Kussay Al Muniem, reconnu dans les années 2000 comme le rappeur tatoué et captivant des scènes ouvertes du clapas, a dépassé un temps les frontières languedociennes avec son projet Kussay and The Smokes, avant de marquer une pause dans sa carrière. Depuis trois ans, il a refait surface sous le pseudonyme d’Hermès Fury avec un EP Blue Devils qui a attiré l’attention des recruteurs de The Voice et du festival Cognac Blues Passions. Il est en concert, le 24 mai au Salon des Indépendants.
Un visage de lutteur
Fin des années 2000, rituel du lundi soir, Rachid Guissous, aujourd’hui patron du Caveau des Oubliettes à Paris, rivalise avec les souleveurs de fonte, en portant seul son Fender Rhodes dans les escaliers menant à la salle-cave du Macadam (l’actuelle microbrasserie La Barbote). Il est à tête d’une jam groove hebdomadaire qui voit passer tous les musiciens de la ville adeptes de funk, de soul, et de hip-hop. Le micro est ouvert aux chanteur·euse·s et aux rappeur·se·s. Des rendez-vous dont on garde des souvenirs de moments parfois épiques, avec nos mémoires subjectives comme seules preuves, les smartphones étant alors inexistants (ne gâchant pas ainsi l’instant présent comme ce serait le cas aujourd’hui).
Certains y ont fait leurs armes, comme la grande Emma Lamadji. Parmi les emcees, pour qui il s’agissait le plus souvent de la seule occasion d’être accompagnés par un live band, le charisme d’un vingtenaire fait mouche. Des textes contant la folie urbaine ordinaire (où l’on devinait entre les lignes ses lectures des auteurs de la Beat Generation) aussi bien que ses errances mentales ou ses histoires avec la gente féminine, une voix chaude, une interprétation habitée, le sens du rythme : Kussay -son prénom dans le civil reflet de ses origines syriennes et son nom de scène d’alors- excelle dans ce terrain de jeux pouvant être terriblement casse-gueule pour celui ou celle non habitué.e à la musique improvisée.
Enfant de Figuerolles fou de bues
En option, qui fait qu’il dénote encore un peu plus : un visage balafré de free fighteur aux oreilles en chou-fleur de lutteur, au nez amoché par les poings et percé par le perceur du coin, et un corps d’éphèbe, aussi à l’aise avec le tempo qu’avec le kempô, aux muscles marqués à l’encre noire. Auquel le Perfecto et le jeans confèrent un sex-appeal de bagarreur au parfum de cylindrée.
Fort de cette expérience en jam, cet enfant de Figuerolles rêve alors d’un projet rap, joué, influencé par son aïeul le blues. Une musique pour laquelle il voue un amour inconditionnel depuis sa découverte, gamin, du film The Blues Brothers qu’il cite encore aujourd’hui comme son préféré.
«Mes parents n’avaient pas assez d’argent pour me payer des disques. J’avais enregistré le film sur une VHS et je rentrais du collège tous les midis pour le regarder et écouter les chansons de James Brown, d’Aretha Franklin, de Ray Charles, et de Cab Calloway» raconte-t-il.
Un film qui passe également en boucle au Comptoir du Disque, place Pétrarque, où il a l’habitude de chiller. Un jour, son regretté fondateur Alain Boucher lui tend un disque. Certain que cela va plaire à notre adolescent subjugué par les guitares accrochées au plafond de la boutique. L’objet de ce qui sera une révélation : l’album Whitey Ford Sings The Blues d’Everlast. Premier crossover abouti entre le rap, le blues, et le rock, par le leader d’House of Pain qui signait alors son retour après avoir frôlé la faucheuse. Une crise cardiaque à l’aube de sa trentième année.
Sa poésie noire
Ses connexions avec des musiciens croisés aux Macadam font que son crossover à lui devient possible. Aux abords des années 2010, K.A.T.S -pour Kussay And The Smokes- naît (photo). Une formation comprenant une basse, une batterie, une guitare (slide bien senti par endroits), un clavier, des chants et du rap. Des compositions originales. Et un set bien ficelé montant la température quand il le faut, qui parvient à s’attirer autant les faveurs des festivals Blues les plus en vue dans l’Hexagone que celles de bouibouis où on aime y siffler un dernier whisky*, une fois le rideau fermé. On leur aurait presque parié une visibilité telle qu’en bénéficiait alors Hocus Pocus -autre rare live band rap du moment- mais la poésie noire de Kussay est aux antipodes de celle bisounours de 20Syl. Et son côté rebelle, le rendait de facto moins bankable.
«Quand tu écoutais du rap, tu étais perçu comme ouvert et cool quand tu écoutais aussi de la soul et du jazz. Dès que tu allais vers le rock, tu passais, à cette époque, pour un sauvage. J’étais le rockeur chez les rappeurs. Et le rappeur chez les rockeurs» se souvient-il.
Le groupe tourne en rond. Des membres quittent l’aventure. On trouve des remplaçants. Puis panne de stylo. Et qui plus est le rappeur devient dure à vivre : j’étais devenu une caricature de moi-même. Même moi, je ne me supportais plus». Split inéluctable. Classique.
