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Louis Gauffier au musée Fabre : la revanche d’un petit maître !

Un homme sexy dans une affiche séduisante, mais un peintre radicalement méconnu, une enquête en mode “cold case” pour retrouver un tableau, des décors somptueux : le musée Fabre est très fort pour sortir des artistes des recoins de l’histoire de l’art. Ici, l’ami de son grand donateur François-Xavier Fabre : le Français Louis Gauffier.  

Le voyage en Italie de Louis Gauffier. Qui ? Gauffier, avec deux “ff” ! Je regarde ses dates de vie et de mort, 1762/1801. Il a donc œuvré en pleine période néoclassique, celle incarnée par Jacques-Louis David peignant les gloires napoléoniennes, pas franchement ma préférée ! “Même ceux qui connaissent bien cette période, n’identifient pas forcément Gauffier, c’est ce qu’on appelle un petit maître”, précise le commissaire de l’exposition, Pierre Stépanoff.  

Qu’a bien pu justement faire ce “petit maître” pour entraîner un musée au fond si prestigieux à lui consacrer son exposition de l’été, celle où il fait si bon d’errer entre la fraîcheur de ses murs ? “Nous possédions déjà une quinzaine de toiles et tout autant de dessins, il faut faire vivre notre fond. En tant que conservateur du patrimoine des collections de la Renaissance jusqu’au milieu du XIXe siècle, j’ai hérité de cette mission.” 

La réponse est autant artistique que pragmatique et je me demande alors pourquoi autant de Louis Gauffier, peintre originaire de Poitiers, à Montpellier.“François-Xavier Fabre, peintre et généreux collectionneur était son ami.” Les deux hommes se rencontrent à Paris, partageant le même atelier. 1789. La noblesse fait vivre les artistes. Or, pour conserver sa tête sur ses épaules, la noblesse commence à fuir vers d’autres cieux plus royaux, par exemple l’Angleterre, pendant que justement les Aristocrates anglais font le “Grand Tour” selon l’expression britannique consacrée. Une époque où le tourisme de luxe ne prend pas encore la pose sur le pont des yachts voguant sur le bleu profond d’une mer caraïbe encore infestée de pirates ! À la fin du XVIIIe siècle, quand on a de l’argent, on vogue dans l’histoire de l’art. Direction : l’Italie, surtout Rome (le mouvement néoclassique encourage la redécouverte de l’Antiquité) et Florence (les chefs d’œuvres de la Renaissance) ! 

Louis Gauffier doit gagner sa vie. Il va là où les Riches vont et devient le portraitiste de ces so elegant british. Il y retrouve son ami François-Xavier Fabre, autre petit maître. Mais en 1793, Rome, en guerre contre la France révolutionnaire comme une bonne partie de l’Europe, met ses migrants peintres français dehors et Gauffier et Fabre partent pour Florence, restée neutre. Même si les Médicis ne sont plus que des fantômes, les artistes sont toujours les bienvenus ! Louis Gauffier vit en croquant des aristocrates. Il se lie d’amitié avec certains, dont Thomas Hope, anticomane acharné qui sera l’inventeur du style Regency (PHOTO ci-dessous) et mettra à l’honneur les tableaux de son ami Gauffier emporté à 39 ans par une maladie pulmonaire, juste quelques mois après sa femme. Reste deux orphelins. 

François-Xavier Fabre n’a pas que de l’argent. Il a aussi du cœur et achète des Gauffier, afin d’aider la famille de son ami. Et les autres Gauffier de l’exposition d’où viennent-ils ? “Travailler sur une exposition c’est d’abord bien regarder ce qu’on a et réfléchir à ce qu’on pourrait avoir, contacter d’autres musées et des collectionneurs privés pour se les faire prêter ! Le premier véritable article sur Louis Gauffier date de 1926, dans ‘La Gazette des Beaux-Arts’, par Paul Marmottan, historien de l’art et fondateur du musée Marmottan Monet à Paris. L’illustration de son article est la reproduction d’un tableau daté de 1796, un jeune homme anonyme qui pose avec un chien, derrière eux, Florence.”

Pierre Stépanoff verrait bien ce jeune homme anonyme, sans doute anglais, en affiche de l’exposition. “Les beaux Gauffier sont connus, celui-ci, outre ses qualités artistiques n’a jamais été montré, donc, il peut créer la surprise et il est donc d’autant plus attirant que le jeune homme est beau.” Effectivement, le “beau” attire, ça fonctionne pour les parfums et les voitures, pour quelles raisons ça ne fonctionnerait pas pour un musée !

