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Le cabinet de curiosités de la “tattooist” Emma Lola Bodard

Elle se dit “tattooist” : contraction de tattoo et artist. Mannequin pour des grandes marques, graphiste à Hong Kong, publiciste à Bangkok, et tatoueuse actuellement à Berlin, Emma Lola Bodard expose son travail jusqu’au 23 octobre chez Agnès B. dans sa ville natale. 

Emma Lola Bodard me rejoint à l’ombre rafraîchissante d’un café montpelliérain. Sourire aux lèvres, petite robe aux motifs floraux, Doc Martens, et les bras recouverts de divers tatouages, savant mélange de genres, créations personnelles ou œuvres d’amis.

Il m’apparaît très vite qu’Emma Lola Bodard est une jeune femme à la vive intelligence qui se livre sans fard, le phrasé entrecoupé d’expressions anglaises (c’est que dans son quotidien, elle parle plus l’anglais et l’allemand que le français, sa langue maternelle). 

L'artiste tatoueuse et sa chienne.

Une enfance dorée à Montpellier

Emma Lola Bodard est née à Montpellier. Fille d’un père commercial féru de bandes dessinées et d’une mère journaliste spécialiste de Formule 1, peintre à ses heures perdues, elle évoque une enfance dorée, une famille sensible au beau et à la poésie. “J’étais entourée de musique, se remémore la jeune fille. Mes parents aiment les beaux hôtels, la bonne bouffe… et pour autant ils ne sont pas riches du tout.”

Après un bac à l’Institut Agro Montpellier, elle fait une mise à niveau en arts appliqués à l’Ipesaa, école d’art et de design. La jeune femme n’est pas à l’aise avec les carcans imposés par les systèmes académiques, frustrée même, elle décide de se lancer assez rapidement en tant qu’auto-entrepreneuse illustratrice-graphiste. Les tatouages commencent à fleurir, un à un, son corps.

Fake it until you make it

Son mojo : “Fake it until you make it” (Fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives). Tout est possible. Pour gagner des sous, Emma Lola pose. Elle travaille avec Zadig & Voltaire, shoote avec American Vintage, des rencontres qui lui permettent de découvrir la scène mode de Paris. En 2015, durant la fashion week, elle fait la connaissance de designers hongkongais qui la choisissent pour photographier le lookbook de la saison suivante. S’étant présentée comme “graphiste-illustratrice”, elle est rappelée trois semaines plus tard par ces mêmes designers qui l’invitent, tous frais payés, à venir collaborer avec eux à Hong Kong.  “Il faut imaginer le contexte ! Moi je vivais encore chez ma mère, je sortais à peine des études… c’était un truc de ouf ! Totalement improbable ! J’ai accepté et j’y suis allée.”

Des gants en cuir qui reprennent l'imagerie old school des dessins de roses du tatouage traditionnel.

Après un mois de collaboration et un passage à Londres, elle rentre à Montpellier. Sa rencontre avec un Néo-Zélandais lui fait traverser l’Océan Pacifique. En Nouvelle-Zélande, elle travaille pour une maison d’édition basée à… Paris. L’appel du voyage étant le plus fort, le couple déménage à Bangkok où Emma Lola trouve du travail dans un grand groupe américain de publicités : Grey, l’équivalent de Publicis. À tout juste 20 ans, elle devient graphiste et directrice artistique junior à Grey Bangkok. Seule étrangère dans une agence de 150 personnes thaïlandaises, son expérience s’avère décevante : “Grey est une agence de pub, du marketing visuel pur et dur et j’étais complètement bridée au niveau artistique”. Retour à Montpellier.

Une renaissance à Berlin

Pour son stage de fin d’études, Emma Lola se rend à Berlin. Tout en étant graphiste à temps plein, elle commence à s’entraîner à l’art subtil du tatouage avec une machine qu’elle s’est offerte une fois son diplôme en poche. Sur son petit canapé berlinois, le soir, elle tatoue les collègues de son co-working. “Le tattoo m’appelait. C’était un art de l’Humain, un rituel. Je suis très sensible à l’énergétique, et l’acte de tatouer ça tient du mystique, du magique. C’est aussi un art du moment présent. Je voulais être dans cet instant présent. Le tatouage était une porte ouverte vers la liberté artistique.”

Elle part enfin, munie de ses planches de dessins, faire le tour des studios de tatouages de Berlin. Elle se fait accepter par l’un d’eux et y commence sa formation. Tout un monde s’offre dorénavant à elle. Son gros coup de coeur : le tatouage traditionnel – avec cet aspect old school des dessins de roses, de bikers, des lettrages rétro, etc. – qu’elle étudie auprès d’un grand tatoueur berlinois, Christoph Aribert. Lancée dans cet univers vintage, elle découvre le Single Needle Tattoo (les tatouages réalisés avec une seule aiguille) et se nourrit de l’atmosphère de sa ville adoptive. “Sur le plan du tatouage, l’Allemagne c’est pas cute, c’est brut. Il y a de la haine, de la rage… ces énergies sont très présentes. Il y a énormément de culpabilités et de confusion par rapport à l’Histoire du pays, du coup la scène alternative punk est énorme. Ils exorcisent tout ça. Ça a besoin de s’exprimer fort.”

“Le milieu du tatouage est très fermé

Dans son appartement, elle peint aux côtés de sa fidèle chienne, dessine, manie l’aquarelle pour étudier ses flashs de tatouages, la gouache pour ses esquisses personnelles, et peint aussi sur le cuir. Cette “tattooist” secoue l’univers du tattoo qu’elle décrit comme “très fermé”.

“Le milieu du tatouage est très fermé et, surtout celui du tattoo traditionnel. Dans le tatouage trad’, tu vis tattoo à 100%. Mon mentor est un tatoueur traditionnel depuis 27 ans. Ça lui parle ce que je fais, et en même temps, je le gêne énormément. Il me donne un savoir-faire tout en sachant que vais le digérer à ma manière…”

Le tatouage old school à motif de roses de Emma Lola Bodard
Emma Lola Bodard s'inspire aussi d'une imagerie biblique et punk.

Lors d’un passage à Montpellier, elle rencontre les dirigeants de la boutique Agnès B. L’idée d’une exposition naît. Après deux reports pour cause de Covid, Emma Lola va enfin pouvoir exposer dans la ville qui l’a vu naître. Le stress est là. Pour cette exposition, elle estime devoir être “unapologetically me” (“soi-même sans regret”).

Cette exposition est un vrai cabinet de curiosités, un aperçu de son univers nourri aux œuvres de la Renaissance, de Basquiat et de l’histoire du tattoo. Travaillant les images bibliques, mêlant du lettrage rétro aux représentations de cœurs sacrés et des papillons aux couronnes d’épines, Emma Lola Bodart expose créations de cuir, aquarelles, toiles, céramiques ainsi que deux créations en collaboration avec la styliste Agnès B… Aujourd’hui, elle rêve de créer une ligne de lingerie. On a déjà hâte de voir ce qu’elle prépare !

Le cabinet de curiosités d’Emma Lola Bodard à voir du 15 septembre au 23 octobre 2022, à la Galerie Agnès B., 14 rue Foch, Montpellier.

Si vous désirez être tatoué-e par Emma Lola, elle sera en résidence, tout le mois de septembre chez koolkidztattoo. N’hésistez pas à la contacter via son instagram ou son site internet www.emmabodard.com

Crédit photo : Sabrina Hadj-Hacène @sabiswy sur Instagram

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