Au dernier Festival de l’info locale à Nantes, Christophe Rauzy, le rédacteur en chef adjoint de La Dépêche a fait sensation en expliquant comment l’intelligence artificielle, en l’occurrence l’outil de prise de note NotebookLM de Google, a été intégré au travail des journalistes suivant l’affaire Jubillar.
«L’IA nous a même aidés à retrouver le 06 d’un témoin-clef». L’exposé de Christophe Rauzy a fait salle pleine au Festival de l’info locale à Nantes qui a réuni cette année plus de 400 participants, 74 intervenants (dont LOKKO) et une centaine de médias locaux. Et donné la mesure de l’engouement des professionnels et de leur ambivalence vis à vis de l’IA… Au FIL, les ateliers sur l’intelligence artificielle ont été plébiscités tandis que les représentants de Google France faisaient oeuvre de pédagogie. A l’image de Faten Dubarry, directrice des partenariats News pour la France, le Moyen-Orient et l’Afrique chez Google, partenaire du festival, se voulant rassurante : “L’IA est un levier pour renforcer le journalisme, non le remplacer” (lire ici).
Automatisation du secrétariat de rédaction, de la correction orthographique, version audio des articles de presse : l’IA est déjà au cœur de la fabrication de la presse alors que d’énormes questions éthiques se posent et sont vertigineuses : la vampirisation des données protégées par le droit d’auteur, notamment. Sans oublier les faux sites d’informations générés par IA. Lire cet article instructif de Options, le journal de l’Ugict-Cgt à ce propos. Cette nouvelle technologie, comme l’a souligné le Syndicat national des journalistes (Snj-Cgt) arrive «dans un contexte de profonde crise de la presse» alors que les effectifs des journalistes ont déjà reculé de presque 10% entre 2013 et 2023.
700 articles traités par IA
A La Dépêche du Midi, on s’est lancé à fond dans l’aventure avec NotebookLM. Sortie en 2023, NotebookLM est une application web de recherche et de prise de notes développée par Google Labs. Elle utilise l’intelligence artificielle, en particulier Google Gemini, pour aider les utilisateurs à interagir avec leurs documents.
Un outil que connaissent bien les chercheurs, les journalistes et les étudiants. La conversion d’un enregistrement audio en texte en seulement 2 à 3 minutes est un de ses multiples aspects -à ce jour, un des meilleurs outils de retranscription-. NotebookLM propose aussi une conversation en langage naturel entre deux personnes à partir d’un article, un texte tout simple. Ou encore la personnalisation visuelle du même contenu. C’est ce qu’on appelle des Video Overviews, des résumés vidéo générés automatiquement à partir de sources textuelles.
S’il séduit tant les journalistes c’est aussi qu’il a été conçu par l’un d’entre eux : Steven Johnson, un éditorialiste du New York Times, auteur de livres scientifiques, approché par Clay Bavor, alors patron de Google Labs, et Josh Woodward, vice-président de Google « pour développer un nouvel outil de recherche basé sur l’IA ». C’est à partir de sa propre expérience que des journalistes ont importé leurs notes, parfois écrites à la main sur un bout de table, dans NotebookLM.
Les 5 objets de l’affaire Jubillar
C’est ce qu’ont fait les journalistes de La Dépêche : ils ont importé 700 articles, sous forme de pdf, les notes et les documents réunis depuis 5 ans par la dizaine de journalistes suivant l’affaire Jubillar. Il a fallu du temps pour que la machine avale les données mais une fois le remplissage terminé, les réponses ont fusé, « en un éclair », a souligné Christophe Rauzy. «Ensuite, on a pu converser et demander de creuser des points précis sur des périodes données. Nous lui avons demandé quels étaient les 5 objets qui comptaient le plus dans cette affaire. La fameuse couette a été mise en évidence. On a pu retrouver tout ce qui avait été écrit ou analysé sur cette couette et que l’on avait omis ou sous-estimé». Encore plus fort : NotebookLM a donné à l’équipe le téléphone portable d’un témoin qui était enfoui dans les notes.
Autre demande faite à NotebookLM : «les 10 questions que l’on peut se poser sur cette affaire ?». «L’IA nous aide à trouver des angles nouveaux, nous donne une capacité de recul», a analysé le patron de la rédaction toulousaine. La fonction carte mentale a permis de visualiser clairement la liste des preuves matérielles. «La possibilité de résumés vidéo nous a bluffés, mais attention», a-t-il souligné, «nous ne faisons pas de copié-collé, les articles sont intégralement écrits par les journalistes».
Une inquiétude s’est exprimée au journal : la sécurité des données. Mais NotebookLM, contrairement à Gemini, un agent IA en open source de Google, est un coffre-fort.
Pour nous, c’est « une véritable accélération du temps de journaliste » a conclu Christophe Rauzy. «Difficile de mesurer en terme d’audience mais l’utilisation de l’IA nous a donné du temps de journalisme » a t-il conclu, sans cacher une certaine « fascination ». D’autres secteurs que le faits divers, le sport particulièrement, ou les questions climatiques, devraient être, eux aussi, assistés dorénavant par l’IA.
A la question posée : Jubillar est-il coupable ? L’IA a refusé de répondre. Verdict, ce 17 octobre, dans un tribunal réel.
(*) Delphine Jubillar est une mère de famille qui a disparue dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020 à Cagnac-les-Mines, dans le Tarn. Demeurant introuvable malgré les recherches, sans corps, sans aveu et sans scène de crime identifiable. Son mari, Cédric Jubillar, est le principal suspect dans cette enquête criminelle. Au terme d’un procès retentissant, il encourt 30 ans de prison.