Check Morris, duo de graphistes bankable au festival Dernier cri

Mathias Pol et Nico Motte forment Check Morris, un studio parisien de design graphique spécialisé en direction artistique, typographie et illustration. Repentis du monde de la publicité, ils créent depuis deux décennies un univers qui a les faveurs de cinéastes, Quentin Dupieux en tête, et Nadav Lapid, réalisateur israélien de Oui ou encore Alain Guiraudie. Orchestrée par le curateur Baston Créative à l’occasion des dix ans du Festival Dernier Cri, deux expos leur sont consacrées à Tropisme et chez Barri (*).

Le bac en poche, l’envie d’intégrer les Beaux-Arts est là, mais un BTS en Communication visuelle rassure davantage les parents -et la conscience, en termes de débouchés. Puis, une fois le nid quitté, il faut satisfaire le propriétaire et l’épicier avec une paie mensuelle. Dans ces impératifs, pas de place pour l’art.

Comme nombre de néo-réalisateurs ou de réalisateurs réputés endettés qui acceptent des projets de commande aux antipodes de leurs aspirations (la palme à Francis Ford Coppola et à son film Jack), comme des acteurs, en herbe ou confirmés-boudés, qui jouent tant bien que mal dans des navets pour survivre et espérer plus tard s’adonner à des projets plus personnels, le métier de graphiste est aussi sujet à cette «auto-trahison d’intégrité» mêlant l’utile au désagréable.

La pub est honteuse, point barre

On nous sert souvent la fable de l’agence de pub comme un milieu créatif pétillant, plein de cadres brillants se battant pour des idées géniales -à l’image du portrait mensonger dressé par l’insipide comédie fantastico-romantique Ce que veulent les femmes (l’histoire de Nick Marshall -Mel Gibson- cadre d’une agence publicitaire, et macho séducteur). Or, derrière cette façade sans facéties se cache un constat peu reluisant : une création à marche forcée où les appels d’offre, au lieu de stimuler, inhibent toute véritable valeur créative et piétinent le sens moral.

C’est précisément ce dégoût du faux-semblant, mêlé à la frustration de ne pouvoir exprimer librement leurs idées foisonnantes, coincées entre leurs synapses, qui a forgé  Check Morris. Ces deux membres présentaient de nombreuses similitudes -un cursus scolaire semblable (le fameux BTS) et des milliers d’atomes crochus- avant même de se connaître. Et une rébellion juvénile non assouvie que l’ennui en travaillant auprès d’entreprises aseptisées ne pouvait faire qu’exploser (ici, une des rares photos d’eux).

Aujourd’hui, Mathias Pol et Nicolas Motte semblent mener une vie émancipée d’artisans d’imaginaires et avouent sans langue de bois leur ressentiment d’avoir trempé, pendant des années, dans cette bouillie tape-à-l’œil des marques les moins enviables. Après avoir vendu l’énergie de RedBull, la fraîcheur artificielle du Get27, ou les forfaits d’Orange, sans parler du gras de KFC, leur verdict est sans appel : «la pub est honteuse, point barre»

Leur nom, au surréalisme purificateur, emprunté à l’icône pop nanardesque de la série-culte Walker, Texas Ranger avec Chuck Morris, ne vous dit rien ? Il est pourtant impossible que vous n’ayez pas vu leur travail si vous fréquentez un minimum les cinémas d’art et d’essai de la ville. Pas un semestre sans voir l’une de leurs affiches rue de Verdun ou avenue du Docteur-Pezet ces dix dernières années. Dernière en date : Oui, la satire politique du cinéaste israélien Nadav Lapid ou, en 2024, Miséricorde de Alain Guiraudie. Comme Daft Punk avant leur rupture, personne ne connaît leur visage mais tout le monde connaît leurs œuvres.

La bénédiction du maître de l’absurde

S’ils sont arrivés là après avoir côtoyé le mal (la pub), c’est pour mieux en exorciser les démons visuels. Leurs années passées à assembler des calques pour vendre des produits de grande consommation leur ont laissé un goût amer, transformé aujourd’hui en un acide créatif salutaire. Cette rédemption trouve d’ailleurs son point culminant et sa plus belle légitimation dans la collaboration avec Quentin Dupieux.

