Il fit ses débuts à Montpellier. Il revient y vivre, quand il n’est pas à Los Angeles. A cent à l’heure, Dimitri Chamblas investit tous les territoires, croise tous les mediums, infuse un carnet d’adresses étourdissant. Encore discrètement, un grand moment de la danse à Montpellier est-il en train de s’esquisser, autour de Dimitri Chamblas dont le nom est sur toutes les lèvres ? A Montpellier Danse dont il est artiste associé, il présente son duo mythique avec Boris Charmatz, une pièce avec 55 amateurs, et le documentaire sur son travail dans une prison américaine.
Cet hiver, accueilli en résidence d’artiste associé à Montpellier Danse, Dimitri Chamblas préparait sa création 2024 : takemehome, une pièce pour neuf danseuses et danseurs, qu’il co-signe avec Kim Gordon, la légendaire fondatrice du groupe Sonic Youth. Le chorégraphe y réunit divers artistes croisés sur son parcours, du Burkinabé montpelliérain Salia Sanou à la grande danseuse classique Marion Barbeau, que Cédric Klapisch a révélé au tout public dans son film En corps.
1000 choristes à l’Opéra Berlioz
Ce mardi, quand Dimitri Chamblas accueille en entretien un journaliste de LOKKO, il lui fait remarquer qu’un quart d’heure plus tard, il y aura là, à nouveau dans les locaux de Montpellier Danse, cinquante cinq danseurs amateurs montpelliérains, accourus pour qu’il les guide dans Slow Show. C’est une pièce pétrie de l’atmosphère physique de Los Angeles, la ville où lui-même réside une bonne partie de l’année. Cet hiver encore, c’est mille choristes montpelliérains qu’il chorégraphiait dans la salle Berlioz, pour l’immense pièce Crowd Out. Le public y était impliqué. Et c’est tout le Corum qui, pour une fois, semblait dansant, arraché à sa monumentalité granitique.
Retour à l’été en cours. Au festival en cours. Lundi qui vient, Manuela Dalle, compagne de Dimitri Chamblas, présentera au Diagonal son film Dancing in A-Yard. Elle y relate le travail au long cours que Dimitri conduit aux côtés de dix détenus d’un établissement pénitentiaire de haute sécurité dans la périphérie de la mégapole californienne. Peu après, Dimitri montera sur scène avec Boris Charmatz, depuis toujours compagnon de route, tous deux originaires de Haute-Savoie, ils firent connaissance comme pensionnaires de l’Ecole du Ballet de l’Opéra de Paris (en photo A bras-le-corps, duo de Boris Charmatz et Dimitri Chamblas, présenté à Montpellier Danse)
Duo mythique avec Boris Charmatz
Ici à Montpellier Danse, ils reprendront A bras-le-corps, le duo mythique qu’ils créaient en 1993. Ils se sont jurés de redonner sur scène ce pacte d’amitié chorégraphique, tant qu’ils seront tous deux en vie. Ces mêmes jours, Chamblas travaillera avec des détenus de la Maison d’arrêt de Villeneuve-les-Maguelone. Cela avant de rejoindre Bâle, en Suisse, où Art-Basel, la célèbre foire internationale d’art contemporain, présente de lui une installation.
Dimitri Chamblas aurait-il les chevilles qui enflent ? En terminant d’égrener cet agenda, il conclut en souriant : “Est-ce que je serais dispersé ? Non. J’ai toujours vécu à plusieurs endroits en même temps. Je me nourris de contextes très différents ; de circulations incessantes. C’est ma matière artistique. Ce n’est pas de l’éparpillement”. Puis ce souvenir : “Dès l’âge de six ans, alors que j’évoluais dans un milieu populaire, j’ai senti que la danse m’offrirait une vie ; que ce serait mon véhicule pour me déplacer dans quantité d’environnements”.
De grandes affinités avec Mathilde Monnier
Ce parcours est passé par Montpellier au milieu des années 90 du siècle dernier. Alors grand ado (il a aujourd’hui 48 ans), Dimitri Chamblas sort du Conservatoire national supérieur de Lyon. Il rêve de danser du Dominique Bagouet, chorégraphe phare des années 80, en ce temps-là premier directeur du Centre chorégraphique national de Montpellier. Il y intègre la cellule d’insertion pour jeunes danseurs professionnels.
Mais c’est l’année de la disparition prématurée du grand artiste montpelliérain (1992). Nommée pour lui succéder, Mathilde Monnier a remarqué Dimitri Chamblas dans le fameux duo A bras-le-corps (évoqué ci-dessus). Elle l’insère dans sa compagnie, où sa très jeune carrure athlétique tranche sur les profils plus mûrs et non standards, dont elle s’entoure. Mais survient une grave blessure en 1998.
