Critiques virulentes du monde culturel contre le Ministère, affaire du théâtre de Ganges, de l’Archipel à Perpignan, crise de l’opéra, nouvelles formes : directeur régional des affaires culturelles de la région Occitanie depuis 2020, Michel Roussel répond sans langue de bois à LOKKO. Après le Covid, nous dit-il, “s’il n’y avait pas eu les crédits de l’État, nous serions dans un champ de ruines“.
LOKKO : La Drac a longtemps été une administration experte, au centre du jeu culturel, qui appliquait des méthodes, des règles souvent imitées par les collectivités locales, y compris dans la validation du travail des artistes, à travers des “comités d’experts”. C’est peu connu mais beaucoup d’artistes dépendent de vous.
MICHEL ROUSSEL. On ne valide pas une démarche artistique, on l’accompagne. Heureusement en France, tout le monde a le droit de créer.
Oui, mais vous pouvez dire oui ou non à tel ou tel artiste en pesant sur son devenir.
Bien sûr, mais je ne suis pas le commissaire politique de la culture en région.
Ni du goût ?
Pas davantage. On accompagne les créateurs, à travers des conventionnements, tout cela se fait non pas dans le secret de mon bureau mais en consultant des professionnels.
Longtemps, les collectivités locales ont eu du mal à produire une expertise fine dans le domaine culturel. Ce sont des questions complexes. Vous avez été un modèle quelque part.
L’expertise n’est plus le seul fait de l’État ; les collectivités locales, depuis les années 90, se sont dotés d’outils. On a beaucoup de collègues qui alternent d’ailleurs entre État et collectivités. J’ai été moi-même patron des affaires culturelles de la ville de Grenoble. Je dirais que c’est la finalité, le regard de l’expertise qui ne sont pas tout à fait les mêmes. Lorsqu’on regarde une équipe artistique, nos critères s’élaborent sur la question de l’altérité artistique -en quoi le langage est innovant, apporte quelque chose-, sur le rayonnement national voire international et sur l’emploi généré. Les collectivités sont plus sensibles à l’implication des artistes dans la vie territoriale.
“Avons-nous les moyens de financer le renouveau ?”
On entend cette petite musique depuis des années sur le désengagement de l’État. En gros, l’État reste un animateur et un arbitre important mais les collectivités, de plus en plus, doivent se substituer à lui.
Je ne sais pas ce que c’est le désengagement de l’État. Les moyens qui sont à notre disposition n’ont jamais cessé d’augmenter. Même avec la fusion des régions, si on additionne les crédits de l’ex Languedoc-Roussillon et ceux de l’ex Midi-Pyrénées, on voit qu’ils sont en augmentation (*). C’est l’écart entre les besoins et les moyens qui a peut-être augmenté. Nous avons la chance de vivre dans un pays formidablement bien structuré -quand on fait un tour à, l’étranger, on le voit bien-, mais en ajout de cet incroyable tissu institutionnel, inégalé au monde, à côté des équipes subventionnées inscrites dans la durée, il y a de nouveaux talents et de nouvelles expressions, de nouvelles initiatives. Comme les tiers-lieux, pour donner juste un exemple. Je pense que la perception de l’État telle que vous la dites, est liée à ces émergences qui créent de nouveaux besoins. Avons-nous les moyens de financer ce renouveau ? C’est la question.
Une Ministre qui se lève pendant la dernière cérémonie des Molières pour défendre son Ministère : on a l’impression d’un éternel hiatus entre la richesse des dispositifs culturels et la plainte des artistes.
Exactement. Prenons l’exemple cité par la Ministre ce soir-là : il n’y a jamais eu autant d’argent versé au secteur entre les dispositifs d’urgence, de dégrèvement d’impôts, de charges sociales ainsi que l’année blanche des intermittents, c’est plus que considérable.
“S’il n’y avait pas eu l’État, nous serions dans un champ de ruines”
Le Syndeac parle d’une deuxième catastrophe après le Covid, cette fois sur la crise énergétique. “N’éteignez-pas les lumières sur le spectacle vivant” clame le syndicat qui représente les plus grandes structures subventionnées. Êtes-vous le Drac d’une gestion de crise ?
La Ministre a débloqué 5 millions d’euros pour soutenir les structures et une enveloppe importante a été affectée dans notre région pour les structures labellisées (**). Quel pays a autant donné à sa culture ? Il faut arrêter avec les critiques permanentes sur le ministère de la culture, cette insatisfaction généralisée. Peut-être rêve-t-on encore d’un âge d’or culturel ? Je le répète : il n’y a jamais eu autant de moyens consacrés à la culture par le Ministère ! S’il n’y avait pas eu les crédits de l’État, nous serions dans un champ de ruines.
Ce qui me préoccupe, en revanche, c’est la question de la diversité des publics. Certes, nos salles de spectacles sont pleines. Le Covid est derrière nous. On sait que le public du cinéma est revenu. On sent un élan formidable pour la saison des festivals qui démarre. Mais touchons nous tous les publics ? Quand on entre dans une salle de spectacle, voyons nous toute la diversité de la société française ? Y compris sur les plateaux !
