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“S’adapter” de Clara Dupont-Monod, un roman différent sur le handicap

Présidente du jury du prix Femina (*), la journaliste Josyane Savigneau nous parle du livre primé cette année dans la catégorie “roman français” : “S’adapter” de Clara Dupont-Monod (Stock). La naissance d’un enfant handicapé dans une maison cévenole racontée par sa fratrie.

C’est une maison dans la montagne, où les pierres ont une histoire. Où, comme la phrase de l’évangile de Luc placée en épigraphe du livre -“S’ils se taisent, les pierres crieront“- elles prennent la parole : “Nous, les pierres rousses de la cour, qui faisons ce récit, nous nous sommes attachées aux enfants“.

Dans cette maison naît un enfant différent. On ne le sait pas tout de suite. C’est un bébé comme les autres. Puis on s’aperçoit qu’il ne babille pas, ne suit pas les objets du regard. Il est étrangement indifférent. Il ne va pas se développer comme on l’attendait, ne va pas parler, courir. Il y a des mots pour décrire cet enfant : inadapté, handicapé…

On a déjà écrit des livres, nombreux, sur ce qui arrive aux parents quand un tel enfant paraît. Clara Dupont-Monod, dans ce roman auquel elle a donné pour titre “S’adapter”, prend, avec l’aide des pierres et une grande maîtrise de la construction romanesque, un point de vue différent. Quelle est la place, dans une fratrie, de cet enfant « autre » ? Quelles questions pose-t-il, en silence, à son frère aîné, à la sœur cadette, et, ensuite au petit dernier ? Eux vont grandir, devenir adultes. Mais, même après sa mort précoce, leur frère va orienter leur vie.

L’aîné, celui qui, en général, protège, ne se contente pas de remplir ce rôle traditionnel. Il entretient un rapport fusionnel à son petit frère. Il est toujours là, comme presque soumis à lui, à cette relation sans paroles et sans gestes. Et il risque de s’y perdre.

La cadette, elle, est confrontée aux deux garçons, et surtout à l’attitude de son grand frère. Est-elle sommée de faire comme lui ? Sans doute le souhaite-t-il. Il voudrait une union autour du petit démuni. Elle refuse. Elle veut exister par elle-même, elle veut construire sa vie. Mais ne peut pas ignorer, ni le frère, ni le comportement de l’aîné. Alors “dans la cadette s’implanta la colère. Il traçait une frontière invisible entre sa famille et les autres. Sans cesse, elle se heurtait à un mystère : par quel miracle un être diminué pouvait-il faire tant de dégâts ? L’enfant détruisait sans bruit“.

Et le petit dernier ? Est-il né pour “réparer” ? Pour tenter de réunir la famille, d’apaiser les parents, de rendre la joie à l’aîné, de nouer une complicité avec la cadette. Il joue parfaitement ce rôle. Sauf avec l’aîné, qui persiste à l’ignorer. Un jour, il n’y tient plus. Lors d’un repas de famille, il lui demande pourquoi on ne le voit jamais lire. Celui-ci ne répond pas, se contente d’un sourire triste -ce qui est déjà reconnaître, enfin, l’existence de son interlocuteur. Alors, le petit dernier ose parler : “Il n’y a qu’une lettre qui sépare “livre” et “libre”. Si tu ne lis plus c’est que tu es complètement enfermé“. Silences et regards autour de la table. Puis l’aîné, la voix dure : “Nous avions ici un petit qui était enfermé. Il nous a beaucoup appris. Alors ne donne pas de leçons“.

Que dire ? “Le dernier piqua du nez vers son assiette. Il sentait, autour de cette table, planer le fantôme de l’enfant et il n’aurait jamais pensé qu’un fantôme pouvait avoir autant de poids. Il s’adressa mentalement à l’enfant disparu : “tant d’impact pour quelqu’un d’inadapté… c’est toi le sorcier“.

Il fallait beaucoup de délicatesse pour ne pas faire de cette histoire un tragique récit de conflits et de déchirements. Pour garder la lumière, le bonheur de vivre. Clara Dupont-Monod y est parvenue, parce qu’elle a su la transfigurer par la fiction, par la vérité de la littérature.

 

“S’adapter”, de Clara Dupont-Monod, Stock, 170 p., 18,50 €.

(*) Le jury, exclusivement féminin, est composé de Nathalie Azoulai, Evelyne Bloch-Dano, Claire Gallois, Anne-Marie Garat, Paula Jacques, Christine Jordis, Scholastique Mukasonga, Mona Ozouf, Danièle Sallenave, Josyane Savigneau (qui en a assuré la présidence cette année) et Patricia Reznikov.

Le Prix du Femina étranger a été décerné à Ahmet Altan pour son roman “Madame Hayat” (chez Actes Sud, traduit par Julien Lapeyre de Cabanes). Quant au Femina de l’essai, il a distingué “Un étranger nommé Picasso : dossier de police n° 74664” (Fayard) d’Annie Cohen-Solal.

Photo : Olivier Roller.

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