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Vasiliki Kalatzis : une vision audacieuse sur la cécité

Biologiste, directrice de recherche à l’Institut des Neurosciences de Montpellier, Vasiliki Kalatzis travaille sur les maladies héréditaires de l’œil responsables de cécité. Elle a été primée récemment par la fondation Kastler qui valorise la recherche sans expérimentation animale. Rencontre avec une chercheuse australienne d’origine grecque, aussi originale que discrète, qui milite pour l’abandon de la recherche sur des modèles animaux au bénéfice de modèles humains.

 

 

Le 4 février dernier, Vasiliki Kalatzis  recevait le prix très convoité de la fondation Kastler, fondation du droit animal, éthique et sciences, présidée par Louis Schweitzer, pour ses travaux sur la cécité sans animaux de laboratoire. Pourquoi, par militantisme pour la cause animale ? Vasiliki Kalatzis sourit. “Non, aujourd’hui, l’utilisation des animaux en laboratoire est très réglementée ! On a des comptes à rendre, on ne fait pas n’importe quoi avec !” Je comprends soudain que les petits rongeurs de laboratoire sont mieux traités que certains animaux d’élevage, mais c’est un autre sujet !  Revenons à elle.

Vasiliki Kalatzis travaille sur le dysfonctionnement de la rétine (le tissu sensible à la lumière qui tapisse le fond de l’œil) qui peut entraîner une perte de la vision.  En France, plus de 110 000 personnes sont atteintes de cécité. Environ 50% des cas sont d’origine génétique : les maladies apparaissent à cause d’une mutation dans un gène qui peut être transmis de génération en génération. Ces maladies sont appelées des dystrophies rétiniennes héréditaires (DRH). La difficulté pour la recherche, c’est que plus de 270 gènes sont en cause, et des mutations dans un même gène peuvent donner lieu à des formes cliniques distinctes.  Il y a donc de multiples DRH à découvrir.

Les humains mieux que les souris

Si j’ai arrêté les modèles rétiniens souris, c’est pour aller plus loin dans mes recherches. Ces modèles rétiniens souris ne reproduisent pas les mêmes signes cliniques que les modèles rétiniens humains, à cause d’une structure rétinienne différente de celle de l’homme ainsi qu’une durée de vie plus courte.” Travailler pour l’humain à partir de l’humain ! Je pressens que ça va devenir technique. Comment vais-je m’en sortir, moi dont l’expérience de biologie s’est arrêtée au collège devant une paramécie compressée entre deux lamelles de verre ! “Mais non, c’est très simple, ne vous en faites pas !”

Vasiliki Kalatzis fait partie des individus savants qui ne rechignent pas à expliquer aux non-initiés. Mais je m’en fais quand même un peu ! “En 2008, j’apprends qu’une équipe de chercheurs japonais vient de mettre au point un système permettant de créer des modèles humains de n’importe quelle partie du corps. Immédiatement, je me dis qu’il faut explorer cette voie, et on se met à développer un modèle rétinien humain ! (*)”

Résultat ? En une dizaine d’années, l’équipe qu’elle dirige progresse comme jamais, réussissant à générer une banque de cellules de peau de 36 patients avec des mutations dans 9 gènes différents qui représentent 14 formes cliniques distinctes !  C’est une approche “patient au patient” !  Le premier médicament de thérapie génétique pour une DRH vient d’être mis sur le marché.

Alors, qu’attendent les autres chercheurs pour abandonner les souris et autres poissons-zèbres ? “Au départ, la communauté scientifique n’était pas très convaincue par notre idée de s’affranchir des modèles souris ! Mais aujourd’hui, de plus en plus de groupes, dans d’autres secteurs de la recherche, se dirigent vers les modèles humains.”

“Je dois trouver 70% de mon financement”

Ainsi, en récompensant Vasiliki Kalatzis, les membres du jury du prix Kastler ont aussi souhaité attirer le monde scientifique vers cette nouvelle tendance et elle, elle espère que ce prix va lui attirer davantage de fonds. Comme beaucoup de chercheurs, elle insiste sur le manque d’argent – ”je dois trouver 70% de mon financement” -, et souligne l’incohérence du système. “Un contractuel, je ne peux pas le garder plus de quatre ans, et devoir se séparer de quelqu’un qu’on a formé et qui a envie de rester, ça n’aide pas !”

Mais Vasiliki Kalatzis n’est pas du genre à renoncer. La motivation qui l’anime est sans faille, même si, petite, elle ne se rêvait pas forcément en blouse blanche, œil rivé au microscope ! “Je ne savais pas quoi faire. Je n’étais pas mauvaise en sciences, mais la seule chose qui m’intéressait c’était le mystère des gènes, pourquoi on ressemble à sa mère ou à son père ?”

“Je ne parlais pas un mot de français”

Ce mystère-là, il va la guider dans ses études (thèse sur la surdité génétique) puis dans sa carrière de chercheuse jusqu’à Paris (1992), département surdité puis les anomalies rénales, et en 2001 jusqu’à Montpellier, département de la vision.

“Quand je suis arrivée en France, je ne parlais pas un mot de français, heureusement, dans les sciences beaucoup de mots sont identiques ! Mais c’était quand même difficile !” Et pourtant, cette Australienne de 52 ans a le mouvement migratoire inscrit dans ses “gènes”, ha ha !!! “Mes grands-parents, dans les années 20, ont quitté la Grèce pour Alexandrie. À l’époque, cette ville égyptienne possédait une forte communauté grecque. Puis dans les années 50, les changements politiques font que les étrangers comme nous ne sont plus les bienvenus. Alors la famille émigre beaucoup plus loin, en Australie, à Adélaïde. Et après, c’est moi qui pars en France !  Aujourd’hui, même si les grands espaces australiens me manquent, je suis heureuse de vivre à Montpellier.”

“En Europe, j’ai découvert les vieilles pierres”

Quand Vasiliki Kalatzis n’est pas en train de travailler sur l’infiniment petit sur le site de l’Inserm situé à Saint-Éloi, elle se balade dans la nature ou dans les centres villes historiques. “Je ne me lasse pas de l’Écusson. J’ai aussi une passion pour les villes fortifiées (Carcassonne, Aigues Mortes) et pour l’histoire, en général. C’est en Europe que j’ai découvert les vieilles pierres.”

Et alors que notre rencontre prend fin et que je lui fais part de ma surprise d’avoir aussi bien compris son histoire de modèles rétiniens humains, et que j’en suis presque à regretter de ne pas m’être davantage intéressée à la vie des paramécies, je lui demande si elle conseillerait son métier à de jeunes gens.  Un sourire encore plus large que d’habitude traverse son visage et ses yeux pétillent. “Sans aucun doute ! Une façon de faire progresser la science, et surtout participer à aider l’humain à mieux vivre et ça c’est un beau métier !”

 

 

(*) Comment fabriquer un modèle rétinien humain à partir d’une cellule souche ? “On prend une cellule de peau d’un patient porteur de mutations dans un gène cible. On y ajoute un cocktail de facteurs bien défini qui fait perdre son identité à la cellule de peau afin qu’elle devienne une cellule souche. Et enfin, on peut la transformer en une cellule de la partie du corps qui nous intéresse. Nous, c’est la rétine. Et même s’il faut neuf mois pour obtenir un modèle humain contre trois semaines pour un modèle souris (le temps de la gestation d’un bébé humain contre un bébé souris), peu importe, on est quand même largement gagnant en termes de qualité d’expérimentation !”

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