Leur travail pour le réalisateur (de Rubber à L’Accident de Piano) est une véritable fusion esthétique, puisant dans l’héritage de la comédie française des années 70, rappelant par leur côté grotesque et décalé les affiches illustrées de films comme Un éléphant ça trompe énormément. Ils encapsulent ainsi la logique du non-sens chère à Dupieux, prouvant que les outils du marketing peuvent être retournés contre le marketing lui-même, au service du cinéma d’auteur le plus absurde.

Autre influence : leur amour du graffiti, trahi par leur utilisation de gros lettrages. Tous deux, avant de se rencontrer, ont été marqués par la légendaire exposition Graffiti Art au Trocadéro en 1992. Fait d’arme : Mathias Pol a côtoyé à l’époque des membres du crew vandale -terreur de la RATP – Ultra Violent (UV). Leur esthétique n’est donc pas un simple choix de design, mais l’héritage direct d’une culture où l’image est un manifeste.

Du cinéma aux pochettes de disques 

Aujourd’hui, le duo parachève sa réhabilitation publique avec non pas une, mais deux expositions montées à l’occasion des 10 ans du Festival Dernier Cri, imaginées par le curateur Baston Créative, et explorant les deux facettes de leur gloire post-pub.

À Tropisme : le Cinéma. Une rétrospective de leurs travaux pour le septième art, où dominent les couleurs et la typographie empruntant davantage au Cinéma Bis qu’au Nouvel Hollywood tout en apportant une modernité qui leur est propre. On y voit la planche à dessin gagner contre le brief client.

Chez Barri, nouveau bar du quai du Verdanson : la musique électronique, souterraine et aventureuse. Ce nouveau lieu, plus brut, bar de quartier exigeant contre-culturellement, accueillera leur travail autour des pochettes de disques du label Antinote. Ayant collaboré étroitement au visuel du label indépendant parisien depuis ses débuts -Nicolas Motte étant l’un de ses cofondateurs et compositeur phare- Check Morris y exprime sa sensibilité musicale. Ici, le vinyle est l’antithèse du scroll publicitaire : l’image est culte, l’esthétique est pointue, et chaque carré de carton est un hommage discret au meilleur de la new wave, du krautrock et de la library music. En photo, pochette d’un disque de Rivière Yarra, producteur et DJ australien, Frogmania.

Ces deux rendez-vous ne sont pas de simples accrochages ; ils sont la preuve qu’une âme créatrice peut survivre au purgatoire du graphisme commercial pour retrouver le chemin de la sincérité.

INFOS PRATIQUES

(*) L’exposition se déploie en deux volets dès la semaine prochaine : une première partie, dédiée au cinéma, se tient à Tropisme du 27 octobre au 3 novembre, avec un vernissage en musique le 29 octobre. La seconde, consacrée à la musique, sera visible à Barri du 30 octobre au 8 novembre avec un vernissage le 30 octobre.

-Mercredi 29 octobre

18:00 / 19:00 Vernissage de l’exposition Check Morris x Tropisme, volet 1 du 27 octobre au 3 novembre, en présence de Noco Motte et Mathias Pol, halle Tropisme, 121 rue Foncouverte. Entrée libr.

-Jeudi 30 octobre

15:00 / 17:00 : Masterclass / Visite guidée Check Morris en présence de Nocio Motte et Mathias Pol, halle Tropisme, entrée libre sur réservation.

19:00 / 00:00 : Vernissage exposition Check Morris x Barri, volet 2 du 30 octobre au 8 novemnre, DJ set Nico Motte et Team Barri Barri, 4 bd Louis Blanc, entrée libre. 

(*) Diagonal x Dernier cri : Rubber, film de de Quentin Dupieux
Mercredi 5 novembre, 20/22h
au Cinéma Diagonal, 5 rue de Verdun.

Le festival montpelliérain Dernier Cri fête ses dix ans cet automne. Depuis 2015, l’évènement propose sa vision de la «culture techno» au travers d’une multitude de formats, de lieux, d’artistes et d’intervenants. Il programme des rencontres et conférences, masterclass, projections de films, expos, concerts et soirées. Dans Montpellier, il investit l’Esba / Panacée / Faune Mo.Co, le cinéma Diagonal, le Rockstore, le Dièze, le Jam, la Halle Tropisme, Pinata Radio, l’Antirouille, Restanque, Kuve, Barri et la Fenêtre… Jusqu’au 8 novembtre 2025.

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