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Le hamam à Istanbul : plus jamais ça !

Une nouvelle chronique douce amère, et drôle, de la série de Marie Urdiales “Plus jamais ça”, sur le quotidien d’une femme qui lui ressemble. Neuf textes inédits qu’elle a confié à LOKKO. Après l’escalade du pic Saint-Loup, la méditation, les sites de rencontre… : une expérience inoubliable dans un hamam à Istanbul.

C’est à l’occasion d’un séjour dans la merveilleuse ville d’Istanbul que mon amie Fiona et moi avons eu la chance de pouvoir tester un véritable hamam turc, et la chance plus grande encore d’en sortir vivantes.

C’est Mimi, mon adorable hôtesse, qui m’avait conseillé ce hamam (en turc, le mot ne prend qu’un m, j’ai décidé que ça suffisait !) tout en me disant qu’elle-même n’y était pas allée, mais que les hôtes précédents avaient beaucoup aimé. Construit en 1493 par un des plus célèbres architectes de l’époque, Sinan, ce hamam est situé dans un quartier un peu à l’écart des hauts lieux touristiques, et comme souvent à Istanbul, je suis surprise par les nouveaux mondes qui se dévoilent, dès qu’on quitte les sentiers touristiques et prend un peu des chemins de traverse. En l’espace de quelques rues, le cours du loukoum chute de moitié ! Le numéro indiqué sur mon petit papier révèle une belle porte en bois. Curieuses de découvrir ce qui se cache derrière, Fiona et moi la poussons… Et faisons, par notre simple apparition, sursauter la dizaine d’hommes assis dans l’antichambre, simplement vêtus de… Euh, je ne sais pas de quoi sont vêtus ces vaillants Stamboliotes, en fait, car en moins de temps qu’il ne nous faut pour refermer la porte, un monsieur entièrement habillé, lui, nous fout gentiment dehors, et nous amène quelques mètres plus loin sur le même trottoir, à la partie réservée aux femmes. Une dame d’âge indéfinissable, mais d’un dynamisme effrayant, nous accueille.

Un hamam tout ce qu’il y a d’authentique

Le foyer est étonnant, une vaste salle entourée de petites cabines, sur une étroite promenade. Les cabines ressemblent à des cabines de plage, sauf qu’ici elles ont la particularité d’avoir la moitié supérieure en verre. Au centre de la salle, des canapés et des fauteuils, une rangée toute violette, l’autre, plus polychrome, dirons-nous. Un poêle où chauffe l’éternelle théière turque, une chaise où trône l’éternelle dame âgée turque avec son non moins éternel fichu, et sur la droite, une porte.

L’amphytrionne de ce lieu (je sais, le mot n’existe pas, mais il lui va si bien !) nous pousse vers les cabines, en expliquant mille choses en turc à Fiona, Fiona qui n’a pas d’autre choix que d’opiner de la tête. On nous pousse donc gentiment vers une cabine chacune. En me déshabillant, je me dis que les cabines vitrées sont en quelque sorte l’ancêtre de la vidéo-surveillance, sachant que la petite vieille avec son fichu vaut toutes les brigades de flics de la terre. Elle me regarde avec un petit air malicieux qui me ferait illico passer l’envie de chourer le miroir si cette envie m’avait effleuré l’esprit. Une fois changées, et pudiquement enroulées dans les serviettes mises gentiment à disposition par l’endroit, Fiona et moi sommes maintenant poussées vers la porte qui donne… dans un couloir où déjà, on devine la vapeur du hamam.

Le hamam a donc été construit en 1493, et une chose paraît évidente : depuis, on n’a pas trop investi dans la peinture ! Sur les hauts murs, la peinture (la chaux ?) s’effrite et s’écaille par larges plaques. Je demande les toilettes, on me désigne une pièce sur la gauche, au bout d’un mini-couloir. Ce sont des toilettes à la turc (jusque là, ça me paraît cohérent) avec, en guise de porte, une sorte de panneau en bois, un peu comme dans un saloon du far west, et même que, quand je suis debout, le panneau m’arrive à la taille. L’espace d’un instant, j’ai l’impression d’être Jolly Jumper. Il n’y a pas de papier toilette, je gère donc avec les moyens locaux (pour plus de précisions, merci de bien vouloir contacter notre centre d’informations qui vous renseignera).

