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PINK ! à La Vista, un rêve gitan de théâtre

Dans “PINK !”, Azyadé Bascunana met en scène la rencontre d’une compagnie en résidence à La Vista, ancienne chapelle de la Cité Gély, avec ce quartier gitan de Montpellier, et du rêve de théâtre d’Ornella Dussol, son agente d’accueil et d’entretien.

Du 8 au 10 novembre, le théâtre municipal Jean-Vilar présentait PINK !. Née d’une résidence artistique de trois ans de la compagnie La Chouette Blanche au théâtre La Vista au cœur de la cité Gély à Montpellier – quartier dont la population est majoritairement gitane -, cette pièce, je l’avais découverte au festival Warm Up de 2020. L’étape de travail publique retraçait déjà l’objet de cette rencontre artistique mais surtout humaine. À l’époque la pièce avait une forte dimension documentaire, conservée aujourd’hui par le travail photographique de Marielle Rossignol qui a rejoint le projet. Quelques mots introduisaient l’atmosphère et convoquaient nos imaginaires…

“Ici on vit au présent. 
L’été, des rivières s’inventent avec des tuyaux percés.
Dans les maisons on fait le ménage en écoutant des cantiques.
Des hordes de quads donnent aux rues des allures de Far-West.
ici il n’y a aucune branche pour s’agripper que le ciel.”

C’est à la scolaire que je me rendais mardi dernier au théâtre Jean-Vilar, dans le quartier de La Paillade. Entourée d’adolescent.es de 13-14 ans, c’est dans l’effusion d’émotions, de rires et de commentaires participatifs que j’allais découvrir la création enfin finalisée. Cet environnement allait me plonger dans le chaos de la rencontre, le bouleversement des attentes et la différenciation des codes sociaux. Une énergie parfaite en intensité pour recréer un contexte hautement sensoriel dans la salle noire du théâtre.

Le vitrail de l’ancienne chapelle gitane est suspendue pour faire de ce huit-clos un théâtre ouvert sur le monde.

L’espace est épuré, seule une fenêtre rappelant le vitrail de l’ancienne chapelle gitane est suspendue pour faire de ce huit-clos un théâtre ouvert sur le monde. Pour conserver l’esprit de la chapelle qui fut lieu de rencontres festives, de passages intempestifs, de célébrations de la vie et de la mort. Une femme aux longs cheveux bruns en tunique, jogging Adidas et claquettes nettoie le sol face à nous. Une voix nous prévient : “ça va commencer, enfin bientôt. Il faut patienter, le temps que ça sèche, prendre un peu sur soi… Il faut du temps pour que les rencontres se fassent“.

C’est une histoire de Montpellier, c’est une histoire de cultures, c’est une histoire d’émancipation mais aussi d’exclusion. C’est aussi l’histoire de la rencontre entre les bobos gaucho arty qui s’installent dans le quartier gentrifié de Figuerolles et la communauté gitane de la Cité Gély qui se fait envahir par ces dernier.es à coup de halle Tropisme et de théâtre contemporain. Même si le festival Mosaïque dit “gypsy bohème”, en novembre dernier, laissait présager une volonté de s’allier. C’est dans leur ancienne chapelle, transformée en théâtre La Vista depuis quatre ans, que cette rencontre a eu lieu. De lieu de culte enlevé aux minorité.es à lieu d’une culture imposée par les dominant.es. D’un quartier qui se construit autour de la Cité en excluant les intéressé.es, des rues en permanent chantier aux commerces oubliés. C’est un quartier dont les stigmates et préjugés se renforcent au fil des années. Dont on ne retient que les palettes brûlées et les pétards pour jouer. Ici, les clichés seront joués mais aussi déconstruits par la réalité qui viendra s’infiltrer.

La double condition de femme et de membre de la communauté gitane d'Ornella la retient.

