tibet sera bien cité et représenté dans cette exposition».
Des mégas expos d’été
Juliette Trey prévoit de « renouer avec les grandes expositions construites en partenariat, avec d’autres musées français et étrangers, comme ce fut le cas notamment avec l’exposition Courbet en 2008 présentée au musée d’Orsay, au Metropolitan Museum of Art à New York». Ou encore l’expo Caravage, en 2012, un tour de force, jalousé par Paris. Parmi ces grandes expositions monographiques autour d’artistes ou de grands courants d’histoire de l’art :
-Eté 2026 : Pierre Paulin, la poésie en plus sur l’un des plus célèbres designers français. Robes de Courrèges, films de Kubrick et Tati pour signer l’espace dédié à ce designer mort à Montpellier en 2009.
-Eté 2027. Babylone, la reine de Saba, la tour de Babel : toute une mythologie, qui a nourri l’imaginaire occidental, à travers Les Antiquités orientales du Louvre avec lequel le musée Fabre a passé un accord pour valoriser ses collections pendant la longue fermeture du musée parisien pour travaux. Des collections visibles pour la première fois dans le Sud de la France.
-Eté 2028 : Quand ils vivaient à Arles, Van Gogh et Gauguin sont venus voir le musée Fabre. Ce voyage de 1888 les a marqués. Pour preuve, le fameux tableau Bonjour Monsieur Courbet inspirant ce Bonjour Monsieur Gauguin qui se trouve à Prague. L’expo Van Gogh et Gauguin à Montpellier en rend compte.
-Eté 2030. Il existe 2 versions de Femmes d’Alger dans un appartement : l’une, plus grande, au Louvre et l’autre au musée Fabre. Delacroix et la modernité inaugurera les nouvelles salles d’expositions temporaires.
Une expo sur le rose. Juliette Trey repense les expositions d’hiver «davantage construites avec les collections permanentes, plus thématiques et transchronologiques » souligne-t-elle à LOKKO. En projet, une collection sur la couleur rose, inventée au 18ème siècle, « vue au prisme du genre » (hiver 2028). D’autres expos à venir : sur l’univers de l’écrivain américain Lovecraft et une collaboration avec les étudiants des Beaux-Arts.
200 ans
La naissance du musée est attestée par la lettre qui scelle, en 1825, la donation du collectionneur montpelliérain François Xavier Fabre à la ville, qui va construite un musée pour l’accueillir, inauguré 3 ans plus tard. Voilà pourquoi ce bicentenaire s’étale sur 3 ans, de 2025 à 2028, en labellisant les grands temps de sa programmation.
A hauteur d’enfants
Une des innovations du mandat de Michael Delafosse : une politique «à hauteur d’enfants», sous le patronage du sociologue-star italien, Francesco Tonucci. Avec, à la rentrée 2025, l’élargissement à l’ensemble des écoles et des centres de loisirs de la métropole du dispositif «Les enfants ambassadeurs». Le principe est simple : une année entière par classe ou groupe de travail sur la même œuvre du musée sous diverses formes (podcasts, dessins…)
«Le musée de tous les Montpelliérains»
Sans viser de hausse draconienne de la fréquentation (220 à 250 000 visiteurs par an), Juliette Trey veut faire «évoluer sa typologie». En particulier vers les plus jeunes, les adolescents et les publics qu’on dit « défavorisés, ceux qui imaginent que leur place n’est pas forcément au musée». Son souhait : que le musée Fabre « soit le musée de tous les Montpelliérains. Nous travaillons à des solutions de médiation dans le cadre du dispositif Musée sans exception qui rendront le musée véritablement accessible à tous les types de public ».
Un nouveau café-restaurant, une librairie
Des nouveautés : un café-restaurant ouvert le soir -BOCA-, et une nouvelle librairie-boutique qui ouvre à l’occasion de l’expo Soulages, dans un ensemble extérieur végétalisé.
Ce que ça coûte
Le chiffre 3 est décidément emblématique de la culture montpelliéraine. Du CDN au Printemps des Comédiens jusqu’au musée Fabre ou à Montpellier Danse, on retrouve ce chiffre. Une seule exception : l’Opéra-Orchestre national de Montpellier (plus de 20 millions d’euros de budget).
Le Musée dispose d’un budget annuel d’environ 3,5M€ (hors ressources humaines). Ce budget serait maintenu même s’il n’inclut pas la hausse des frais de gardiennage et de transport des œuvres. Des frais à forte inflation qui pèsent sur les structures.
Le coût du «Grand Musée Fabre» dans sa nouvelle version s’élève à 23,5 millions d’euros d’investissement pour le musée lui-même (sa rénovation en 2007 avait coûté 60 millions d’euros) et 6,5 millions pour la Miséricorde, financés avec l’aide de l’Etat et de la Région. Ce musée amplifié ira chercher des concours du côté de l’Europe pour mettre à niveau son fonctionnement. Sans doute, un des derniers grands projets structuraux de la culture à un tel niveau.
Photos du musée @atelier d’architecture Emmanuel Nebout, photo de Juliette Trey @L Severac.