Rien ne décrit mieux mon existence en ce bel été 2021 que cette citation de John Lennon : « Life is what happens while you’re busy doing other plans« . La vie, c’est ce qui vous tombe dessus quand vous aviez prévu autre chose. Marie Urdiales revient avec sa série drolatique : « Plus jamais ça » avec le récit -véridique- d’une maladie inattendue survenue en pleine pandémie de Covid.
Ainsi que pratiquement la totalité de la population mondiale (mondiale oui, parfaitement), j’étais occupée depuis presque 18 mois à ne pas chopper cette saleté de Covid, quand, par un beau matin de merde, je vis dans mon miroir une tâche incongrue.
Stop. Mauvais timing pour le suspense, en fait, ce matin-là était juste un beau matin, si ce n’est que je vis dans mon miroir une tâche incongrue. Rouge, épaisse, moche, et qui n’avait clairement rien à foutre là où je l’aperçus à savoir : derrière mon bras. Genre planquée quelque part entre mon aisselle et le coude, un endroit qu’à moins d’être contorsionniste, on observe quand même assez rarement.
Cette tâche…
Là, c’est clairement par hasard que je levai ce beau matin mon bras droit devant un miroir et découvris donc cette tâche. Qui, ce jour-là, ne me préoccupa guère : je fais des allergies diverses et variées, mais dans la mesure où aucune n’est vraiment mortelle, je crois, j’avoue ne pas y faire très attention. Par acquis de conscience, et aussi un peu pour me faire remarquer, je la montrai quand même, cette tâche, à mon véto perso. Qui, rodé par nos années de vie commune, m’a tellement cataloguée « hystérique patentée » que c’est à peine s’il leva la tête. Je l’oubliai donc. La tâche. Pas mon mec.
Quelques semaines plus tard, même lieu, même geste, mais pas la même tâche. Là, ce que j’avais pris pour une banale piqûre d’insecte s’était littéralement auréolé olé, c’était comme avoir une sorte de Saturne dermique sous l’aisselle et ça, franchement, même sans être névrosée : ça craignait. Un max. Ça devait même craindre bien plus que je ne l’imaginais, à en croire la pâleur subite de mon habituellement si stoïque compagnon. « Euh, ton médecin, elle consulte en urgence ? Appelle-la. Maintenant ».
Diagnostiquée à temps
Deux heures et une ordonnance plus tard, j’avais appris un tas de choses incroyables. Telle que la présence accrue de tiques en Charentes-Maritimes, où j’avais eu le malheur de faire deux heures de vélo en juillet (Charentes et Alsace, sont, sachez-le, de vrais repères de tiques perverses). Le pourcentage de tiques contaminées par la maladie de Lyme (20 %, je vais peut-être jouer au loto finalement). La probabilité d’être piqué par une tique contaminée à un endroit aussi saugrenu (d’habitude, ça vise plutôt bas, ces bestioles-là, la mienne s’entraînait manifestement pour les Olympiades des Saloperies de Tiques). L’existence « des érythèmes migrants et de leur importance dans le diagnostique de la Maladie de Lyme » (crucial, sans ça, les gens ne savent même pas qu’ils ont chopé la maladie et là, bonjour les emmerdes!) et quelque part, statistiquement parlant, j’avais eu du bol.
Bon, d’un côté pas tant que ça rapport à la faible probabilité d’être piquée en Charentes sous le bras etc etc, mais sans érythème, pas de diagnostique, et là, c’est moins drôle, surtout que ça fonctionne à retardement, mais passons : moi, avec cet optimisme candide qui fait mon charme, je sortis de la pharmacie en me disant que, OK : deux semaines sans soleil et sans apéro en plein mois d’août, c’était ballot, mais qu’au moins, j’avais été diagnostiquée et soignée à temps, et donc Champomy à donf !
Et c’est là que sont apparus : les Autres.