Reste à mettre la main sur le tableau convoité ! À l’époque de Paul Marmottan, le tableau appartient à un aristocrate russe vivant à Paris, le prince Koudacheff. Depuis, il a disparu. Cependant, Pierre Stépanoff a foi dans le service de la documentation des peintures du Louvre, à Paris. Là, des centaines de boîtes contenant des informations sur des centaines de tableaux. Sorte de cold case de la peinture sauf que, à l’opposé d’une victime, un tableau est toujours vivant. 

Le conservateur montpelliérain finit par dénicher la boîte du jeune homme au chien. À l’intérieur, un petit mot écrit par un employé zélé qui précise que Sylvain Lavessière (ancien conservateur du musée du Louvre) sait où le tableau se trouve ! Illico, Pierre Stépanoff le contacte. Ce dernier précise que lui-même ne sait pas directement où il est mais que l’épouse d’un autre ex conservateur du Louvre, aujourd’hui décédé, doit savoir. Gossip museum existe, mais c’est pour la bonne cause ! L’épouse explique que le tableau a été vendu par les héritiers du prince à une galerie qui l’a revendu à une famille qui l’a toujours. On contacte la famille, elle souhaite rester anonyme, mais elle est d’accord pour prêter son “Portrait de jeune homme avec son chien”. C’est le titre donné par Gauffier ? “Non, c’est ce qu’on appelle un titre forgé.” 

Et le titre d’une exposition, on le trouve comment ? “Quand on n’a pas entre les mains un grand nom de la peinture, il faut être un peu malin. L’Italie est un pays que les gens aiment, un pays qui attire, un pays avec un fort passé artistique. L’affiche et le titre sont le premier échange avec le public et la grande majorité des œuvres que nous présentons ont été réalisées en Italie, donc, c’est plus que justifié !”

Oui, les circonstances de l’Histoire feront que Louis Gauffier passera la majorité de sa vie professionnelle en Italie. Il y perfectionnera sa maîtrise du portrait. “Louis Gauffier, c’est une technique parfaite de la peinture, et il s’autorise à la mettre au service d’une certaine liberté d’interprétation. Il effleure une forme de romantisme avant l’heure, notamment au niveau des poses parfois décontractées, presque lascives, de ses modèles !”

Et si c’était justement sa qualité de peintre mineur qui l’avait autorisé à s’enhardir, à parvenir à créer de l’intime dans une époque dédiée aux sujets historiques sur très grands formats ! Louis Gauffier, un précurseur ? Le musée Fabre a tout fait pour retrouver des Gauffier oubliés et les présenter aux visiteurs et depuis quelques semaines, on en voit réapparaitre un peu partout. Les heureux propriétaires auraient-ils senti que la revanche du petit maître était en train de commencer ? 

Au fait, quel est le prix d’un Gauffier ? “Il dépend du sujet et du format. Mais disons qu’aujourd’hui, une toile de Louis Gauffier de 60 x 70 cm qui vaut dans les 150 000 euros, pourrait prendre 30 ou 50%.” Donc, pas si cher que ça un Gauffier ! Pas cher par rapport à quoi ? À qui ? Au Soulages exposé ici et prêté par un collectionneur anonyme qui l’a acheté 9 millions d’euros en 2019 ? Ce sont les nouveaux acheteurs de Gauffier qui peuvent définitivement faire de lui un “grand” maître !   

Exposition temporaire “Le voyage en Italie de Louis Gauffier”, du 7 mai au 4 septembre 2022. Ouverture du mardi au dimanche de 10h à 18h.

Droit d’entrée pour l’exposition temporaire à 12 € (plein tarif). 39 boulevard Bonne Nouvelle, 34000 Montpellier

De haut en bas :

Louis Gauffier et Pauline Gauffier, “Portrait de la famille Gauffier”, vers 1793, huile sur toile, 72,5 x 54,5 cm, Florence, Palazzo Pitti, Galleria d’Arte Moderna, dépôt du musée des Offices. © Gallerie degli Uffizi – Gabinetto Fotografico

Jacques Sablet, “Portrait de deux hommes dans le cimetière protestant de Rome” dit “Élégie romaine”, 1791, huile sur toile, 61,8 x 74 cm, Brest, Musée des Beaux-Arts de Brest Métropole. ©Musée des Beaux-Arts de Brest métropole

-Pierre Stépanoff, conservateur du patrimoine au musée Fabre, commissaire de l’exposition dans un décor Régency.

-Louis Gauffier, “Portrait de jeune homme avec son chien”, 1796, huile sur toile, 67 x 51 cm, Collection particulière. © Photo Patrice Maurin-Berthier

-Louis Gauffier, “Portrait de la Famille Miot”, vers 1795-1796, huile sur toile, 68,7 x 88 cm, Melbourne, National Gallery of Victoria, Acheté avec des fonds donnés par Andrew Sisson, 2010. © National Gallery of Victoria, Melbourne.

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