PINK ! C’est la couleur des femmes gitanes, elles qui portent le rose et les excentricités avec fierté. Et le point levé de leur exclamation, c’est la force de leur identité. Sur scène, chacun.e joue son propre rôle en laissant planer le doute sur le degré d’exagération. Azyadé évoluera d’une metteuse en scène désabusée de devoir travailler avec un quartier qui ne veut pas d’elle, voulant imposer les codes du privilège blanc, nudité et abstraction venant choquer et attiser les tensions.  Elle finira par cesser de lutter et s’ouvrira à une autre temporalité et une adaptabilité, d’un récit qui s’écrit au grès de l’enthousiasme et des portes qui s’ouvrent au fil de la confiance.

Pour présenter le personnage principal, on pourrait commencer comme un conte de fée mais au féminin, par un “Elle était une fois” car c’est bien l’histoire d’Ornella qui se joue là. Entre récit autobiographique et fiction. C’est l’histoire d’un rêve devenu réalité, celui de monter sur les planches et de briller. Car depuis son enfance, elle est fascinée par “les trucs féériques” et les histoires de femmes fortes émancipées “comme la femme de Zoro”. Elle qui vient d’une famille d’artistes de cirque, c’est dans son sang que coule l’espoir de jouer. Car Ornella Dussol est libre, à 31 ans, elle est célibataire, sans enfant, et travaille comme agente d’entretien et d’accueil, chargée de médiation au théâtre La Vista. Elle fait le lien entre ces deux mondes. Elle est gitane et ça veut dire pour elle : une communauté soudée, les traditions, et l’importance de Dieu. Il y aura des objets qui diront le symbole, des vierges ramenant au sacré de l’espace intime, et il y aura des mots pour confier des rites de passages qui ne se montrent pas, comme la cérémonie du mouvoir (ou Panuelo) qui atteste de la virginité avant le mariage. L’occasion de témoigner sur la présence de l’honneur dans la famille sacrée, sur la peur du jugement et le fait de vivre cachée.

Elle est gitane et ça veut dire pour elle : une communauté soudée, les traditions, et l’importance de Dieu.

Azyadé comprendra vite qu’il ne s’agit pas des mêmes réalités. Là où nulle branche ne permet de s’agripper, sinon le ciel, on vit autrement pour s’accrocher. Elle invitera les femmes à danser, leur offrant un espace de liberté et de sororité. Seul bémol : je regrette la présence du comédien, Hugo Feniser, car même s’il viendra questionner l’exclusion des autres communautés dans le quartier, en racontant son identité roumaine, le partage entre les récits ne fonctionne pas. Lorsqu’il arrive en ours sur scène, c’est pour imposer sa conscience au banc des peuples victimisé.es. Le propos est nécessaire, mais le geste est maladroit. On comprend ici toute la difficulté de travailler avec un quartier invisibilisé, de savoir qui on met sous la lumière et qui on réduit au silence pour ne pas se noyer. Ça montre toute la nécessite de montrer ces histoires et de donner toute la place aux personnes concernées pour les exprimer.

Car ici Ornella est le cœur du sujet. Si elle parle avec le cœur et la franchise, et avoue ne “pas toujours (avoir) le bon dictionnaire”, sa performance emplie de sincérité et d’une puissance innée nous touchera profondément. On voudrait l’écouter pendant des heures nous partager sa vision du monde et sa passion pour Disney, on voudrait qu’elle s’évade encore dans ses pensées, enfile toutes ces robes colorées et danse pour nous hypnotiser. On aime la voir prendre sa place et s’affirmer dans sa singularité jusqu’à finir de nous charmer en reprenant la chanson d’Arielle, incarnée en robe sirène, “Partir là-bas”.

On ressort de cette pièce en ayant nuancé la sensation d’une culture dominante de la bonne intention : ici, c’est bien une minorité qui s’est exposée et a pris le micro qu’on lui tendait. Elle se fait passeuse de toute une communauté. Et lorsque je vois les vidéos du concert de guitares gitanes joué à la fin des dates grand public, je vois un bout du rêve se réaliser. Même si le banquet est hors budget, on espère qu’après ça, les théâtres sauront mieux laisser les quartiers “prioritaires” se raconter…

À découvrir en tournée le 18 novembre au Théâtre Le Sillon à Clermont-l’Hérault, le 22 novembre au Périscope à Nîmes et du 19 au 21 janvier 2023 au Théâtre la Vista à Montpellier.

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