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Musées sans papiers au MOCO

Le MOCO présente jusqu’en février une centaine d’œuvres issues de collections exilées. Impossible politiquement, le Musée National d’Art Moderne et Contemporain de Palestine est hébergé par l’Institut du monde arabe. Le Musée International de la Résistance Salvador Allende (MIRSA) a dû attendre la mort de Pinochet pour revenir au Chili. Ars Aevi, la collection du Musée d’art contemporain de Sarajevo a été réunie en réaction à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Trois exils, trois actes forts de résistance. Une exposition remarquable.

Il y a encore peu, le MO.CO adjoignait la mention “Hôtel des collections” au bâtiment principal de l’ensemble de l’institution dédiée à l’art contemporain. Nicolas Bourriaud, fondateur du concept, avait en effet pensé ce lieu pour y présenter de prestigieuses collections, la plupart privées.

“Les musées sont des mondes qui échappent à la mort

Comme pour répondre à son prédécesseur, Numa Hambursin, en proposant de réunir celles de trois “Musées en exil”, précise que “le terme même de collection, que l’on associe spontanément à l’idée de sédimentation et à la dimension financière, prend ici une tournure inattendue et rafraîchissante”. En insistant justement sur la notion, fortement mise à l’honneur durant la période de confinement, d’essentialité de la culture, le directeur du MO.CO affirme que l’art “n’est pas un luxe”, qu’au contraire, il représente ce que “les pays en guerre cherchent à préserver par tous les moyens”, et cite Malraux pour appuyer son propos : “Les musées sont des mondes qui échappent à la mort”.

C’est bien en effet de cela qu’il s’agit, pour les trois collections présentées dans cette nouvelle exposition. Les quelques cent œuvres exposées proviennent de trois ensembles qui se sont constitués dans des conditions de résistance politique et culturelle, face à la dictature, la guerre et l’oppression. Les pièces réunies n’ont cependant pas été sauvées du désastre. C’est justement parce que tout ou presque a été détruit ou dispersé lors du régime de Pinochet au Chili et de la guerre en Bosnie-Herzégovine, parce qu’aussi la situation en Palestine, non reconnue par l’ONU, ne permet pas d’envisager la création d’un musée national, que des artistes et des institutions du monde entier se sont mobilisés face à ces différents contextes délétères (ci-dessus l’œuvre de Antonio Segui qui a été choisie pour l’affiche).

Une certaine fraternité s’en dégage

De ces élans sont nées, et continuent de se développer, des collections singulières. La multiple provenance des œuvres, reliées par la même conviction de solidarité mais de courants souvent hétéroclites, donne à voir, matériellement et de façon très concrète, comment l’art peut exprimer un mouvement politique ; quelque chose entre résistance et multiculturalité, pour défendre l’existence et l’expression d’un peuple. Oui, circuler dans “Musées en exil”, fait sentir très fort ce que l’art – sa pratique autant que sa diffusion – peut déclencher de sentiments fraternels.

Une première pour le musée palestinien

Elias Sanbar, ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco et initiateur, avec Ernest Pignon-Ernest et Jack Lang, d’une collection pour le futur Musée national d’art moderne et contemporain de la Palestine, l’a dit à sa façon lors de l’inauguration : “Cette collection n’est pas militante, mais représente un espoir de réconciliation entre les peuples”. C’est la première fois qu’une partie de cet ensemble, constitué de dons depuis 2015, est montré hors des murs de l’Institut du Monde Arabe, qui l’héberge dans l’attente de la création du musée. Ainsi, avant les Palestiniens, nous pouvons arpenter une partie de ce qui, un jour, entre autres lorsqu’Elias Sanbar sera parvenu à ce qu’on évoque le Territoire palestinien et non les territoires (il estime que les uns sont le lieu pour caser des habitants, l’autre est celui d’un peuple) sera montré chez eux.

