Ils ne se quittent plus. L’un est danseur, chorégraphe et directeur du Centre chorégraphique national de Nantes, ancien compagnon de route de Mathilde Monnier. L’autre danseur, chorégraphe, DJ et directeur artistique de Swinging Montpellier. Tous deux montpelliérains. La rencontre de Salia Sanou et Rémy Kouakou Kouamé s’est incarnée dans un « bal participatif » sur l’esplanade, dimanche, en clôture de l’événement M28-Chemins du vivant faisant la jonction avec la deuxième Biennale Euro-Africa. Une collaboration s’engage.
Salia Sanou, né au Burkina Faso, est sobre et secret. Rémy Kouakou Kouamé, né à Montpellier d’un père ivoirien, est un MC extraverti. Le premier fait partie de l’élite de la danse contemporaine. Le second est champion de France et champion du monde de Boogie Woogie. La rencontre de ces deux Montpelliérains devrait faire des étincelles.

Dans sa chorégraphie D’un rêve (2021), évoquant l’évolution du corps noir, Salia Sanou dansait du « jazz authentique », la danse afro-américaine solo des années swing (1920-1940). Cette danse que promeut précisément Rémy Kouakou Kouamé, figure du swing montpelliérain dont on connaît plutôt la danse de couple, le bondissant Lindy hop. Son intérêt pour cette danse, Salia Sanou en parle à Agnès Robin, l’élue à la culture de Montpellier, qui lui recommande de rencontrer le directeur artistique du festival Swinging Montpellier.
Une invitation est lancée à Salia Sanou (dansant ici avec Nancy Huston, dans Multiple-s) de venir à Swinging Montpellier, en juillet dernier. Retenu au festival d’Avignon, le nouvel ami fait le trajet tous les jours pour participer au festival, 4 jours durant, sans demander de cachet. Le chorégraphe burkinabé se dira bluffé par cette déferlante swing montpelliéraine (Rémy Kouakou Kouamé danse ici avec Alice Mei).

Pour la finale des « Chemins du vivant », événement organisé dans la continuité de M28, le 5 octobre, les deux danseurs ont chacun fait bouger le public dans un happening particulièrement joyeux sur l’esplanade, où Rémi Kouakou a montré ses talents d’ambianceur.
En retour, Salia Sanou a invité Rémy Kouakou Kouamé à venir entraîner les danseurs dans le cadre de ses nouvelles fonctions de directeur du Centre chorégraphique national de Nantes. Un travail avec les scolaires va être mis en place. Une création commune est envisagée. Juste reconnaissance d’un danseur d’exception, encore à la marge de la danse à Montpellier.
Le « corps archive »
Ils ont tant en commun. Ils prennent souvent l’avion… Rémy Kouakou Kouamé pour des compétitions de swing dans le monde entier. Salia Sanou, lui, mène une carrière internationale spectaculaire qui passe souvent par la Termitière qu’il a fondée, à Ouagadougou. Un pôle de la danse contemporaine en Afrique.
Ils sont porteurs d’une même envie de danse hors les murs, à rebours de la tentation d’enfermement des danses en Occident. Le festival de swing a lieu au Peyrou sous le ciel d’été, cadre inspirant d’une frénésie très particulière de centaines de danseurs. Ce qui est unique dans la planète swing mondiale. Salia Sanou, qui a appris à danser dans la cour de son village natal, a pris l’initiative de bals grand format dans l’espace public, rêvant de renouer avec l’ambiance de la mythique rue Princesse à Abidjan et son kilomètre de bars dansants.

Une table ronde auquel ils ont participé tous les deux, samedi dernier, à La Vignette, « Danses afro-descendantes : Circulations, mutations, relations », organisée par Salia Sanou et Pénélope Dechaufour -avec son laboratoire de recherches en sciences humaines, le RIRRA 21-, a permis de mieux comprendre les enjeux de cette alliance. De l’exploration commune d’une Africanité revisitée à partir de la merveilleuse terminologie de Sylvie Chalaye, anthropologue des représentations coloniales et historienne des arts du spectacle, sur le « corps archive ».
« Je vais dans l’autre sens »
« Moi qui suis devenu un danseur contemporain, je vais dans l’autre sens » a expliqué Salia Sanou, premier Africain à la tête d’un CCN en France, qui explore pas à pas son afro-descendance. A propos de sa dernière et somptueuse création à Montpellier Danse, sur des fugues de Bach à l’africaine, la critique a parlé d’ailleurs de «la créolisation» de cette danse.
Une formule que Rémy Kouakou Kouamé pourrait faire sienne : venu du hip hop, il est un des défenseurs en France de la mémoire du swing, danse-mère, patrimoniale, actuellement en pleine réappropriation culturelle. Vigilant sur sa «fétichisation» : «on devient une sous-culture alors que tout part de nous». Et opérant une jonction avec les danses urbaines d’où il vient.
Des passeurs, des métisseurs.
Leurs contacts : Salia Sanou sur Facebook, sur Instagram, et via le site du CCN de Nantes. Rémy Kouakou Kouamé : sur Facebook, sur Instagram. Via le site du Swinging Festival.
Dans le cadre de la Biennale Euro-Africa, Salia Sanou propose une création hybride avec Ange Fandoh, chanteuse et compositrice et Nicolas Clauss, artiste et vidéaste, interprétée en physique et à distance avec des danseurs et danseuses du Cameroun. Samedi 11 à 20h, Agora, Cité internationale de la Danse.
Photo à la UNE @Swinging Montpellier, photo de Rémy Kouakou Kouamé avec Aline Mei @Swim Out Costa Brava. Photo de Salia Sanou et Nancy Huston @Christophe Péan.