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Ricardo Serraõ Mendes : un poète dans la ville

Pour le dixième anniversaire de “La Métro fait son cirque”, le collectif Créature•s-Créatrice•s, emmené par Laurie Quersonnier, a invité le jongleur Ricardo S. Mendes et son partenaire Juri Bisegna à se produire du 15 au 19 novembre dans des lieux emblématiques de Montpellier. Coup de cœur LOKKO pour ce circassien, américain et portugais d’origine, qui a fait de la ville son terrain de jeu.

A Montpellier, ses apparitions ont été annoncées sur les réseaux sociaux des différents partenaires au moyen de courtes vidéos qui sont des petits bijoux du genre : filmé immobile au milieu des passants dans le hall de la gare Saint-Roch, des balles de jonglage jaunes comme des citrons lui masquant le visage tel un Printemps d’Arcimboldo, ou bien filmé tel un Godzilla en plein numéro de jonglage sur le toit de l’emblématique hôtel de Région, quand une malheureuse balle tombe sur les bâtiments alentours et provoque une explosion. Pour ce circassien facétieux : “l’espace urbain n’ a pas de limites et il y a toujours quelque chose à faire, du nouveau à trouver”.

Ses performances urbaines ont été aussi novatrices que touchantes. Lundi 15 novembre, on a vu Ricardo S. Mendes déambuler dans la ville, accompagné de son acolyte “à la tête de balle”, comme dit Laurie Quersonnier : Juri Bisegna. Dans la ligne de tram le matin, l’un offrait des fleurs jaunes aux passants, l’autre jonglait de part et d’autres, puis le soir sous un ciel pluvieux, ils ont surpris les usagers avec des fleurs à la sortie du tramway. Le ton était donné, le numéro à venir promettait de nous emmener loin. Le lendemain, mardi 16, sur la place de la Canourgue, des dames d’un certain âge étaient ébahies de la présence de ces deux artistes farfelus à la terrasse du café.

Plus tard sur le parvis de l’église Sainte-Anne, Ricardo a proposé un travail de coopération très intéressant  : immobile une main en l’air et des balles au sol devant lui, il a commencé à jongler à partir du moment où une dame a ramassé la balle, et dès qu’une balle tombait au sol, il s’arrêtait et attendait qu’on les lui donne à nouveau. Mercredi au Jardin des plantes, ce sont 25 étudiants de l’école de cirque qui ont été surpris pendant leur pause-déjeuner dans la bambouseraie par un Ricardo mimant un singe affamé. Il a fouillé leurs sacs, mangé une de leurs pommes et performé sous leurs regards admiratifs. Là encore, un bel exemple de la diversité de l’art circassien.

A la conquête de l’espace urbain

Il s’agit de faire sa place, d’aller “à la conquête des territoires”. C’est le sens de cette série de performances intitulée “Le Jongleur dans la ville”. Il est d’ailleurs plus juste de parler de jongleur-acrobate car il ne s’agit pas de lancer une balle, faire un salto et la rattraper. C’est plus large que ça, c’est un mélange de ces lancers de balle et de ces mouvements du corps qui, par leur magnétisme et leur équilibre, évoquent tour à tour la danse contemporaine et la capoeira. Il s’agit de “mêler le tout pour donner à voir quelque chose de nouveau”. “Aller à la conquête des territoires”, c’est-à-dire dans ce cas-là de prendre un lieu habituel, banal, passager et propice à la flânerie, comme la place de la Canourgue, le Jardin des Plantes ou bien la place du Nombre d’or et de se l’approprier en tant que scène. Il s’agit de mettre à profit les éléments d’architecture et du mobilier urbain, d’en faire des partenaires de jeu, des interlocuteurs. C’est d’autant plus symbolique pour cet architecte passé à la piste de cirque.

