La soul contemporaine et féministe de Sandra Cipolat 

Membre du Collectif de jazz montpelliérain Koa, Sandra Cipolat a sorti en mai dernier un nouvel EP Human, aux côtés du bassiste Pablo Auguste et du batteur Arjuna Mairiapin : une soul moderne dont l’électronique sert à l’harmonie. Les textes sont autobiographiques et résonnent avec les combats féministes actuels. Un projet qui vient d’être sélectionné au concours de la Défense Jazz Festival.

Depuis qu’elle s’est établie à Montpellier, la perpignanaise Sandra Cipolat, fille d’un peintre et sculpteur italien et d’une mère chanteuse de jazz, multiplie les succès. En 2018, elle a été la pianiste de la première édition du GRÔO sous la direction de Fred Pallem, qui l’a rappelée l’an passé pour jouer dans son grand orchestre rendant hommage à Claude Nougaro. En 2019, elle obtient son DEM de jazz et de musiques actuelles au CRR de Montpellier avec mention Très bien, à l’unanimité. En 2021, son trio est lauréat du tremplin Jazz 70-Nîmes Métropole Jazz Festival, puis en 2023, du dispositif «résidence de création» d’Occijazz. Faisant partie des 6 groupes sélectionnés pour le 48e Concours National de Jazz à La Défense, elle s’est produite sur la scène de La Défense Jazz Festival, les 25 et 26 juin 2025 derniers. 

À l’écoute des premières mesures de son EP Human, dont la release party a eu lieu au JAM en mai, on est surpris par les chœurs polyphoniques que Sandra Cipolat exécute avec sa voix, avec une tessiture qui impressionne, et aidée d’un logiciel de MAO : une cascade d’accords dans laquelle on plonge instantanément, des matriochkas vocales qui s’emboîtent parfaitement, et rappellent les vidéos kaléidoscopiques du britannique Jacob Collier, adepte de ce procédé, qu’elle cite comme l’une de ses principales influences.

De la modernité à la soul

Dès lors, on comprend que Sandra Cipolat aspire à apporter de la modernité à sa soul -comme Stevie Wonder du temps de son chef d’œuvre Songs in the Key Of Life– en utilisant les technologies de son époque, non pour se pavaner d’être à la page, ou masquer quelques lacunes que ce soient, mais pour sublimer ses mélodies, apporter toujours un peu plus d’harmonie à celles-ci, et signifier, à celles et ceux qui l’ignoreraient encore, que le jazz est une musique actuelle.

Le choix de L’ARP Odyssey et du clavier Nord Stage pour s’accompagner, dont elle joue avec la facilité d’un Anomalie -artiste nu-jazz montréalais qui a le vent en poupe à l’international-, forte d’une formation classique puis d’un apprentissage du jazz au Collège Saint Louis de Rome qui compte parmi les établissements musicaux les plus réputés d’ Europe, vont aussi dans ce sens. Ils servent à la fois de liant à ses chants (chant appris en autodidacte), de déclencheur et de faiseur de plages atmosphériques ou de grooves entêtants.

Deux sérieux acolytes sont à ses côtés dans cette entreprise qui a maturé lors de résidences avant de passer en studio : le bassiste Pablo Auguste, moitié du De Phase (plébiscité par Gilles Peterson), et le batteur réunionnais Arjuna Mariapin, passé par le Berklee College of Music et pour qui les rythmes ternaires n’ont aucun secret.

La voix des femmes

On est obligé de se passer plusieurs fois les cinq morceaux que composent Human -d’une durée de 35 minutes au total- pour en saisir tous les ponts et la richesse musicale. Ce qui n’est pas pour nous déplaire. Mais l’intérêt de ce nouvel EP se trouve aussi dans les textes autobiographiques de Sandra Cipolat.

Go Blow Yourself, en ouverture, aborde le harcèlement scolaire que la trentenaire a subi quand elle était enfant.

Dans Waste of Love, aux envolées cathartiques, elle évoque les violences psychologiques et physiques qu’elle a vécues dans une précédente relation. Une expérience humaine douloureuse dont elle dit aujourd’hui avoir fait une force et dont la mise à nu servira peut-être à mettre en garde quelques consœurs.

Dans The Painter, on entend la voix de sa grand-mère, née en 1918, dont elle s’est inspirée. C’était «une artiste incroyable, libre et lumineuse, qui a été mon tout premier modèle féministe (..) elle a défié les normes de son époque, utilisant la peinture comme un moyen d’exister, de s’exprimer, de résister dans un monde qui voulait souvent faire taire les femmes».

Si le timbre de voix, le phrasé et la sensualité de Sandra Cipolat font penser par endroits à la chanteuse Nai Palm du groupe australien Hiatus Kaiyote, qui comme elle connaît tous ses classiques néo-soul post-Baduizm, le fait qu’elle soit pianiste et qu’elle chante les injustices subies par les femmes la rapproche davantage d’une Nina Simone qui aurait vécu à l’ère #Metoo. On se dit que si Quincy Jones avait toujours été là, il l’aurait peut-être remarquée, au hasard de quelques post Insta, comme il avait remarqué Jacob Collier à ses débuts. Mais après tout, la claviériste messine DOMi, qui navigue dans les mêmes eaux que notre languedocienne, n’a pas eu besoin de l’accréditation du Q pour pouvoir toucher un public au-delà de nos frontières. Tout reste possible. Le talent est là en tout cas.

Sandra Cipolat sera au Festival sous les galets le jazz, à Banyuls-sur-mer, le 25 juillet.

A écouter, ici. 

Photo solo @Laurent Vilarem, photo du groupe @Laura Plateau.

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