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Ukraine : “la première guerre mondiale numérique”

Jeune vice-ministre et ministre de la transition numérique ukrainien, Mykhailo Federov est aux premières loges sur les réseaux sociaux. Avec ses équipes, il mène ce qu’il appelle “la Première Guerre mondiale numérique” en enrôlant les GAFAM. Quel monde aurons-nous si des entreprises remplacent l’ONU et l’OTAN ?

Comment écrire sur un événement ayant l’ampleur et le catastrophique de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe ? Voilà 50 jours qu’a commencé une de ces tragédies dont a le secret une partie de l’espèce humaine en chaleur. Aussitôt la frontière passée par les chars, est venue l’avalanche des nouveaux événements annoncés, minute par minute, puis rabâchés, heure après heure, par médias et réseaux sociaux interposés. Les gens d’opinion avec des opinions commencèrent leur boulot : parler dans l’instant. Alors que, franchement, n’est-ce pas un récit à laisser aux historiens ?

Pour qui a lu et médité les “Arts de la guerre”de Sun Tzu ou de Machiavel, le “Vom Kriegue“ de Carl von Clausewitz, le “Achevez Clausewitz” de René Girard -qui n’est pas l’ancien entraîneur de l’équipe de foot de Montpellier-, à la question du “comment écrire ?” s’ajoutent celles du “quoi écrire ?” et, surtout, du “pourquoi écrire ?” sur ce qui se passe à l’est de l’Europe. Et, par écrire, je veux dire : penser, réfléchir, prendre le temps de saisir non pas l’aspect faits divers puissance 10 de la liste des horreurs en train de se dérouler. Courir après l’accélération du temps ?

LOKKO a un fil de discussion privée. Le 27 février, j’y écrivis : “Hier, je me demandai ce que les milliardaires des GAFAM feraient si… Le vice-Premier ministre et ministre de la transition numérique ukrainien demande l’aide de Musk. Si LOKKO connaît 1 compétent(e) en la matière, ces deux tweets sont titanesques par leurs multiples implications : politique, usage privé des technologies dans un conflit entre États-nations, philosophie du droit, intervention d’une entreprise privée autonome, etc. Tesla face à Russie / impuissance de l’ONU / États…”

Sur une Terre à l’économie et aux communications mondialisées, où une poignée de chefs d’entreprises sont des méga-stars connues et admirées comme un Tom Cruise, un Dwayne Johnson, un Robert Downey Jr, et, peut-être, une Scarlett Johansson, Mykhailo Fedorov, 31 ans, écrivit plusieurs tweets, le 26 février 2022. Fondateur d’une société travaillant sur le marketing dans les médias sociaux, ce plus jeune membre de l’exécutif ukrainien lança des appels à l’aide ciblés. Et c’était parti pour la “Première Guerre mondiale numérique” comme Fedorov la nomme lui-même. Les fameux Anonymous y vont de leurs flûtes et jouent leur partition qui, soyons francs, ne fait guère trembler le Kremlin. On hacke-ci, on hacke-ça. On envoie des vidéos du type vengeurs masqués d’une puissance proche, disent-ils, de celle de Superman. Et ?

Une campagne en ligne pour Volodymyr Zelinsky

Beau gosse, enfant de la téléréalité et du numérique -un digital native, un de la start-up nation donc-, Fedorov sait d’instinct qui interpeler, quelle personne de pouvoir, quelle génération, et avec quels mots. À 28 ans, il mena la campagne électorale quasi-exclusivement en ligne de Volodymyr Zelinsky. C’était pour l’élection présidentielle de 2019. Nous connaissons le résultat des urnes. Fort de plus de 291 mille abonnés à l’heure où j’écris, vêtu, depuis 50 ans jours, de sa panoplie de ministre-guerrier connecté, pour l’ancien start-uper, Twitter est devenu, à la fois, l’espace virtuel et efficace d’une guerre de tranchée et de mouvement. Une longue campagne, loin du terrain militaire et tout aussi militaire, s’est installée dans le virtuel. 

L’aide financière pour le gouvernement et le peuple ukrainiens vient aussi de l’économie virtuelle. Le nouveau marché de l’art s’engage ! Au 31 mars 2022, le Meta History : Museum of War a vendu pour 500 000 dollars US en NFT. Les NFT ou Jetons Non Fongibles -des certificats de propriété numériques non interchangeables sur une œuvre unique, ne m’en demandez pas plus !- servent à acheter les œuvres d’art proposées par un de ces musées du XXIe siècle qui apparaissent sur le Net. Les écolos s’arrachent-ils les cheveux ? Les NFT comme les crypto-monnaies ne sont vraiment pas bons pour la planète… Est-ce l’heure de parler écologie ? Toutes les guerres ne le sont jamais, écolos.