En effet, né d’une mère portugaise et d’un père américano-cap-verdien, Ricardo a d’abord suivi des études d’architecture avant de découvrir le cirque et d’y voir des opportunités plus riches. À noter que ce travailleur acharné a terminé ses études et pris des cours du soir en parallèle. Passé par l’école de cirque de Lyon puis le CNAC (le Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne). On imagine que c’est cette sensibilité à l’architecture urbaine, à son mobilier et à ses habitants qui le nourrit. Le jongleur prend sa place dans la ville, il prend parfois de la hauteur, faisant du toit de l’Arc de triomphe ou du Corum l’espace de ses interventions.

“C’est de ça dont nous avons besoin en ce moment !”

Je l’ai vu le jeudi 18, dans la fontaine du Nombre d’or. Le marché des brocanteurs était un décor idéal pour cette nouvelle performance. Toujours avec sa “tête de balle”, Juri Bisegna a fait le tour des stands. Il a salué un monsieur, qui lui a demandé s’il venait d’une autre planète. Le jongleur est ensuite arrivé d’un pas modéré, portant une chaise en métal jaune et une rose dans un vase, pour s’installer en bonne place au milieu de la fontaine. Quand l’opéra de Madame Butterfly est sorti de l’enceinte nomade du “personnage aux airs d’extraterrestre”, Ricardo s’est levé d’un mouvement gracieux. Il a plié son journal puis attrapé le vase et pris soin de sa rose, magnifique compagne de jeu. Sous les rires, quelques yeux se sont embués. Enfin, il s’est allongé sur le jet d’eau central et lorsque la diva chantait de toute sa voix, Ricardo faisait se dresser les jets d’eaux. Un passant nous a confié son émotion, ajoutant au passage : “c’est de ça dont nous avons besoin en ce moment !

La particularité de ces numéros est de ne pas être scénarisés à l’avance, ni planifiés afin de provoquer de plus sincères interactions avec celui-ci. Une proposition originale : performer à des horaires improbables dans des lieux que les Créature•s-Créatrice•s apprécient à Montpellier. La règle était donc fixée à deux performances par jour pendant cinq jours dans des lieux publics, directement improvisés dans des espaces découverts le jour même, avec toutes les contraintes que cela peut poser.

Ces interventions interrogent le cirque dans l’espace public, notamment par leurs sorties de scène qui n’attendent pas forcément d’applaudissements. Les artistes jouent avec leur public, avec leur sensibilité à ce qui les entourent et à ce qu’ils entendent, ce qui peut susciter des réactions et des réflexions diverses, bienveillantes ou non. Il y a eu par exemple plus d’échanges sur la place de la Canourgue qu’à l’intérieur de la rame de tramway. Il s’agit de mettre à profit chaque imprévu pour produire une véritable et unique narration à travers chaque apparition. Ces interventions de rues sont aussi une manière de réintroduire à l’ère du Covid-19 la poésie et le spectacle dans l’espace public.

Pour prolonger la médiation autour du cycle “Un jongleur dans la ville”, Créature•s-Créatrice•s a annoncé sur le toit du Corum, lors de la dernière performance de la semaine, un “Mendes Show”, un spectacle participatif qui aura lieu lors de l’édition 2022 de “La Métro fait son cirque”. Les photos prises lors de la semaine pourront alimenter un “géocoaching” (2) pour permettre aux enfants de retrouver partout dans la ville les traces de la Tête de balle portée par Juri Bisegna, déjà en elle-même une forme d’interrogation de notre rapport à la science-fiction et au masque qui cache tout ou partie du visage par ces temps de pandémie. De plus, Créature•s-Créatrice•s envisage de développer l’idée dans d’autres villes  : des échanges avec Lille et Marseille sont en cours de discussion.

(1) Créature.s Créatrice.s est un projet “humaniste et responsable basé sur la mutualisation de savoirs-faire, de savoirs-être et de connaissances. Regroupant des expert.e.s dans tous les secteurs artistiques”. La structure intervient comme conseiller artistique, dans la programmation artistique ou encore la direction artistique. Elle est active également dans le domaine de l’éducation artistique et culturelle, la médiation ou encore la production et la formation.

Sur FB, c’est ici

(2) Le Geocaching est une activité de plein air consistant à retrouver dans la nature, à l’aide d’un GPS ou d’un smartphone, des boites cachées par d’autres personnes.

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