Antigone d’Or, prix de référence pour les longs métrages du festival Cinemed, Los Domingos de Alauda Ruiz de Azúa, à qui l’on doit la passionnante série Querer sur Arte, sur les violences conjugales, avait déjà été repéré au festival de San Sebastian. Dans ce film troublant, le couvent des années 2020 est devenu un refuge volontaire pour une jeune génération en perdition.
Dans Los Domingos, tout commence comme une banale histoire adolescente, au beau milieu d’une soirée ponctuée de jeux d’alcool désinhibants, au cours de laquelle les gages s’enchaînent. Sous un crucifix de bois accroché dans la chambre, les jeunes gens vivent leur soirée entre insouciance et recherche de limites.
Parmi eux, Airana. Visage botticellien, regard perdu dans le vague, vêtements austères, elle contraste avec les autres filles présentes. L’intrigue ne tardera pas à expliciter qu’elle est orpheline d’une mère qualifiée de «folle», tandis que son père toujours vivant, directeur d’un restaurant haut de gamme, a complètement refait sa vie. La sœur de ce quinquagénaire bourgeois, Maité, cadre dans la culture, est au bord de la séparation avec son compagnon, tout en incarnant une figure sympathique, dévouée à Airana, qu’elle incite à s’ouvrir au monde, mais surtout très athée. Lorsque la jeune femme fait part de son souhait de rejoindre les ordres au lieu de se rendre à l’université, elle déclenche un séisme familial.
Une famille implosive
La réalisation d’Alauda Ruiz de Azúa se focalise sur l’état intérieur de personnages, tout en retenue, mais au bord de l’implosion. Par des dialogues très codifiés, vidés de tendresse, les membres de la famille se parlent sans rien se dire réellement, au beau milieu d’une scénographie contemporaine, qui ne dit rien de l’identité espagnole. Ce pourrait être partout et nulle part.
L’appartement de Maïté comme le restaurant de son frère ont pour trait commun l’impersonnel, sans prise, ni porosité. À mille lieues de l’Espagne franquiste, mais tout aussi loin de celle de la Movida, chacun avance dans une logique où l’austère le dispute à la solitude.
Dans ce monde auquel Airana apparaît étrangère, de plus en plus seule au fil des scènes, bien qu’entourée, «Dieu appelle qui il veut». Jésus est le visage d’un catholicisme qui soigne les menus détails du quotidien, notamment lors de la prise des repas dans le réfectoire du couvent, rare lieu dans lequel l’héroïne sourit lorsqu’elle découvre qu’elle dispose d’une place et d’un couvert attitré à table.

Un univers ourlé par le divin
Alauda Ruiz de Azúa met en exergue le rituel pour boussole, sur le long chemin de l’existence d’une héroïne en quête de sens et chaleur familiale. Par l’Eucharistie, les laudes du matin, le silence monastique, l’héroïne trouve enfin sa place dans un univers bordé par les traditions, ourlé par le divin.
En contraste avec sa famille, larvée par un conflit successoral, ses camarades tout à l’alcool et la chair, le monde clos dans lequel Airana s’enferme volontairement dispose d’une structure capable de battre la mesure des jours qui passe selon une partition écrite.
Les Dimanches oppose scènes après scènes, et par un effet crescendo, des bourgeois maladroits faisant montre d’une oralité désastreuse, au calme des sœurs qui écoutent attentivement avant de s’exprimer. La quête d’altérité d’Airana, perdue entre amour charnel, amour filial et amour divin, trouve une réponse dans la deuxième partie du film, par l’observation de chaque personnage, chaque comportement, opportuniste ou désintéressé.

Into my arms, dans mes bras
Si L’Ecriture raconte que Dieu appelle ceux qu’il a prédestinés d’avance, le scénario semble davantage pencher pour une lecture de cause à effet, où la porosité spirituelle naîtrait d’une recherche, d’un secours. Les contours du prosélytisme sont tracés avec suffisamment de nuances, pour que le spectateur comprenne finalement le point de vue de la réalisatrice, qui offre une dernière scène à la fois éblouissante et vertigineuse quant aux choix de chacun. Airana et Maité choisissent chacune la foi, l’une en Dieu, l’autre en son couple.
Dans ce film aussi troublant que juste, il est question du besoin profondément humain de trouver, de construire si nécessaire, une réciprocité. Alors que Diderot en son temps, évoquait l’enfermement de force, voire l’internement, dans le roman La Religieuse, le couvent des années 2020 est devenu un refuge volontaire pour une jeune génération en recherche ou fantasme de paix. À ce titre, la reprise d’Into my arms de Nick Cave par la chorale de jeunes gens, revêt une résonnance particulière.
Sortie française prévue pour le 11 février 2026.
Photos : jury de l’Antigone d’Or présidé par Ariane Ascaride, puis la réalisatrice en visio depuis l’Espagne. Crédits Cinemed.