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Christian Rizzo sur sa pente académique

On ne parvient pas à capter l’enjeu de Miramar, pièce géante et brumeuse, dernière création du directeur du Centre chorégraphique national de Montpellier, vue récemment au théâtre Jean-Claude Carrière à Montpellier dans le cadre de la saison de Montpellier Danse.

Un mince bandeau lumineux glisse en balayant le plateau. Il gagne peu à peu en largeur. Or, cet effet de presque rien suffit tout d’abord à captiver. Une grande attente se crée. Où l’on retrouve cette très haute écriture aux lumières, sous le pinceau de Caty Olive, collaboratrice du chorégraphe Christian Rizzo depuis bientôt un quart de siècle. En souvenir des utopies indisciplinaires que ces deux soulevèrent à la jointure de l’ancien et du nouveau millénaire, on se dit que Caty Olive pourrait, aussi bien, cosigner les pièces de son partenaire, tant son propre talent contribue à y enfanter l’espace.

Nous voici à l’amorce flottante de la pièce Miramar, programmée en cours de saison de Montpellier danse, seulement un an après sa création, affectée par la difficile période qu’on sait (pandémie, etc). Retour au plateau : la danseuse Vania Vaneau y a fait son apparition. On pourrait croire que la pièce sera un solo. On sait le talent de portraitiste de Christian Rizzo, un art de fécondation inter-individuelle, qui a déjà produit de formidables moments sous sa signature, en compagnie des Kerem Gelebert, Julie Guibert, et autre Nicolas Fayol, alors seul.es au plateau. On y est une fois de plus.

Vania Vaneau suspendue dans le clair-obscur

Suspendue dans le clair-obscur mouvant de la vaste scène du Théâtre d’Ô, la déambulation dansante de Vania Vaneau est d’une acuité saisissante. Tout y paraît aussi ample que dense, précis que profond, pointu que brassé. Trajectoires multi-directionnelles, échappées par emportements, houles et crêtes, sacs et ressacs, retournements soudains, renversements, lâchers dans la coulée (pourtant de parfaite homogénéité). Pour l’heure, on capte le sens du titre Miramar, cette mer offerte pour paysage, où l’âme est happée, roulée, toute à l’incertitude d’horizons en appel. C’est d’autant plus prenant que cela se déroule pour bonne part en silence, et que la danseuse semble absente à la présence d’une salle remplie de spectateur.ices. Esquif en partance.

Puis rupture totale. Retrait de Vania Vaneau. Arrivée sur le plateau de dix autres danseuses et danseurs. Essentiellement dos aux spectateur.ices, toujours cap au lointain. Miramar. Vite on s’aperçoit que leur partition de danse sera très similaire à celle de la soliste qui les a juste précédé.es. Au début, cela crée dans le regard des friselis de réminiscence latente, un visionnage à rebours d’ondulations de mouvement intérieur, laissées pour mémoire. C’est assez rare. Et intéressant. Ces interprètes évoluent beaucoup de façon isolée les un.es des autres. Il y a là une redistribution moléculaire, qui élargit encore un peu les horizons.

Une reconstruction de belle danse dite contemporaine

Oui mais voilà : Miramar n’a à peu près rien à dire sur l’enjeu de ce collectif épars, ni même sur le contraste politique, ou philosophique, qu’il installe de fait avec le brillant solo qui a introduit la pièce. Si Vania Vaneau revient de temps à autre sur scène, sa motivation semble s’en tenir à observer la grande troupe qui l’y a relayée. Les qualités de danse s’y révèlent souvent irréprochables, au demeurant. Sauf que le regard (du spectateur auteur de ces lignes) en vient à se lasser de ce qui tourne à un étalage de style, une reconstruction néo-académique de belle danse dite contemporaine, toute en déliés subtils, portés exacts, voltes séduisantes et pondéralités maîtrisées.

Voilà de la belle image, donnée un peu comme en fresque, au trempé de lumières. Ici, il faudrait sacrifier à l’humeur satisfaite d’une signature d’artiste. Pour tromper l’ennui, on se met à suivre la machinerie scénique pour elle-même, avec ses charriots lumineux robotisés, courant sur des rails en hauteur. Il y a des moyens. Il y a de la sophistication. Et cela se donne à voir. Même le grondement sonore, allant toujours s’amplifiant, orchestré par Gerome Nox, para-technoïde, finit par sembler d’un maniérisme obligé.

Une nostalgie brumeuse

Toujours pur s’occuper, on se demande comment Christian Rizzo en est arrivé là. Forcément, on se souvient de l’époque où il était l’une des figures turbulentes, si inventif, si singulier, du renouvellement radical des écritures scéniques, par-delà le chorégraphique. Cela se passait dans la seconde moitié des années 90 du siècle dernier, la première décennie des années 2000. En état de découverte permanente, quand juste un brin de souffle créait l’illusion d’une danse dans une robe que n’habitait aucun corps (on parle ici de 100 % polyester, du jeune et insolent Rizzo d’alors), il fallait se torturer le clavier pour rendre compte d’un art totalement neuf.

Rizzo y créait des formes qu’on ne savait nommer. Les présences incarnées ne s’y abandonnaient pas au beau geste. Les catégories des arts plastiques, des lumières et du son s’entremêlaient, en mouvements de débordements. En ce temps-là, les artistes chorégraphiques s’abreuvaient d’art-performance. Chacun.e se saisissait d’un enjeu de déconstruction des signifiants de sa présence en scène. Au regard de quoi, on peut être peiné que Miramar en vienne à inspirer qu’une forme de  nostalgie brumeuse.

Photos Marc  Domage.

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