“Tea for two and two for tea”

Je rejoins Fiona dans la première salle, la dame m’enlève ma serviette d’un geste déterminé, puis me tend une sorte de gamelle en plastique en me disant : “water ! wash ! wash !” J’obtempère, ce que, eut-elle dit “water ! drink ! drink !” je n’aurais pas fait. Et nous voici donc, Fiona and I, dans une salle au sol de marbre, assise chacune à côté d’une sorte de grande cuvette en marbre dans laquelle coule une eau bien chaude. Au-dessus de nos têtes, la voûte est percée de plusieurs petits puits de lumière, et c’est assez beau. De cette même voûte descend un long fil électrique quasiment nu, au bout duquel pend une ampoule à économie d’énergie.

Pour l’instant, et malgré le fort potentiel anecdotique et le charme indéniable du lieu, j’avoue que je suis un peu déçue. En effet, la dernière fois que je suis allée dans un hamam traditionnel marocain, au centre de Montpellier, la vapeur était tellement dense qu’on n’y voyait pas le bout de son nez. Un mur de vapeur bien épais, à vous donner envie de revenir aux basiques et de vous mettre à siffler “Tea for two and two for tea” en imitant Bourvil et de Funès. Là, non seulement je vois le bout de mon nez, mais aussi celui de Fiona. Comme j’aperçois une autre porte qui donne vers je ne sais où, je m’aventure à aller jeter un œil, pour regarder si ailleurs, il y a plus de vapeur… Y’a pas.

Je réponds en anglais et on continue de suer en groupe.”

Devinette : si, dans un hamam, deux femmes portent un bas de maillot et que quatre autres sont à oilpé, de quelle nationalité sont les quatre ?

Je retourne avec Fiona, et toutes deux passons un long moment à nous asperger d’eau chaude l’aide de nos gamelles, sans trop savoir ce qui nous attend. On échafaude bien quelques théories (à voix basse, au cas où la gardienne du lieu reviendrait) mais en vérité, chaque hamam est différent des autres hamams, et même à deux, nous ne saurions revendiquer une quelconque valeur empirique pour nos expériences. En même temps, au bout d’un moment, quand nous nous sommes confirmé mutuellement que nos visages de blondes ont atteint une rougeur suffisante, nous décidons de changer de salle, et de passer à la suivante. Entre-temps, la vapeur y est plus dense, mais reste néanmoins très supportable, voire agréable.

Une des dames toutes toute nues m’aborde en allemand. Comme 95 % des gens, ici. La prochaine fois que je viens en Turquie, je me teins en rousse et j’essaie de me faire passer pour une Irlandaise. 

Je réponds en anglais et on continue de suer en groupe.

Au bout de je ne sais combien de temps arrive une petite bonne femme qui pourrait laisser penser qu’il y a une sorte de gabarit de référence, pour travailler dans un hamam (petite mais costaude) ainsi qu’une tenue traditionnelle, composée en tout et pour tout d’une culotte et d’un sous-tif, si possible dépareillés. La dame se place au centre, et dans un allemand certes rudimentaire mais néanmoins précis, nous explique que nous allons passer entre ses mains, puis entre celles d’une autre “lady”, chacune à notre tour, que ça va nous coûter 50 lires turques chacune, et qu’un pourboire serait le bienvenu. Même si elle sourit, elle n’a pas l’air très commode, on fait toutes “oui oui” avec nos têtes, au cas où.

Je suis la dernière à passer. De là où je suis, je peux observer ce qui se passe dans la pièce à côté. En fait, on s’allonge sur une table en marbre (jusque là, rien que du grand classique de hamam) puis la dame vous frotte tout le corps avec une sorte de gant de crin. Elle vous chasse d’un geste, rince la table en y balançant un grand seau d’eau, et hop ! À la prochaine. Je constate qu’elle utilise le même gant pour toutes. Et je vous rappelle que les Allemandes sont nues et qu’on doit mettre TOUT SON CORPS sur la table. TOUT ! Rien à dire, je suis en train de me constituer une putain de réserve d’anticorps. 

Quand c’est mon tour, je décide de ne pas penser aux germaniques postérieurs.

Conformément aux ordres, je me mets sur le ventre, et me laisse frotter de partout. Au risque de briser net quelques fantasmes masculins : une petite femme dodue qui frotte une grande blonde en slip de partout dans un hamam n’est PAS sensuel. C’est limite douloureux, du moins pour celle qui est allongée entre le marbre et la poigne de fer de la petite femme ronde. Après le dos, on me fait signe de présenter mon ventre, puis de m’asseoir, et on me frotte jusqu’au bout des doigts.

Après cette première étape, retour dans la salle avec Fiona et les autres, on se rince les peaux mortes (j’avais prévenu, ce n’est PAS sensuel du tout) puis on recommence à suer. Arrive alors la deuxième petite femme dodue du hamam. Surprise ! Elle a l’air encore moins rigolote que la première. Pourtant, c’était pas gagné. Du bout de l’index, elle appelle la première Allemande, nous la voyons disparaître avec appréhension. On appelle aussi la deuxième. Puis la troisième…. Et ce qui doit arriver finit par arriver : c’est mon tour !

