Journal de Montpellier Danse 2025 entre ombre et lumière

45ème édition de Montpellier Danse, la première sans son directeur Jean-Paul Montanari. Récit et ressenti entre spectacles, cocktails, hommage, et cours de danse, entre passé, et présent, ombre et lumière.

Si le festival était un objet, il serait un éventail. Ils sont fabriqués chaque année aux couleurs de l’affiche. Rose et jaunes en 2025. Le soir de l’ouverture, dans l’Opéra-Comédie mal climatisé, on aurait dit un concours d’éventail, une grande volière. Il n’y a pas de souvenirs de Jean-Paul Montanari, son défunt directeur, sans son éventail.

Le festival 2025 est singulièrement plombé : par la mort de son directeur, événement considérable tant il faisait partie de l’ADN de la ville, puis l’annulation de la Batsheva. Malgré la clarté de ses positions contre Netanyahou, la compagnie israélienne de Ohad Naharin a été l’objet de protections hallucinantes à chaque fois qu’elle est venue, jusqu’à bloquer le quartier et le tram, la ville grouillant de forces de l’ordre ! Qu’en aurait-il été dans le contexte actuel ? Mais la guerre avec l’Iran, bloquant l’aéroport de Tel Aviv, a réglé le suspens.

Il est pourtant joyeux ce festival 2025, tous ses rituels bien vivants, son décor de pierre blonde à l’Agora, forteresse aux grilles stressantes, bien là, survolée par les martinets. Ses bruits de mobylette pétaradante pendant les spectacles dans son théâtre de plein air. Les chansons sur RMC à tue-tête qui perturbent les conférences de presse se tenant immuablement dans un des jardins de l’Agora, au cœur de l’écusson vivant.

Chaque année se retrouve toute une communauté d’artistes -600 accueillis en 45 ans-, de journalistes de la presse internationale et nationale dans ce qui fut un couvent puis une prison, devenu le bastion de cet art éphémère, la danse, discipline-reine à Montpellier, par laquelle tout a commencé.

Il y a la danoise Vibeke, qui vient depuis des dizaines d’années et se demande si le festival va continuer. Vu de Copenhague, ça n’avait pas l’air évident. Il y a Agnès Izrine du magazine Danser, et sa longue chevelure blonde frisée de conte de fées, une sœur pour Montanari. «Il me manque. On s’appelait tout le temps», confie-t-elle à la station de tram Louis Blanc, de laquelle elle va rejoindre l’Hôtel du Palais. Il y a Laura Capelle, bilingue à la perfection, correspondante du New-York Times en France qui a écrit une formidable Histoire dessinée de la danse au Seuil.

Une ambiance de village gaulois : dans un pays en paix, dans une ville qui ne martyrise pas la culture, les exceptions s’emboîtent en défiant le tragique absolu, obsédant et grotesque du monde. Un festival où l’on voit un chorégraphe iranien, Armin Hokmi, embrasser un israélien Hofesh Schechter. Des danseurs sur les scènes de toutes les couleurs face à un public qui en manque un peu. Les journalistes parisiens, en fréquentant Montpellier, sont parvenus à se défaire d’une condescendance pourtant bien tenace, toujours étonnés par l’écosystème montpelliérain avec un Maire qui cite dans ses discours le grand sociologue allemand Max Weber et son livre Le savant et le politique (et paraît chez lui à Montpellier Danse alors qu’il s’est éclipsé tout de suite après le spectacle à la première du Printemps des Comédiens).

La Ministre de la culture devait venir dévoiler la plaque du nouveau nom de la cour de l’Agora (la cour Montanari), dans ce magnifique cloître au sol de sable, mais elle s’est décommandée au dernier moment. Lors du cocktail d’ouverture, le dimanche 22 juin, dans cette même cour, un sénateur socialiste faisait remarquer que plus aucun ministre n’était venu depuis Aurélie Filippetti, il y a dix ans. «Jean-Paul se plaignait de ça. Il regrettait que les Ministres ne se déplaçaient même plus pour voir les spectacles». Ah ! Les cocktails nocturnes de Montpellier Danse, so chic ! On y trouve toutes sortes de gens importants, comme Daren Tullet de Being Sports (?) pris en photo par un jeune du festival.

Avec les « Leçons de danse » en extérieur, ça danse partout, au Peyrou, sur le parvis du musée Fabre. Mais on attend avec impatience les idées de la nouvelle direction pour que le festival se voit plus franchement dans la ville. Dominique Hervieu et Pierre Martinez ayant travaillé ensemble au fameux défilé géant d’amateurs de la Biennale de la danse de Lyon puis aux Olympiades culturelles des Jeux olympiques 2024, il devrait y avoir des petits changements dans ce registre. Ça danse de bon cœur, sans timidité. Dans leur «Leçon de danse» dans la cour de l’Agora, Camille Boitel et Sève Bernard ont invité les Montpelliérains à bouger autour de ce thème : «Bien sûr, nous nous parlerons mais seulement quand nous n’aurons plus rien à ne pas nous dire». Pas évident…

« Quelle est l’importance des artistes dans le climat social et politique complexe d’aujourd’hui ? » s’est-on interrogé dans une rencontre intitulée «L’art et l’urgence». Formulé autrement : comment les artistes peuvent-ils encore croire qu’ils peuvent changer le monde ? Cette manière très montpelliéraine de voir intensément la danse comme sismographe de l’époque, de la politiser, c’est Montanari et cela reste unique. Les artistes de cette édition y ont formidablement répondu.

