Antoine Wauters est un écrivain belge, publié en France par les éditions audoises Verdier. Il est de ces auteurs qui jouent de la frontière poreuse entre la poésie et le roman. Philosophe de formation, il explore, dans la plupart de ses ouvrages, la résilience face au chaos. Il est à la Comédie du Livre pour le magnifique “Mahmoud ou la montée des eaux”.
La résilience est une notion récurrente et un peu fourre-tout, tellement à la mode aujourd’hui qu’on est parfois réticent face à à son suremploi. Il ne s’agit pas moins que de la capacité humaine à résister aux chocs traumatiques. Chez Wauters, ces chocs sont tour à tour la guerre, la mort, la perte, la prison. Dans cet opus, “la montée des eaux” figure l’engloutissement de la vie.
“Mahmoud ou la montée des eaux” est le quatrième roman d’Antoine Wauters publié chez Verdier. Une fois n’est pas coutume, il ancre son récit dans un cadre spatio-temporel plus ou moins défini : la Syrie contemporaine, toujours dans le chaos six ans après la révolution de 2011.
Wauters porte avec une bouleversante détermination la voix d’un vieil instituteur syrien, endeuillé et malade, meurtri par le conflit. C’est un choix qui peut ne pas parler à tout le monde, mais il a le mérite de se placer en tant que “littérature-monde”. En substance, “Mahmoud ou la montée des eaux” parle de la liberté de la littérature et de celle d’un auteur belge à éprouver la vie d’un instituteur syrien.
En faisant de son narrateur un francophone, Wauters nous rappelle le (peu connu) mandat français sous lequel la Syrie a vécu de 1920 à 1946, date de son indépendance. Écriture au-delà des identités, elle se justifie par l’intensité du lien qui unit Mahmoud à la littérature, ou par le personnage de Sarah, poétesse reconnue et amoureuse de littérature russe.
“Crois-tu que les caméras du monde entier se déplaceront pour en rendre compte ? Crois-tu que ce sera suffisamment télégénique pour eux, Sarah ?”
Wauters adopte comme point de départ la construction du barrage de Taqba en 1973, qui a entrainé l’engloutissement d’un village par le lac El-Assad. Du nom de Hafez El Assad, le lac est une de ces prouesses technologiques issues de la volonté de fer et des aspirations quasi-divines de leurs initiateurs.
Peut-être à l’image de son pays, Mahmoud navigue sur le lac et revoit sa propre vie en temps de paix. L’écriture se veut silencieuse et la langue sans fioritures, de sorte que le lecteur est plongé paradoxalement dans le chaos et les crimes de guerre qui le font grimacer.
La démarche de Wauters veut aller à rebours de celle des médias, rappeler qu’au coeur des combats se trouvent des vies dévastées. Le courant de conscience, mélange d’humilité et de culpabilité, qui est celui de Mahmoud convoque le nôtre.
“Tout en bas, le minaret de la grande mosquée.
Je tourne autour.
C’est si beau !
Des poissons.”
En plusieurs chapitres, Antoine Wauters déroule sur un ton élégiaque les regrets du vieil homme. L’eau devient alors une métaphore puissante. Le lac artificiel agit comme une clepsydre : il définit le temps compté du discours, entre parole et silence, et le temps des souvenirs avant que tout ne soit englouti : la mémoire, la vie, la douleur. Wauters expérimente, ose, exploite à fond le registre lyrique et le style incantatoire en proposant une réécriture du célèbre “Demain dès l’aube…” d’un certain Victor Hugo.
“L’écriture est une barque entre mémoire et oubli”
Mahmoud revoit ses enfants, sa femme, Sarah, et son premier amour, Leila. Il y a aussi la poésie, la seule liberté qui l’a aidé à survivre à la prison. Mahmoud énumère des morceaux de paysage, se complaint de sa solitude. Il incarne la figure du poète et de ses méditations au sein de la nature. Ses vers libres lyriques filent la métaphore en donnant cette impression de flottement hypnotique.
“Mahmoud ou la montée des eaux” est une sorte de plongée entre rêve et réalité, le lecteur “rejoint ce qui s’est perdu”, il “rejoint le temps perdu”. Le lac a tout englouti, alors la remémoration intérieure des souvenirs prend le pas sur la véritable description du dehors.
La poésie parvient tant bien que mal à devenir une arme politique sous la plume de Wauters, suffisamment pour nous faire croire à cette histoire tragique. Un roman à lire comme un long poème. Une jolie surprise pour qui n’est pas familier de l’écrivain belge.
Antoine Wauters, “Mahmoud ou la montée des eaux”. Éditions Verdier, 130 pages, 15,20 €. Antoine Wauters a reçu le prix Wepler 2021, il est toujours en lice pour le prix Inter 2022 (Photo Lorraine Wauters).
Dédicace le dimanche 22 mai de 12h à 13h à l’auditorium du musée Fabre.