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Le camping alternatif au Québec : plus jamais ça !

Qu’ont en commun le trajet Montpellier-Toulouse en moto, un site de rencontres ou une visite chez l’esthéticienne ? Ce sont des aventures vécues par l’écrivaine Marie Urdiales. Ou plutôt, subies. Avec beaucoup de mauvaise foi et une bonne dose d’humour noir. Neuf expériences réunies sous le titre “Plus jamais ça !”. Après le hammam turc dernièrement, voici l’expérience du camping alternatif au Québec…

 

Le problème avec le Québec, c’est que tous ceux qui vous en parlent encensent la beauté de la nature, chantent les louanges de la vie sauvage, proclament à qui veut l’entendre les bienfaits d’une vie à la limite du dépouillement et vantent les mérites du plein air et des longues marches à travers bois. À force de marketing, même vous, citadine endurcie qui poussez de petits cris dès que tombe une feuille morte, même vous finissez par craquer et par succomber à l’idée saugrenue qu’une nuit de camping au Québec début septembre vous ferait le plus grand bien. Pire encore : usant du vocabulaire des pros du tourisme et de deux-trois autres arguments, vous réussissez à entraîner l’Homme dans l’aventure. Dont acte.

Nous sommes arrivés au camping de “Mer et Monde”, non loin de Tadussac, le mercredi 1er septembre vers 18 heures. Le temps de passer à la réception nous annoncer et récupérer le matériel de camping ainsi que quelques bûches, et nous voici crapahutant dans les rochers pour rejoindre notre emplacement. Le camping de “Mer et Monde” n’est pas un camping comme les autres. C’est un camping de type alternatif. Ce qui veut dire que comme emplacement, vous avez une plate-forme de 10m² environ, installée sur les rochers qui bordent la côte du Saint-Laurent et équipée en tout et pour tout d’un “rond de feu”, autrement dit quelques pierres posées en cercle.

Ni électricité, ni eau, ni sanitaires

Vous ne disposez pendant votre séjour ni d’électricité, ni d’eau, potable ou pas, ni de sanitaires, à part des toilettes situées à 200 m de votre emplacement, facile à atteindre si vous vous sentez capable de parcourir la distance de nuit, sans autre lumière que celle du ciel, en escaladant les rochers tout en fendant les buissons. Si vous y parvenez, vous serez récompensé par une cabane au-dessous de laquelle il y a un trou au-dessus duquel des gens bien intentionnés ont eu la bonne idée de poser une cuvette de WC.

Par contre, vous avez pour vous le calme et la tranquillité, puisque vos voisins les plus proches sont hors de vue et de portée de voix. Et vous avez surtout pour vous l’immensité du fleuve sous vos yeux. Immensité dans laquelle flotte une grosse tête de phoque qui regarde dans votre direction, avec comme un grand sourire chaleureux entre ses moustaches.

Heureusement, monter une tente n’est plus un problème de nos jours. Fixer celle-ci sur la plate-forme à l’aide de ficelles est un chouïa plus délicat, mais mon boyscout perso, équipé de mes ciseaux à ongles suite à la perte de son couteau suisse, a plus d’un tour dans son sac. Puis, pendant que l’Homme nous faisait un bon petit feu, j’ai préparé notre joli nid douillet, en installant les matelas (enfin, les feuilles de plastique si minces qu’on nous vend comme tel), les sacs de couchage, les housses dans les sacs de couchage, puis en rentrant nos minces effets perso dans la tente. Le tout en me disant que c’était trop cosy, une tente, alors que je me cognais pour la mille et unième fois contre la paroi.

Une baleine est passée comme ça…

L’Homme et moi nous sommes assis sur la plate-forme, à côté du feu, en grignotant des cacahuètes avec notre gobelet de rouge. La tête de phoque nous regardait toujours en souriant gentiment. Nous avons entendu un souffle, une baleine est passée, comme ça, doucement, comme passent les baleines. Autour de nous, la présence des voisins n’était perceptible qu’à travers tous les feux de bois qui illuminaient la nuit. Un deuxième souffle, une deuxième baleine, et puis la grosse tête de phoque a disparu peu à peu tandis que la nuit s’installait sur le Saint-Laurent. Nous nous sommes allongés sur la plate-forme.