Vieux problème… Pourquoi avons-nous échoué alors ? Qui a une solution claire ? Certains festivals offrent des tarifs spectaculaires pour s’ouvrir à un public plus jeune -tout en augmentant parfois le prix des places comme le festival de Radio-France-, ça paraît un peu cosmétique ? Est-ce que le monde culturel le veut vraiment ?
Bien sûr que tout le monde le veut. C’est intrinsèquement lié à l’acte de création. Une œuvre n’existe que si elle est vue du public. C’est complexe. Cela a à voir avec le fameux “c’est pas pour moi“, avec l’éducation dès la petite enfance… Mais je ne suis pas d’accord. On n’échoue pas. Le président de la République a lancé le slogan du 100% EAC -tout enfant doit être en contact avec une œuvre d’art- : nous n’en sommes pas loin en Occitanie. Il y a des solutions. Nous avons un volet d’éducation artistique et culturel très important à la DRAC. Dans les solutions, il y le PASS Culture. Je sais que le Syndeac tire à boulets rouges sur ce dispositif mais c’est un bon outil.
“Quel opéra dans la 2ème partie du 21è siècle ?”
On va aborder quelques dossiers comme l’opéra. Michael Delafosse veut réformer l’institution OONM en profondeur. Que préconisez-vous ? Faut-il maintenir de telles structures qui captent des aides publiques importantes ?
Pose-ton la question : faut-il garder le Louvre ? Ou Notre-Dame ? Un opéra, c’est un conservatoire extraordinaire de savoir-faire. Au Capitole à Toulouse, il y a 70 métiers, des perruquiers, des bottiers, des métiers anciens à sauvegarder. Ce sont des chœurs, des musiciens avec des spécialités souvent rares. L’OONM : voilà une institution qui a réussi la diversification de ses publics ! Formidable ! Tout cet argent ne sert pas à décorer le bureau de la directrice mais est réinjecté dans l’économie locale. Faites disparaître l’opéra et vous verrez comment les commerçants du coin vont râler. Avec le maire de Montpellier, on réfléchit à ce que doit être un opéra dans la 2ème partie du 21è siècle mais on le fait pour toutes les structures et en permanence. Si le Ministère n’était pas le lieu d’une pensée de ce genre, à quoi servirions nous ?
Comme nous le disait en aparté récemment un grand directeur de festival, les festivals sont-ils des “comètes mortes” ? Pour faire un peu de prospective, à quoi vont-ils ressembler dans 20 ans s’ils existent toujours ?
J’y vois une référence à un spectacle de Georges Lavaudant dans les années 80 qui s’appelait “Les Céphéides”, des étoiles qui continuent de briller alors qu’elles sont mortes depuis longtemps. La politique culturelle est toujours en retard sur l’art. Quand elle est devant l’artiste, ça s’appelle une dictature… Notre travail est de repérer les signaux faibles de l’art de demain et de proposer des modes d’intervention pour l’accompagner.
“Je vois la montée en puissance des formes festives”
Alors quel genre de projection ?
Je vois la montée en puissance des formes festives, des lieux de rencontre, de convivialité. Je pense que la question festive va s’imposer, s’impose déjà tout autant que la question artistique, à côté d’elle.
Le festival d’Avignon, l’an dernier, était écrasant de chaleur. Triste emblème d’une économie festivalière qui n’a pas fait sa révolution climatique avec des artistes venus de loin, des déplacements de public polluant un maximum. Qu’en pensez-vous ? Qu’est-ce qui va devoir changer dans la culture de manière radicale et rapide ?
C’est un enjeu majeur. L’art c’est la rencontre avec l’autre. On ne peut pas imaginer que tel ou tel festival ne puisse plus recevoir des artistes du Brésil, par exemple.
En prenant encore l’avion ?
En avion ou en montgolfière, si demain on se restreignait à une rencontre sur le territoire de Montpellier avec des artistes montpelliérains, on serait complètement à côté de la plaque. On doit continuer à recevoir le monde. Il faut aussi que le public continue à se déplacer. Quand les Parisiens viennent à Avignon, ils ne voient pas que des artistes; ils sont aussi au contact des avignonnais et du patrimoine de la ville. Il faut imaginer une cohérence des tournées, je pense. On a trop souvent connu des trajets aberrants. Un artiste venant d’Amsterdam à Avignon puis repartant chez lui pour rejoindre une semaine après une autre ville du sud de la France pour filer enfin en Italie. On peut imaginer des productions mutualisées, des déplacements doux. A ce sujet, je regrette qu’il n’y ait pas encore de possibilité de se rendre à vélo au CDN de Montpellier. Quant à la navette du théâtre, c’est la bousculade pour y trouver une place après le spectacle et certains doivent rentrer à pied…
On peut faire beaucoup de choses : recycler les décors, installer des LEDS. On peut imaginer d’autres saisonnalités. Pourquoi continuer d’aller en Avignon en juillet quand il fait le plus chaud ? Au ministère de la culture, nous avons une feuille de route sur le développement durable. Quand on construit dorénavant un musée, on ne raisonne plus en termes de climatisation mais de rafraîchissement avec des toits végétalisés, des façades tournées vers le nord. Mais, sous prétexte de réchauffement climatique, ne plus se déplacer pour vivre la culture, non….