Éblouissant Nederlands Dans Theater, et ses 27 danseurs, dont les semi-remorques garés à l’arrière du Corum feraient presque peur, et éblouissante composition écologiste entre théâtre et danse, construite par ceux que la directrice artistique du ballet a appelé «deux génies» : de fait, la chorégraphe canadienne Crystal Pite et le metteur en scène et auteur britannique Simon Mc Burney, qu’on a eu la chance de voir au Printemps des Comédiens, ont produit un Don’t Look up chorégraphique qui a marqué les esprits (danseuses et danseuses en costume ci-dessous).

Changer le monde ? Dans une de ces «petites» formes dans des lieux plus alternatifs, souvent passionnantes, en marge des grandes productions à l’Opéra Berlioz -et leur étrange message d’accueil tout en anglais par une voix d’aéroport-, les danseurs de Eric Minh Cuong Castaing ont ému, servant de prothèse humaine à deux personnes «à mobilité réduite», calés, collés derrière eux pour les animer (photo en bas à gauche).

La danse reste un jeu d’enfants nous ont rappelé Camille Boitel et Sève Bernard qui ont eu le redoutable honneur d’ouvrir le festival avec leur proposition perchée. Bel éloge de la chute. Ce qu’ils appellent «apprivoiser l’accident», un chaos réglé au millimètre, avec un décor qui s’écroule dès le début du spectacle. Quelle jolie manière de parler de ce qui vacille en nous parfois, pas seulement géopolitiquement (les saluts sur la photo).

(Entre parenthèses : on ne voit pas bien ce que le public a trouvé au Thikra de Akram Kahn (en conférence de presse, deuxième photo en partant du haut), dans un décor qu’on annonçait somptueux de la grande artiste saoudienne Manal Al Dowayan, en réalité une sorte de grotte en papier mâché. Un rituel sacrificiel puisant «aux sources de la danse traditionnelle indienne» un peu trop taillé pour le public occidental malgré ses magnifiques danseuses.

La danse est aussi un jeu d’écriture comme l’ont brillamment démontré les «Friends of Forsythe», une bande de chorégraphes réunis par le grand William Forsythe avec le chorégraphe californien Raoul Yasit, qui se sont adonnés aux joies de la recherche créative dans un stylisme chorégraphique et viril de haute tenue -5 hommes, 1 femme- fusionnant les genres -danse trad albanaise, hip et hop et danse classique-. En conférence de presse, Raoul, grosse moustache, d’origine kurde, a préféré, parler du «fun» qu’il y avait à danser avec ses amis en cherchant des langages communs sans se prendre la tête. «Si on écoute tout le monde, il n’y a qu’un chemin pour la création» (photo en haut à droite).

La danse est lignes, parallèles, trajets, abstraction charnelle dans des incarnations de rêve parfois. Ici, la danseuse Katherina Jitlatda Horup Solvang, en solo dans la cour de l’Agora sur une proposition de Armin Hokmi.

On navigue, un éventail à la main, entre ces corps entre effondrement et renaissance, entre jour et nuit, passé et présent.

Montpellier Danse est une machine bien rôdée, millimétrée, puissante. Qui a vendu une grande partie de ses places dès les premiers jours d’ouverture de sa billetterie. Qui a quelque chose d’insubmersible. Malgré les mille petits ennuis du quotidien, passé le coup de massue de l’annulation de la Batsheva, l’équipe ne craint plus que la pluie. Pas encore entré en fonction, discrètement, «le quatuor royal qui remplace le roi» selon la formule de Michaël Delafosse, vit le festival sans en perdre une miette : Dominique Hervieu, Pierre Martinez, Jann Gallois et Hofesh schechter. «Hofesh» est l’un des plus célèbres chorégraphes internationaux, sa danse est tellurique, et virulente, mais, lui, paraît si réservé, presque timide. Dans l’ancien bureau de Jean-Paul Montanari, la nouvelle direction a répondu aux questions de LOKKO pour un podcast à paraître en début de semaine prochaine (photo ci-dessus).

Jean-Paul Montanari, qu’on s’attend à croiser à chaque coin de l’Agora, a choisi de partir quinze jours après leur nomination. L’hommage qui lui a été rendu dans la cour de l’Agora -par Mathilde Monnier, souveraine sur Gigi l’Amoroso de Dalida, Fabrice Ramalingom dansant habillé en vert, une couleur que Montanari détestait («elle porte malheur !»), Salia Sanou accompagné de Babx, avec sa merveilleuse chanson Prendre soin– a été l’aboutissement d’un processus collectif de deuil, dans une ville qui aime les rituels.

Le roi est mort, vive le « quatuor royal ».

Montpellier Danse, jusqu’au 5 juillet 2025.

Photos @LOKKO, @Montpellier Danse.

S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Articles les plus lus

0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x