Au-dessus de nous, il y avait un ciel comme jamais il ne nous est donné d’en voir depuis notre terrasse. Un ciel tellement étoilé qu’on ne voyait plus le ciel. De temps en temps, je râlais parce qu’un satellite traversait notre idylle et que je trouve que l’humain fout trop de trucs partout, comme des satellites au milieu des étoiles. Au moment où je râlais, j’ai réalisé que je râlais aussi quand la réception Internet haute vitesse ne fonctionnait pas correctement dans les hôtels. Alors j’ai dû arrêter de râler à cause des satellites. Je crois qu’à notre époque, il est très difficile pour l’humain de vivre en accord avec ses principes, parce que beaucoup de ses principes sont parfaitement contradictoires.

Comme le lieu s’y prêtait, je me suis concentrée sur la nature et les étoiles et le souffle des baleines au loin. De temps à autre, un petit plouf nous rappelait la présence du phoque devant nous, l’Homme rajoutait une bûche dans le feu, c’était comme qui dirait un instant magique.

Sauf que ces instants-là ne durent jamais très longtemps…

Au bout d’un temps indéfini, nous avons réalisé que le souffle n’était plus celui des baleines mais du vent qui s’était levé et bien levé. Nous nous sommes retirés sous la tente, pensant pouvoir profiter encore un peu du panorama, le corps au chaud, la tête sous l’auvent. Sauf que ça soufflait vraiment fort. Nous avons fermé la tente. L’Homme se servait de mon cardigan pour sa tête, moi, j’avais ma Pashmina et mon jeans comme oreiller, nous avions fait un seul sac de couchage des deux, tout aurait pu être parfait…

C’est là que je me suis souvenue que je suis claustrophobe

Ceux qui ont des phobies le savent : il est très difficile de les contrôler. Moi, j’avais un peu zappé l’histoire, mais allongée dans ce tout petit espace entièrement clos, je me suis soudain remémoré plusieurs expériences malheureuses, allant de la perte totale et absolument flippante de l’orientation dans le noir à la destruction irrémédiable d’une tente sous laquelle dormaient aussi mes cousines. J’ai demandé à l’Homme si je pouvais le réveiller en cas d’urgence, il a dit oui, et aussi, ne t’inquiète pas tout ira bien, mais ça ne m’a pas vraiment rassurée.

Je me suis entortillée tant bien que mal dans la housse hygiénique, avec la désagréable impression d’être prise au piège dans une camisole de force. J’ai posé ma tête folle sur mon jeans et essayant de me calmer, mais plus j’essayais, moins j’étais calme. Mon cœur battait un peu trop vite à mon goût, mes mains cherchaient régulièrement la fermeture éclair de la tente, et mon être tout entier luttait contre l’envie de sortir de là en hurlant.

J’ai pensé: “t’es conne, quand même, ma fille!” Et j’ai décidé de faire comme quand on est petit et qu’on s’imagine qu’on est un super héros avec des super pouvoirs, comme être capable de passer une nuit sous une tente sans faire chier tout le monde.

À part Fantômette, la seule héroïne que je connaisse, c’est Florence Aubenas. Alors j’ai fermé les yeux, respiré très fort, et fait comme si de vilains terroristes m’avaient enlevée et enfermée sous une tente dans un camping sans eau potable et que je devais être courageuse.

C’est là que ma vessie s’est rappelée à moi

Je lui ai dit de la fermer. J’ai continué à me répéter “je suis Marie Aubenas et je suis une fille trop courageuse” et même si ça paraît franchement neuneu comme méthode, n’empêche que ça a marché et que j’ai fini par endormir ma vessie et à m’endormir aussi.

Une énorme bourrasque a décroché l’auvent de la tente.

L’Homme est sorti pour le raccrocher. Moi, je ne suis pas consciente de tout ça, mais visiblement, un auvent décroché peut entraîner des conséquences graves. Comme une tente qui s’envole, par exemple.