“Le maire de Ganges fait ce qu’il veut”
A Ganges, un projet avec des migrants et des précaires est la cause du divorce entre le maire et le directeur du théâtre Albarède. La Drac s’apprêtait à accorder un label national à cet établissement. Est-il remis en cause ?
Le maire de Ganges fait ce qu’il veut. Je n’ai pas à intervenir dans sa politique. Le travail fait à Ganges nous semblait intéressant. Nous étions en discussion pour une Scène conventionnée d’intérêt national. Le directeur s’en va. Le maire souhaite réorienter les choses. Nous reprendrons contact avec lui pour voir si son nouveau projet peut être financé par l’État, ou pas.
Il perdra le label ?
Il ne l’avait pas donc il ne perd rien. Les débats sont suspendus.
D’accord. C’est aussi la preuve de la porosité entre le politique et la culture. Il y a des motifs politiques à refuser une forme de théâtre solidaire.
Mais oui, c’est un genre de tensions que je vois en permanence. Nous ne sommes pas hors-sol.
Sur l’Archipel à Perpignan, ville RN, une directrice est nommée par la municipalité contre l’avis de la région Occitanie, contre votre avis. Allez-vous répliquer ?
Nous avons été en désaccord sur le nom de la personne finalement nommée. Pour désigner quelqu’un à la tête de ces maisons, il y a un processus transparent et équitable avec un appel à candidatures, un jury avec les financeurs et les mêmes informations pour tout le monde. C’est une nomination importante, à la tête d’une grosse maison, à la porte de la Catalogne du Sud. La ville étant majoritaire, malgré notre désaccord, nous ne pouvons pas nous opposer. Mais il y a une autre étape, l’agrément du Ministère pour le label de Scène nationale. Le dossier est sur le bureau de la Ministre…
“Montpellier Capitale européenne de la culture, c’est enthousiasmant”
Montpellier Capitale européenne de la culture en 2028 ? La nouveauté dans la politique culturelle montpelliéraine s’incarne dans ce projet. Mais pour l’instant, ça n’imprime pas vraiment dans le public. Qu’en pensez-vous ?
En tant que représentant de l’État qui va attribuer la candidature, j’ai un devoir de neutralité. En tant que Drac Occitanie, je trouve que c’est formidable. C’est une démarche enthousiasmante. Que ça n’imprime pas dans le public, c’est votre regard. C’est peut-être un peu normal tant qu’on est dans cette phase préparatoire à la candidature. Mais cela crée une dynamique de territoire : la quasi-totalité des élus et des acteurs culturels sont derrière. Même si la candidature échoue, les collectivités auront appris à travailler ensemble. C’est, quoiqu’il arrive, un projet culturel de territoire qui s’écrit. De ce point de vue, c’est déjà gagné.
Qu’allez-vous voir cet été dans les festivals montpelliérains ?
Tout ! A titre personnel, j’aime plutôt le théâtre de texte. C’est ce théâtre que je vais privilégier au Printemps des Comédiens. Mais la proposition de Jean-Paul Montanari sur le patrimoine chorégraphique m’intéresse beaucoup. Quant au festival de Radio-France, qui met sur le même plan un orchestre symphonique et le rap, ça me paraît réjouissant.
90 millions d’euros de budget
(*) La DRAC Occitanie qui couvre les 13 départements de notre région jouit d’un budget de 90 millions d’euros. Cette organisation “déconcentrée” du Ministère de la culture travaille sous l’autorité du Préfet de région qui a validé le principe de cet entretien en amont (inédit). Elle intervient “à la française” en partenariat avec les autres financeurs, c’est à dire les collectivités locales, jamais seule. En région, l’État ne produit pas de culture mais accompagne les acteurs culturels. Il y a 270 salariés sur les sites de Montpellier et Toulouse et sur les 13 unités départementales de l’architecture et du patrimoine (Udap). Le budget de 90 millions d’euros se répartit en 3 grands secteurs : la création (les artistes, les lieux), le patrimoine, l’éducation artistique et culturelle.
(**) En réponse à la crise sanitaire, en 2021, ce sont 11,5 millions d’euros de crédits délégués à la Drac, qui ont été consacrés au secteur culturel en Occitanie au titre du plan de relance du gouvernement, complétés en 2022 par 2,2 millions d’euros supplémentaires.
Pour compenser l’inflation née de la crise énergétique, la Drac a ensuite versé des aides exceptionnelles aux structures culturelles labellisées les plus en difficulté. En Occitanie, 14 structures du domaine des arts vivants ont été concernées pour un volume financier de 460 000€ ainsi que 3 écoles d’art à hauteur de 230 000€.