Ancien journaliste de Midi-Libre, et désormais «jeune auteur de 71 ans» selon sa formule, Jean-François Bourgeot met sa belle aisance d’écriture au service d’un tueur à gages amoureux dans «Les requins ne se plaignent pas quand ils ont la migraine».
« Matthieu Danton dort mal. Comme à chaque veille d’exécution. Le même rêve revient, pénible, un peu rasoir et très inconfortable mais qu’il n’échangerait contre aucun autre. Dans les brumes inexplicables, le visage de sa mère, si jeune encore et si belle, apparaît, lumineux et mélancolique, puis disparaît pour mieux revenir, sous la forme d’un visage de sorcière comme échappée de McBeth. Elle disparaît, une dernière fois, avec un ricanement muet -pourquoi les rêves font-ils aussi peu de bruit ?-, et en général c’est là qu’il se réveille. Il se réveille, ni en nage, ni bardé d’angoisse. C’est juste un rendez-vous manqué. Pas de quoi consulter. Sa mère était morte quand il avait quatorze ans. Une mort violente jamais vraiment élucidée au gré de pistes vagues et effilochées. Le meurtrier avait trouvé des bijoux, un peu d’argent liquide et c’est à peu près tout… »
Après Michel Crespy, Hubert Corbin, Lilian Bathelot, Bud Rabillon, Frantz Delplanque, Michel Moatti, voilà qu’un autre montpelliérain met lui aussi sa plume au service du polar : Jean-François Bourgeot. Des années au service de la chanson mais surtout du cinéma au sein du quotidien régional. Il avait aussi succédé à Pierre Pitiot à la direction de Cinémed jusqu’à l’arrivée du maire Philippe Saurel, qui l’en avait débarqué.
Son tueur à gages vaut le détour. Un homme à jamais marqué par la mort violente de sa mère, qui se retrouve à incarner à l’écran son propre rôle, ce tueur que la police poursuit. Au même moment, l’amour frappe à sa porte, pour ne rien arranger de la mise en abyme périlleuse de sa vie.
Evidemment, quand on connaît l’auteur, il est assez amusant de trouver dans ce livre un certain nombre d’indices. D’abord, Paris où il situe le décor de son récit. Né en périphérie de la capitale, certains quartiers n’ont pas beaucoup de secrets pour lui. Ravi d’apprendre par exemple qu’il existe dans le Xème arrondissement une rue répondant au nom de rue Marie et Louise. Pas forcément un classique dans la boîte de « Monopoly ». Pas loin, ont résonné les attentats du 13 novembre 2015 au « Carillon » et au « Petit Cambodge ».
Montpellier aussi, bien sûr. On voit qu’une soirée hommage à la grande Marceline Loridan-Ivens, un soir au CDN des 13 Vents, est encore vive dans la mémoire de l’auteur.
Mais aussi le Portugal où Bourgeot vit désormais, la plupart du temps. On se demande assez vite si l’on va poursuivre le voyage vers l’Inde, horizon aimé, mais il faut patienter jusqu’à la toute fin du bouquin pour humer les parfums de Pondicherry. Comme le chantait Guy Béart dans « Chandernagor » : « Pas question dans ces conditions d’abandonner les Comptoirs de l’Inde ».
De Béart, il n’est point question ; en revanche de son copain de cabaret -époque « Trois Baudets »-, Georges Brassens, si. Et à différentes occasions. Gageons que dans le prochain opus, les requins T2, il y aura une petite place pour faire figurer les 4 de Liverpool dont il est fan.
Il est aussi question du Lider Maximo de la France Insoumise mais pas de façon obsessionnelle. Du locataire élyséen actuel aussi un peu. On comprend que le héros narrateur a pu être séduit. Un temps. Le conflit russo-ukrainien et son « opération spéciale » en Poutine dans le texte se retrouve en filigrane à travers les pages où se surimpriment les obsessions, les impressions d’une vie.
Le cinéma n’est pas loin non plus, forcément. Jean-Pierre Melville, François Truffaut, Sergio Leone résonnent au fil des 227 pages et avec eux, un solide amour du 7ème art. Tout comme le mythique Dahlia noir de James Ellroy, le héros a été témoin de la mort violente de sa mère assassinée. A ceci près que l’américain parlait à la première personne.
Riche idée de scénario le serial killer qui devient acteur, très vraisemblable dans le maniement d’un flingue, et support d’une méditation fine et nourrie sur le cinéma, tout autant que sur la virilité académique et de la vulnérabilité du vieux mâle blanc dans un monde qui change…

«Les requins ne se plaignent pas quand ils ont la migraine», Jean-François Bourgeot, Le Lys Bleu, 19,90€.
Un très bel article qui donne envie de lire le livre de Jean Francois Bourgeot.
Très bel article qui donne furieusement envie de découvrir ce « jeune auteur de 71 ans » et son univers!
Toujours curieuse de lire de nouveaux talents, je vais de ce pas commander « les requins ne se plaignent pas quand ils ont la migraine »!
Marie Jordan