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La Palme d’or à “Titane” : les monstres sacrés de Julia Ducournau

La Palme d’or inattendue du festival de Cannes donne ses lettres de noblesse au cinéma de monstre qui a eu du mal à s’imposer en tant que cinéma d’auteur. Le film de Julia Ducournau, avec Vincent Lindon et Agathe Rousselle, a suscité des évanouissements à Cannes et l’intervention de pompiers… Un film inouï quasiment sans dialogue et interdit au moins de 16 ans. Sensibles s’abstenir.

Vincent Lindon, Julia Ducournau et Agathe Rousselle après avoir reçu la Palme d’or du Festival de Cannes, ce samedi 17 juillet.

 Interdit au moins de 16 ans

En 2016, on criait déjà aux monstres pour le premier long-métrage de Julia Ducournau “Grave”, présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes. Le film faisait événement jusqu’à sa sortie dans les salles aux Etats-Unis, où l’on distribuait des sacs pour vomir. 6 ans plus tard le scandale a pris la forme d’une Palme d’Or.

Avant qu’il soit présenté à Cannes la semaine dernière et qu’il sorte dans nos salles, “Titane” s’était dévoilé très pudiquement avec un synopsis minimaliste qui ne préparait nullement à ce qu’on allait voir. La réalisatrice était claire : il ne faut rien savoir avant d’aller voir. Seul élément vraiment utile et plus efficace qu’un speech sans effet : la mention interdit au moins de 16 ans. Mais le 14 juillet dernier, lors de sa sortie nationale, le suspense est tombé et certains spectateurs sensibles avec. Très vite les premières critiques ont asséné que « Titane » était bien du même tonneau que “Grave” en pire.

Alors que raconte vraiment le film ? “Titane”” suit le parcours d’une jeune femme violente (Agathe Rousselle) qui a eu un accident de voiture lorsqu’elle était encore une enfant. Suite à cet accident, on lui a posé une plaque de titane dans le crâne, la transformant à jamais. Cette même jeune femme va se retrouver dans la vie d’un pompier (Vincent Lindon) qui a perdu son fils il y a 10 ans. Au milieu de tout ça une série de crimes atroces toujours très sanguins et sans concession. Mais rassurez-vous, il y a bien un lien entre tous ces éléments, on ne vous en dit pas plus…

Séance sous tension et plaisir coupable

S’il est impossible de trop dévoiler le film, on peut juste affirmer que « Titane » mérite sa Palme d’or. Julia Ducournau a mis plus de 6 ans pour écrire ce second film. Elle a eu le culot de proposer un rôle complètement osé à Vincent Lindon, et ça paye. De Cronenberg à Tarantino en passant par Nicolas Winding Refn ou encore Takashi Miike, toute la cinéphile du cinéma de genre et d’horreur est citée.

Dans sa passion pour le cinéma d’horreur, gore ou plus particulièrement les films de monstres, Julia Ducournau impose son style dans les codes très kitsch du cinéma de genre. Cette vision n’est pas nouvelle, elle s’est vue dernièrement empruntée par des films comme “Teddy”, “La Nuée” ou encore tout le cinéma d’Alexandre Aja (“Haute tension”, “Piranhas 3D” etc.). Ce sillon du 7e Art a longtemps permis de bien identifier les films pour que les spectateurs puissent consommer de la pellicule sans prendre de risque sur ce qu’ils allaient voir. Sauf que cette catégorisation de cinéma est devenue une sorte de Graal pour les auteurs d’aujourd’hui. Faire rouler des mécaniques de scénario et de mise en scène tout en ayant son propre style et sa propre vision du monde à défendre, c’est puissant. On comptera parmi ces gens-là le fameux Quentin Tarantino ou encore Robert Rodriguez. Ducournau est une enfant de tout cet univers là, sauf que maintenant elle aux manettes !

Comme ses maîtres, Ducournau va trouver dans le cinéma de genre le moyen de parler de sujets fondamentaux. Ici, la question du corps et des multiples assignations de genre, Lindon incarnant une virilité démente. Oui, “Titane” enchaîne des séquences de meurtres bien gores, mais au bout du film, il reste le corps expérimental d’une jeune femme qui a traversé des identités. On reste béat sur notre siège à regarder comment une cinéaste arrive à bousculer nos repères les plus indécrottables.

Si “Titane” commence comme un film de monstre, c’est notre humanité qu’il convoque dans ses séquences finales. Les questions de l’humanité et de l’empathie, habituelles au cinéma de monstres, sont orientées dans “Titane” vers l’urgence à reconnaître ces corps d’hommes et de femmes qui n’entrent pas dans les cases. De ce point de vue, le film féministe de Ducournau est un coup de poing.

Cronenberg, le maître

Julia Ducournau a toujours crié son amour particulier pour Cronenberg. Avec “Titane”, elle reprend ce procédé des personnages en gestation bien connu du cinéaste canadien. La psychologie épouse les corps non figés; ils évoluent en quelque chose d’indéfinissable. Hommes ou femmes normaux à l’identité renversée au dernier quart d’heure du film. En eux résident des maux et des monstres prêts à surgir. L’apparition d’une simple tondeuse à barbe ou d’une fourchette vous prépare à voir le pire, à voir l’insoutenable surgir d’un coup.

Sur cette tension se jouent des sentiments en vérité bien humains. “Titane” n’excuse pas les criminels, mais cherche en eux une forme de jubilation que les spectateurs faussement dégoûtés regardent plutôt deux fois qu’une. Comme dans un grand final d’un film de Tarantino, les scènes de violences peuvent faire rire ou écœurer sauf qu’ici elles s’offrent sous le signe d’une étrange perversité.

Durant ces 1h48 d’images : très peu de dialogues pour ne pas dire aucun, seulement une caméra épousant parfaitement le déplacement des personnages. Toujours placée dans un angle qui crée un point de vue original sur les situations. Appuyé par une lumière tantôt organique tantôt métallique, « Titane » s’inscrit bien dans la tradition du film de genre français. Avec les lumières grisantes d’une France périphérique, d’une France peu filmée. Là aussi la question de la représentation se joue. Comment filmer ces espaces que l’histoire du cinéma a peu mis en avant ? En moins de deux heures, « Titane » répond à toutes ces questions et règle son compte à tous les hors champs du cinéma pour leur rendre hommage.

« Titane » tranche un débat cinéphile de boomer

Le duo entre Vincent Lindon et Agathe Rousselle est unique. On se demande encore comment l’acteur a pu suivre ce projet aussi marginal. Tout dans ce film est de l’ordre de l’inattendu, du jamais vu. Un film rare qui épouse à bras le corps ce cinéma de genre qu’on appelle encore chez les plus snobs le cinéma “pop corn”. Cette Palme d’Or est aussi un argument pour faire taire ceux qui rabâchaient, hier encore, que le cinéma d’auteur n’était pas compatible avec la monstruosité.

Le cinéma de monstre : le cinéma d’auteur d’aujourd’hui ?

Julia Ducournau, France, 1h48, avec Vincent Lindon, Agathe Rousselle, Garance Marillier sur les écrans depuis le 14 juillet.

Photos Diaphana Distribution et RFI.

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