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« Le château de Barbe-Bleue » : le dernier roman très noir et féministe de Javier Cercas

L’œuvre de Javier Cercas décline à partir de son histoire familiale, la tragédie espagnole des décennies passées, les ravages de la guerre civile, de l’humiliation des vaincus à la culpabilité des vainqueurs (1). Loin d’abandonner ses thèmes de prédilection, sa série policière (2) dont Le château de Barbe Bleue est le troisième titre, offre un nouvel angle d’attaque à partir du personnage de son ancien flic barcelonais Melchor Marin, devenu bibliothécaire, qu’on retrouve avec bonheur, cette fois à la poursuite de sa fille disparue aux mains d’un magnat de la com.

L’Espagne n’en a décidément pas terminé avec la guerre civile qui déchira le pays de 1936 à 1939, opposant républicains et nationalistes menés par le général Franco. Si Almodovar dans Madres Parallelas boucle un processus de mémoire républicaine intergénérationnelle, Javier Cercas, 61 ans, un des écrivains hispaniques les plus connus de sa génération, n’en finit pas de régler des comptes avec cette Espagne franquiste dont, quelque part, il se sent héritier. Dans le Monarque des ombres, il invitait le lecteur à découvrir l’histoire de ce grand-oncle phalangiste (l’oncle préféré de sa mère) mort dans les rangs de l’armée franquiste dans la bataille de l’Ebre, une région de la Terra Alta qui donne son titre à sa trilogie.

Les obsessions de Cercas 

Cette part d’ombre, Cercas l’incarne dans le personnage de Melchor Marin, ce héros que le lecteur retrouve avec impatience et gourmandise dans un troisième tome Le Château de Barbe-bleue qui clôt la thématique de la violence faite aux femmes, de la corruption et de ses vieux démons.

Melchor Marin est un personnage tortueux au passé chaotique. Après l’assassinat de sa mère, prostituée battue à mort par de jeunes héritiers d’une bourgeoisie courtisée par le franquisme, il connaît les trafics louches et la prison. Il y devient un lecteur passionné, monomaniaque des romans du 19ème siècle en général, et de Victor Hugo en particulier. Les Misérables est son roman fétiche et une fois entré dans la police, il  se rêve aussi intransigeant que Javer dans la traque des méchants. Parfois plus justicier que policier d’ailleurs, il lui arrive de terminer ses enquêtes de façon radicale et expéditive.

Melchor en 2035

Nous retrouvons Melchor dans un futur proche : il est désormais bibliothécaire et vit paisiblement entre Olga, sa nouvelle compagne et Cosette, sa fille adorée devenue grâce à cette boucle temporelle, une jeune fille de 17 ans. Le roman débute devant l’arrêt d’un bus : buvant son éternel verre de Coca, Melchor attend sa fille partie une semaine en vacances avec sa meilleure amie. Oui, mais voilà : son amie revient seule, Cosette est restée à Majorque. Ce qui ressemble à une bouderie (elle a appris très récemment les circonstances réelles de la mort de sa mère) se transforme assez rapidement en disparition inquiétante.

A chaque tome de la trilogie correspond la perte tragique de la femme aimée : d’abord sa mère, ensuite sa femme Olga. Melchor est-il un héros de tragédie poursuivi par un destin aussi funeste qu’implacable ? Le fatum des tragédies grecques semble fondre sur lui : l’idée de perdre Cosette le rend fou et il décide de partir à sa recherche, aidé par son vieil ami Blai et une policière super efficace Paca Poch. Il quitte donc la Terra Alta, lieu de cette fameuse bataille de l’Ebre et s’envole pour Majorque. Une île touristique mais surtout un lieu marqué par son passé de forteresse nationaliste, bastion du franquisme : pas étonnant  alors d’y trouver des flics corrompus et paresseux, des magistrats véreux, des habitants qui courbent l’échine et préfèrent ne rien voir de ces disparitions répétées de jeunes filles.

Un genre de Jeffrey Epstein

Dans ce terreau malsain, s’épanouit un milliardaire, magnat de la com, véritable double maléfique du californien Jeffrey Epstein. Réputé pour fournir de la chair fraîche à des personnalités de tout bord, il sévit en toute impunité grâce à un système de corruption bien rôdé. Et c’est dans son fief inattaquable, véritable château de Barbe Bleue, que se trouve Cosette.

Véritable adepte du page-turner, il rend hommage avec malice à Stephen King en apparaissant sous les traits d’un écrivain célèbre au sein de son propre roman ! Le scénario est bien ficelé et tient le lecteur en haleine jusqu’à la toute fin du roman : mêlant retours sur le passé et avancées de l’enquête, légèreté et suspense, Javier Cercas montre qu’il maîtrise tous les codes du thriller. « Je suis un vrai méchant affirme » Melchor au début de l’intrigue et la suite prouve qu’il a raison !

 

 

 

 

 

« Le château de Barbe-Bleue », Javier Cercas, Actes-Sud, 23€.

Rencontre avec Javier Cercas, le samedi 13 mai à 17h, espace Albertine Sarrazin. En savoir +.

(1) De 2002 à 2017 : 4 grands romans « Les soldats de Salamine », « Anatomie d’un instant », « L’imposteur » et « Le Monarque des ombres », tous publiés chez Actes Sud.

(2) « Terra Alta » était le premier volume d’une série qui devrait en comprendre quatre ou cinq, tous centrés sur le personnage de l’agent Melchor Marin. Le deuxième épisode, « Independencia », a obtenu, en 2019, le prix Planeta, la plus prestigieuse et la plus dotée des récompenses littéraires en Espagne.

 

 

 

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