Les titans mondiaux de la tech interpellés

Par son compte Twitter, le ministre a écrit directement aux titans mondiaux de la tech faisant aussi du business en Russie comme Apple, Facebook, Google, SpaceX, PayPal, etc. Via les réseaux sociaux, aux yeux de potentiellement tout le monde, Fedorov est entré directement en contact avec les big boss. D’arrache-pied, il s’est adressé à des entreprises de moindre envergure. Fedorov plaça tout ce beau monde au pied d’un mur éthique. Sous différentes formes, il posa cette question : “Que faites-vous pour aider une population assaillie et ensanglantée par une puissance étrangère ?” L’éthique face à l’économique. Quelle drôle d’idée, ce bras de fer, n’est-ce pas, l’économique face à l’éthique ? C’est sans compter sur le pouvoir de l’opinion publique mondiale pro-ukrainienne et sur le souci constant, chez les obèses GAFAM et les autres compagnies qui ont de l’ambition de ne pas passer pour un super-vilain œuvrant pour les grands méchants. Quand l’éthique est communication industrielle, pensons à l’éco-blanchiment, par exemple…

Le 26 février 2022, à 13h06, heure française, Mykhailo Federov tweeta. “Elon Musk, pendant que vous essayez de coloniser Mars, la Russie essaye d’occuper l’Ukraine ! Quand vos fusées atterrissent avec succès depuis l’espace, les missiles russes attaquent les civils ukrainiens ! Nous vous demandons de fournir à l’Ukraine le matériel (nécessaire à la connexion au système Starlink) et de pousser les Russes sains d’esprit à la résistance.”

Fedorov interpelle Musk sur Twitter : “Elon Musk, pendant que vous essayez de coloniser Mars – la Russie essaye d’occuper l’Ukraine ! Quand vos fusées atterrissent avec succès depuis l’espace – les missiles russes attaquent les civils ukrainiens ! Nous vous demandons de fournir à l’Ukraine le matériel (nécessaire à la connexion au système Starlink) et de pousser les Russes sains d’esprit à la résistance.”

Elon Musk ne fit pas attendre sa réponse. ll répondit à l’appel, le jour même, à 23h33 (heure française). “Ok, vous aurez accès au réseau.” Le réseau, la technologie, OK. Quant à la parole adressée aux Russes pour leur faire entendre de ne pas suivre le Kremlin dans sa guerre, c’est niet. Ou plutôt le silence de la part d’Elon. Facebook, Apple et d’autres prirent leur distance avec le marché russe.

Toujours sur Twitter, Musk répond : "Starlink est maintenant actif en Ukraine. Plus de terminaux bientôt."

L’un des hommes les plus riches du monde, celui qui nous voit un avenir extraterrestre, celui qui ambitionne de modifier l’homme, transhumaniste et chef d’entreprise vendant des voitures qui se conduisent toutes seules et des fusées qui retournent sur leur base de lancement, cet homme-là, depuis son bureau, loin des combats, est philanthrope. Son réseau de plusieurs milliers de satellites en orbite permet l’accès par Internet sans passer par la fibre. Le 28 février, les premiers camions chargés de boîtiers de connexion à Starlink arrivèrent en Ukraine. Dieu est parmi nous ! Les Ukrainiens ne risquent plus la coupure dans leur vie quotidienne et la guerre contre la Russie. 

Par la présente, je défie Vladimir Poutine en duel

Certains fans le comparent au milliardaire super-héros scientifique grosse tête Tony Stark, alcoolo à ses heures, ne l’oublions pas. Voilà, voilà… L’imaginaire Marvel est sorti des comics et des écrans de ciné. Elon Musk tweete ; un mastodonte réagit à la face du monde. C’est une entreprise mondiale qui ne dépend ni des traités de l’OTAN ni des lenteurs cyniques de l’ONU, une entreprise assez puissante pour se mettre peut-être à dos le marché russe. Ce n’est pas anodin, du tout, du tout. Du tout. Matamore et grotesque, Elon lança son gant sur Poutine : “Par la présente, je défie Vladimir Poutine en duel.” Comme le Rodrigue du “Cid” de Corneille, je précise pour tous celles et ceux qui ont dormi en cours de français durant le secondaire.

Encore sur Twitter, Musk défie le Kremlin (littéralement) : "Par la présente, je défie Vladimir Poutine en duel.”
Elon Musk défie le Kremlin.

Il est toujours l’heure de réfléchir à ce qui monopolisa, pendant un moment, mon cerveau avant de mettre sur papier, succinctement, une partie de mes idées. Je vous laisse d’ailleurs ces quelques questions : lorsque des États comme l’Ukraine, protégés par aucune alliance militaire, font appel à une entreprise privée pour les défendre, quelles sont les conséquences géopolitiques, économique, en philosophie du droit ? Pour l’instant, nous ne voyons rien venir. Néanmoins, dans ce présent et ce futur de catastrophes scientifiquement décrites et annoncés, seront-ce les États ou les entreprises mastodontes vers lesquelles les populations se tourneront franchement pour exiger le secours ? 

Des élections dans le monde dit démocratique secouent la démocratie. C’est une évidence. Elles bouleversent, selon moi, ou renouvellent, selon d’autres, les caractéristiques de la liberté. L’impact des entreprises titanesques en recherche de plus de puissance et d’adoration consumériste et des États contrôleurs par nature me laissent dubitatif. À quel dieu protecteur, parmi les États et les entreprises, se voueront les populations pour les protéger des entreprises et/ou des États ? En temps de guerre, aujourd’hui : un jeune ministre de la transition numérique ukrainien tente, à sa façon, de sauver son pays et ses habitants sous le regard des demi-dieux de la tech.

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