Quand l’Homme est revenu et qu’il était devant la tente pour rentrer, j’ai vu qu’il était sorti sans slip. C’était rigolo, sur fond d’étoiles. On s’est entortillés dans nos housses et notre sac, ça a pris un bon moment parce que ce n’est vraiment pas grand, une tente pour deux, et quand nous avons été à peu près bien, ma vessie s’est de nouveau rappelé à moi. Et là, impossible de lui faire croire que tout le monde dormait. J’ai dit : “Homme ?” une première fois, tout doucement. Pas de réponse. J’ai dit : “Homme ?” une deuxième fois, un peu plus fort. Il y a eu un groumpf de son côté. Alors j’ai dit : “Homme“, mais assez fort, il a dit : “hein? oui ! quoi ?” je lui ai expliqué le truc, et il a soupiré : “bon ben vas-y et prends la lampe !

Ah oui : parce qu’il m’a offert une lampe de poche avant d’aller camper. Mais je n’ai pas voulu m’en servir, sinon, tout le monde aurait pu me voir faire pipi sur le rocher à côté de la plate-forme. Même s’il n’y avait personne à proximité et rien d’autre qu’un vent à décorner un caribou.

Re-tente, re-housse, re-entortillage. Sauf que cette fois, le truc des terroristes n’a pas marché.  Le vent soufflait si fort que je sentais la tente décoller sous mes fesses. Une vraie tempête. J’ai pensé à toutes ces tornades qui dévastent régulièrement les côtes américaines et j’ai senti la sueur me couler dans le dos. Mes mains cherchaient désespérément la sortie de la tente, je sentais mes bronches asthmatiques qui commençaient à passer en mode “panique”, je me contorsionnais dans ma housse hygiénique sans pouvoir vraiment bouger…

À mon âge, c’était pas raisonnable

Pour me rassurer, j’ai essayé de penser à des trucs du quotidien. Des petites choses banales. Parce que le mental, c’est drôlement important si on veut contrôler ses peurs. Je me suis dit que c’était rigolo, que cela faisait des lustres que je ne m’étais pas couchée sans me laver les dents, et sans me démaquiller ! Ça m’a occupée style, 30 secondes. Puis je me suis dit qu’à mon âge, c’était franchement pas raisonnable, à cause de la peau, tout ça. La tente claquait sous mes fesses, le vent faisait un bruit terrible, alors bien sûr, j’ai commencé à imaginer ma propre mort, l’haleine fétide et mon visage noirci par le mascara non démaquillé. Quand j’ai senti les larmes monter et ma respiration devenir franchement inquiétante, j’ai décidé de réveiller l’Homme qui, de toute façon, ne dormait pas vraiment.

Le vent a fini par tomber un peu, je me suis vaguement calmée, on a réussi à somnoler quelques instants…

Puis la pluie s’est mise à tomber. Fort. Longtemps. On a dû ouvrir un peu la tente parce que ça faisait un peu beaucoup pour l’hystérique que je suis, force m’est désormais de l’admettre. Quand nous avons eu atteint un degré d’humidité suffisamment désagréable, on a refermé, j’ai fait mes exercices de relaxation, et on a pu s’assoupir encore un peu.

Le phoque se foutait de notre gueule

À six heures du mat’, nous étions réveillés définitivement. Nous avions prévu de voir le soleil se lever au-dessus de l’eau, sauf qu’il pleuvait toujours et qu’on a juste vu l’eau. Devant nous, la grosse tête de phoque flottait toujours, son énigmatique sourire sous ses moustaches. Ma vessie hurlait, mais je faisais semblant d’être sourde. À 6 h 37, la pluie s’est arrêtée. J’ai pu aller faire pipi. Comme c’est un camping vraiment simple, il n’y a pas de café non plus. On s’est fait un Yop et un peu d’eau qu’il nous restait, ainsi qu’un demi biscuit chacun. On s’était dit qu’on resterait un peu dans la matinée, histoire de voir passer encore quelques baleines et de profiter du lieu. C’est là que le brouillard s’est levé, épais comme un cheese-cake. On a roulé les sacs de couchage, démonté la tente et commencé à charger le tout dans la voiture. Au dernier voyage, je me suis retournée une dernière fois, comme on fait pour s’assurer qu’on a rien oublié.

La grosse tête de phoque flottait toujours. Elle commençait déjà à disparaître dans le brouillard, mais j’ai quand même eu le temps de comprendre, dans une sorte de fulgurance : en fait, le phoque ne nous souriait pas gentiment.

Il se foutait de notre gueule…

 

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