Le silence puis la résurrection
Pendant trois ans, Kussay ne fait plus de musique. Il monte des scènes pour les autres. Son métier de technicien du spectacle. Il passe du temps sur les tatamis, du temps à réapprendre à être seul, du temps avec son fils, du temps à lire et à songer. En silence. Puis un soir, une amie qui chante l’encourage à la suivre dans ses vocalises, et l’interroge sur son non-désir de ne plus vouloir dompter le micro. Ce qui finit par le faire douter. Le surlendemain, alignement des astres, un acolyte de longue date, l’habile Nabil Ifourah, dit H24 (aussi orfèvre pour Sameer Ahmad), un Dan Auerbach sudiste insoupçonné, lui fait parvenir ce qui sera les productions de son nouvel EP Blue Devils.
L’écriture revient : «L’inspiration c’est un peu comme une carafe. Quand tu as tout bu, qu’elle est vide, tu n’as plus rien. Il faut vivre pour la remplir à nouveau : souffrir, aimer, s’éclater, rencontrer de nouvelles personnes. Grandir.»
Longtemps complexé aux côtés de Syriel Werk et David «Jalley» Bardy (les deux chanteurs avertis qui officiaient dans K.A.T.S), Kussay, qui ne s’était jusque-là prêté à l’exercice que le temps de quelques refrains, s’adonne désormais pleinement au chant. Avouant que «cela reste une pratique beaucoup plus impudique que le rap où tu ne peux pas faire de fausses notes», il nous a confié souffrir encore du syndrome de l’imposteur. Et il dit n’être qu’au commencement de ses explorations «des chants marins irlandais, des chants africains des esclaves, et des chants des autochtones amérindiens» à l’origine du blues.
Un vrai blaze : Hermès Fury
Au final, Kussay parvient à vaincre avec classe ses démons dans de nouvelles chansons qu’il qualifie de new blues, entremêlant «la vibe du blues, la rugosité du rock et le groove de la trap». Pour ne pas confondre une nouvelle fois son personnage scénique avec qui il est, ce qui lui a joué des tours par le passé, il prend cette fois un vrai blaze : Hermès Fury. Fury pour la résilience exemplaire de Tyson Fury. Champion de boxe poids lourds qui, après avoir été sur le toit du monde, sombra dans la dépression, avant de la combattre, et finir par regagner son titre. Hermès car il est un messager associé au carrefour. Lieu où dans le blues, Robert Johnson et d’autres, ont vendu leur âme au Diable symbolisant les résurgences de divinités vaudou chez les afro-américains. Hermès pour désigner Papa Lebga en somme.
L’EP sort au début de l’été 2022, et les sollicitations reprennent de plus belle. Le patron de la Guinguette des Amoureux à Saint-Mathieu-de-Tréviers le veut tous les samedis en acoustique. Hermès, encore apprenti guitariste avec sa cigar-box, sollicite Maxime Prim, alias Max Crimson, avec qui il vient d’avoir un coup de foudre artistique et humain, pour l’accompagner (photo). Un jeune rockeur à la moustache à la Zappa que l’on croirait davantage débarqué de Nashville que de Perpignan dont il est originaire. Comme cul et chemise (à carreaux), en plus des compos, ils mettent sur pied un joli répertoire de covers country-rock, folk ou blues : Johnny Cash, Willie Nelson, Bob Dylan, Muddy Waters… Que l’on demande bientôt dans les conventions tattoos et de bikers du pays. Comme le Hell’s Week de Fréjus.
Le saut dans la fosse à Palmarosa
Blue Devils trouve aussi un très bel accueil auprès de gros festivals. Michel Rolland, directeur du festival Cognac Blues Passions, qui était déjà séduit par Kussay du temps de K.A.T.S, lui demande de revenir en tant qu’Hermès. Et le feu Palmarosa fait de Fury le lauréat des découvertes de sa première édition. Une performance marquée par son saut mémorable dans la fosse à l’assaut du public qui partait s’abreuver entre deux grosses têtes d’affiche, et qui a fini par s’agglutiner devant la scène, pantois face à la détermination et au talent de cet heureux inconnu.
Des images qui tournent encore sur les réseaux. Celles qui ont sûrement convaincu les chasseurs de têtes de The Voice de le contacter pour participer à la Saison 2025 : «ma dégaine leur a plu, je crois».
Il aurait préféré y reprendre un morceau du voyou Casper Allen dont ils sont fanatiques avec Crimson. Plus leur came. Mais pas assez connu pour la production -qui l’a malgré cela très bien accueilli-. A la place, il a interprété le convenu Unchain my heart de Joe Cocker. Une vitrine médiatique éphémère -il n’a pas passé l’épreuve des auditions à l’aveugle- sur laquelle il ne crache pas. Cependant il ne serait pas présenté au télé-crochet de lui-même et il garde un regard critique sur cette expérience «Cela me confirme que je dois m’écouter, et que quand mon cœur me dit bof, ce n’est pas pour rien. Quand Little Walter a collé un microphone à son harmonica, les ingénieurs du son ne voulaient pas de cela au début. Quand je veux que cela sonne sale, laisse-moi faire».
Pour du Hermès Fury authentique -en photo avec Rita sa cigar box, confectionnée et offerte par le luthier Marcellus Robin de Bordeaux-, rendez-vous au Salon des Indépendants le 24 mai à 21h pour un concert en blues band avec quelques invités surprise et des morceaux inédits à paraître sur un premier album dont la sortie est prévue cet automne.
Le concert, ici.
Photo à la Une Dorian Cusy
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