“Soap partie” en discothèque

Quand j’arrive dans la salle, je ne vois que le dos de Fiona, assise de l’autre côté de la table en marbre. Je lui demande si ça va, elle ne me répond pas. On me remet sur le ventre. Là commence la partie savon. Mais quand je dis la partie savon ! En l’espace de quelques minutes, j’ai l’impression d’assister à une “soap partie” en discothèque ! Il y a de la mousse partout ! J’en ai même sur le visage, c’est puéril, mais ça me fait une barbe de père Noël et ça me fait rigoler. Cette partie là est plutôt agréable. Enfin, au début. On me passe du savon partout, et la dame me fait en plus un petit massage du dos et de la nuque. Puis on me demande de me tourner. Là, je constate l’effet du savon sur une table en marbre, et l’incapacité du corps humain à rester digne lorsqu’il est confronté à la situation susmentionnée. Elle me frotte le ventre, et le reste, comme elle tire sur mon bras, je ne peux pas faire autrement que de poser ma main sur son bidon tout rond. C’est rigolo, c’est ferme et doux. Pour finir, on me demande de m’asseoir. Comme la partie savon a été plutôt agréable, moi, toute garde baissée, candide, je m’assieds.

Je ne savais pas qu’on pouvait mettre autant de savon sur mon visage. Et me frotter avec autant d’acharnement le nez, la bouche, le cou, et derrière les oreilles. Je pense que la dernière fois que quelqu’un m’a lavée derrière les oreilles, je portais encore des couches. Je garde les yeux bien fermés. Heureusement. Ainsi, je ne vois pas arriver la petite femme armée d’un seau d’environ 30 litres d’eau tiède, qu’elle me balance sur la tête, d’un coup (elle doit avoir une force… terrible !) Le temps de retrouver mon souffle, j’ose ouvrir les yeux. Elle est plantée devant moi, visiblement fière de son coup. Effet Kiss Cool réussi, touriste K.O.

Mais qu’est-ce qu’elles ont toutes contre mes oreilles ?!

Je file rejoindre mes compagnes d’infortune parce que je dois encore me rincer le dos, toujours plein de mousse, lui. J’arrive à peine dans la salle que Fiona m’accueille d’un “ici, ils lavent aussi les cheveux” résigné. Elle a à peine fini sa phrase que la moins sympa des deux dodues, perchée sur un tabouret, me fais signe de venir m’asseoir entre ses jambes. Comme j’ai décidé de faire abstraction des allergies, parfois assez fortes, que provoquent environ 80 % des produits cosmétiques en vente sur le marché, je ne cherche même pas à négocier. Je vois bien à quoi ressemble la bouteille de shampoing, c’est du 100 % allergie garantie mais bon : au pire, je serai recouverte de cloques des pieds à la tête, c’est pas grave, tant que la dame, elle se fâche pas. Je m’installe, bien calée entre ses cuisses et son ventre. Pas le temps de compter jusqu’à un, que déjà elle s’attaque à mon cuir chevelu avec une énergie que je ne rêvais pas rencontrer un jour. Une énergie que je ne voulais surtout pas rencontrer un jour. Pendant qu’elle s’occupe de moi, j’ai l’impression d’être une bébé guenon à qui sa maman passe un savon. La tête, puis le visage, les yeux (je parie contre moi-même que je vais y laisser au moins une lentille), le nez, et enfin, les oreilles, encore.

Mais qu’est-ce qu’elles ont toutes contre mes oreilles ?!

Jamais elles n’auraient osé faire ça à une Turque !”

Et hop ! Deux gamelles d’eau bouillante pour rincer tout ça, dix minutes pour se remettre, et on sort. Retour dans la cabine, et là : gros désarroi. Dans ma précipitation, je n’ai pas pensé à prendre un sac pour y mettre mon maillot mouillé avant de le glisser dans mon sac à main. Indubitablement, sur ce coup l’équipe teutonne marque un point.

Une fois rentrée, j’ai raconté tout ça à nos hôtes, morts de rire. Commentaire de Mimi : “Jamais elles n’auraient osé faire ça à une Turque !” (“ça” étant notamment le lavage de cheveux). Bon, en même temps, ce sont des touristes italiennes qui ont conseillé l’endroit. Visiblement, elles ont trouvé ça hyper authentique… 

Ceci-dit, c’était quand même le meilleur hamam de ma vie, Fiona et moi sommes sorties de là follement amusées et délicieusement détendues. Malgré le cuir chevelu qui me démange…

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