Ci dessus, Les “Chiens courants” (1993) de Henri Cueco, meute en furie, gueules ouvertes et rouge côtoient “Ce(ux) qui nous sépare(nt) IV” (2006), inquiétante présence au fusain de Marko Velk. Les chiens s’entremêlent, tendus dans la même direction, jusqu’à se disloquer les uns dans les autres. Le dessin sur fond noir de l’artiste yougoslave se laisse découvrir si on ose s’approcher : une figure christique, comme imprimée sur son linceul. On pense ici à certains travaux d’Ernest Pignon-Ernest, dont une photographie du “Parcours de Mahmoud Darwich sur les murs de Ramallah en Palestine” (2009) est ici exposée.

“Les souvenirs persistent”, nous confie Mercedes Klausner (1991) : très belle installation de verre, brique et poussière, délicats reflets d’images sorties d’un passé domestique (ci-dessus). “Que pensez-vous de la situation” (2009), demande malicieusement Gérard Fromanger. Autour d’un kiosque à journaux, des silhouettes monochromes sont arrêtées dans leur mouvement ; les titres de presse nous donnent une idée de la situation : Pourquoi trompent-elles leur mari ? Le drame de l’Institut Pasteur. La Gueule ouverte. Tout un programme.

Poings levé, soldats, chars menaçants, feu, sang au Chili

Même éclectisme dans la section réservée à la collection réunie pendant la dictature de Pinochet au Chili. Dans un espace beaucoup plus dépouillé, les œuvres démontrent une volonté plus militante. Le contexte n’est en effet pas le même que pour le futur musée palestinien, il s’agissait là de prolonger un courant né de la volonté de Salvador Allende de former un lieu d’art qui célèbre l’avancée démocratique du pays.

Une fois le coup d’État survenu, la célébration s’est muée en lutte à distance. Les 1307 pièces rassemblées sont aujourd’hui au Musée de la Solidarité, à Santiago du Chili. Poings levé, soldats, chars menaçants, feu, sang comme ici dans l’oeuvre de Robert Forgas (France, 1928-1999) : “On n’arrête pas l’idée”, 1972. Ou de Alejandro Marcos (Espagne, 1937) : “Résistance”, 1974 (ci-dessous). La saisissante toile de Zoran Music (“Nous ne sommes pas les derniers”, 1974) s’affranchit de toutes ces démonstrations un peu datées. Corps émacié, peut-être mort (est-il debout, suppliant le ciel, est-il couché, prêt à être enterré ?), il symbolise toute la souffrance humaine.

Le musée de Sarajevo toujours pas ouvert

Le cas de la collection Ars Aevi, est différent des deux autres. Les dons proviennent de grandes institutions européennes qui se sont mobilisées pendant le siège de Sarajevo, projetant la création d’un musée qui, dessiné par l’architecte Renzo Piano, n’a aujourd’hui encore pas vu le jour. On retrouve au MO.CO une sélection très cohérente, très percutante. D’abord, isolé dans une salle, la vidéo “The Passing” (1991) du génial Bill Viola, 54 minutes de voyage entre vie et mort, où le vidéaste parvient véritablement à donner corps à l’âme.

Le “Théâtre d’ombres” de Christian Boltanski (1994) poursuit la ronde, et Marina Abramovic nettoie, en 5 écrans empilés, les cinq parties d’un squelette (“Cleaning the miror” 1995). Elle frotte, elle essore son éponge, les bruits sont crus et dérangeants. Sacrée mise en question du travail de la ménagère.

Pour “Jusqu’à ce que la mort nous sépare” (Anur, Bosniaque, 2001), le message est simple et efficace : un verre à dent, au sens propre du terme, avec deux dentiers empilés. Et le photographe Nebojsa Seric-Shoba propose un diptyque en double autoportrait : lui en “artiste”, et, dans la même pose, lui en soldat dans une tranchée (“Sans titre”, 1998). Il semble plus souriant dans l’uniforme. Et nous aussi, on sourit, soulagés : le cartel n’indique pas sa date de mort (ci-dessous).

“Musées en exil”. Sous la direction artistique de Numa Hambursin, directeur général. Commissariat : Vincent Honoré, directeur des expositions et Pauline Faure, curator, assistés de Ashley Marsden.
Du 11 novembre 2022 au 5 février 2023 au MOCO, 13 rue de la République, Montpellier. Tarif sans réduction : 8 euros. Gratuit le premier dimanche du mois.

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