« Les Autres », eux, savent
Ceux qui ont lu Sartre savent que… Nan ! J’rigole, en vrai on s’en fout de Sartre. Lui il est mort depuis un bail alors que les Autres, eux, sont encore en vie. Et si vous, la veille encore, vous ne saviez même pas comment ça s’écrit, Lyme, les Autres, eux, savent. Ils connaissent. Essentiellement des gens. Des gens comme Sartre c’est à dire : morts. De la maladie de Lyme, faut-il le préciser. S’ils ne sont pas morts, c’est tout comme ou presque. En tout cas ils souffrent. Atrocement. Sont (pas vraiment au choix mais en vrac ça c’est sûr) : en fauteuil roulant, paralysés de la face, épuisés, déprimés, j’en passe et des pires.
Les Autres ont toujours, toujours des histoires à vous raconter sur ce qui vous arrive, et vous avez beau leur dire que : »oui mais non mais ça c’était il y a dix ans ! » Quand on ne diagnostiquait pas encore la Lyme et qu’en effet, les symptômes à retardement étaient horribles ! Les Autres ne vous croient pas. Les progrès de la médecine, l’information améliorée, les médecins mieux formés, tout ça, pour eux, n’est pas envisageable dans la mesure où ça les éloigne de leur propre destin, ou de celui de ceux qu’ils ont bien connus avant que LYME ne s’abattent sur eux et ne les rendent méconnaissables, les pauvres.
Quelque part, c’est rassurant : inutile d’aller sur Internet chercher « maladie de Lyme », suffit de dire que vous avez chopé la Lyme et hop ! Vous récoltez de quoi vous faire un ulcère, en plus ! C’est génial. Même cette prof de méditation que je rencontre pour la première fois le lendemain de la découverte de mon érythème, me noie, comme ça, en guise de salut, sous une montagne d’emmerdes qu’elle-même a vécus à cause d’une de ces sournoises de tique. Alors que je lui expliquais juste pourquoi j’avais l’air aussi tarte, avec mon écran total en trois couches et mes fringues longues comme une nonne pudique. Et moi qui pensais apprendre à me détendre me retrouve à stresser une prof qui, manifestement, ne s’est toujours pas vraiment remise de ses émotions d’antan.
Des micro-coupures dans la mémoire
Et la morale de cette histoire, me direz-vous ? Ben y’en a pas ! Déjà, parce que j’aime pas la morale, c’est chiant la morale. Juste qu’on ne vous conseillera jamais assez de vérifier que vous n’avez pas ramené une tique après une balade dans la nature. Adepte de VTT, j’ai fait promettre à mon mec de me chercher des poux dans les moindres poils, dorénavant, et il a eu l’air content. Juste rappeler aussi que les effets secondaires, y’en a, et des chelous, même avec des trucs qu’on connaît depuis des lustres. Les antibios contre la Lyme, par exemple, ça vous bousille le foie, vous photo-sensibilise l’épiderme, et pour ma part, ça vous fait comme des micro-coupures dans la mémoire, ce que mon médecin a trouvé bizarre vu que ce n’est pas sur la notice, mais je jure que c’est vrai : horreur ultime, j’ai commencé à ressembler à ma mère qui cherche tout le temps ses lunettes qu’elle a sur la tête. Chelous vous dis-je.
Non, à part vérifier si vous n’avez pas de passager clandestin avant de vous retrouver avec un érythème migrant, ce que j’ai réalisé, surtout, ce sont que les Autres ne sont ni forcement anti-vax ni quoi que ce soit dans ce style. Les Autres, ce sont simplement tout ceux que votre histoire renvoie à leurs propres angoisses, et d’ailleurs, c’est simple : les Autres, des fois, c’est moi, et donc : c’est vous. Quand on me raconte un truc qui m’a bouleversé, ou qui m’est arrivé en vrai, ou qui me confère une quelconque et bien arbitraire légitimité pour à mon tour soûler les autres Autres avec mes histoires. Dorénavant, promis juré craché, au lieu de parler du pire, je raconterai le meilleur, quitte à parler moral, autant le remonter.
Un récit very tique…