Le jeune artiste doit tout repenser de sa trajectoire à venir dans la danse. Passionné par l’image, il lance Same Art, pour produire des films à teneur artistique. “Mais je suis un artiste, qui aime les artistes” tient-il à préciser. Il veut offrir des conditions de travail impeccables. Il faut affranchir les productions artistiques des lourdeurs managériales et institutionnelles. Il faut trouver des moyens. “Et c’est vrai que j’ai su générer pas mal d’argent, avec trois sociétés, en Belgique, en France, à Los Angeles, notamment en travaillant pour la publicité, en parallèle”.
“La vie à Los Angeles m’a profondément transformé”
Quand on parcourt le website du Studio Dimitri Chamblas, on est frappé de voir apparaître de luxueuses mentions à Chanel, à Dom Perignon, et à leurs fondations. On sent l’artiste très décomplexé, à l’américaine, quant aux relations avec le mécénat. Américain, il le devient en partie, renoue avec Benjamin Millepied, son pote de chambrée au Conservatoire de Lyon. A son côté, il prend part au lancement du Los Angeles Dance Project, que le chorégraphe français impulse quand il rejoint son épouse enceinte -Nathalie Portman, star d’Hollywood (en photo, Dancing in A-Yard, film sur le travail de Dimitri Chamblas dans une prison californienne de haute sécurité, projeté au Diagonal).
“La vie à Los Angeles m’a profondément transformé, désinhibé” assure Dimitri Chamblas, quand il évoque l’expérience urbaine totalement singulière, “chaotique, incompréhensible” qu’impose cette ville : les distances démesurées, l’absence de vie de rue (sauf pour les laissés pour compte), l’immensité du désert alentour, les menaces des feux et du tremblement de terre, l’hédonisme du Pacifique, la mythologie d’Hollywood, mais aussi “l’épreuve d’une solitude très particulière”. Pas abattu, Chamblas se tourne aussi vers l’enseignement, devient l’un des six doyens (celui en charge de la danse) du California Institute of the Arts (Calarts). C’est l’une des écoles d’art les plus cotées au monde. Il y retourne toujours enseigner : “La recherche, l’expérimentation, de toute façon, c’est cette jeunesse qui a raison”. Et il se mesure aux contraintes de la grande institution.
La 3ème scène de l’opéra de Paris
En France parallèlement, Stéphane Lissner, directeur de l’Opéra de Paris a fait le grand pari, un peu fou, de nommer Benjamin Millepied à la tête de son mythique Ballet. Il est en quête d’idées nouvelles pour insuffler un supplément de vie artistique dans l’établissement. On nommera cela “3e scène”, en complément des deux maisons historiques du Palais Garnier et de l’Opéra Bastille. Chamblas lui souffle l’idée que cette scène soit intégralement digitale. L’impact sur de nouveaux publics sera inespéré. Avec cet outil fluide, Chamblas multiplie les invitation pluridisciplinaires, qui détonnent : le plasticien et réalisateur Clément Cogitore pour la fameuse reprise hip hop des Indes galantes d’abord à l’écran, les plasticiens très en vue Julien Prévieux, Xavier Veilhan, les écrivains Eric Reinhardt ou Bret Easton Ellis, etc.
En découlent des productions que Chamblas place sur les écrans des vols longs courriers d’Air France, tissant des partenariats avec la foire de Bâle ou le Palais de Tokyo. Dans ce tourbillon, quelle est au fond, l’idée essentielle qu’il se fait de l’art chorégraphique ? Peut-être cela, qu’il dépeind chez son fidèle ami Boris Charmatz : « questionner ce qui rentre dans nos corps, pour que la danse arrive. Créer des contextes d’accueil pour que la danse arrive ».
Sinon, évoquons son appréciation de Mathilde Monnier, quand il en fut l’interprète : “C’est en artiste qu’elle a su diriger le Centre chorégraphique national de Montpellier, et en faire le plus intéressant du pays. Au studio, elle savait mettre les gens ensemble pour générer de l’excitation dans l’espace. On pouvait traiter de questions profondes, avec un maximum d’énergie, des fois en se marrant”.
“Enfin une star internationale de la danse s’installe à Montpellier !”
A cet instant on songe que la question du remplacement de Christian Rizzo à la tête du CCN de Montpellier ne va pas tarder à se poser. De même paraît franchement d’actualité le départ en retraite de Jean-Paul Montanari à la tête du festival Montpellier Danse. Et pile à cet instant, Mathilde Monnier passe par là. Désignant Dimitri Chamblas, elle s’exclame : “Enfin une star internationale de la danse s’installe à Montpellier !”. Et elle répète cela, et elle répète ; certes avec humour. Mais enfin, Chamblas est bien là : “J’ai de la famille ici, j’y ai vécu des moments très importants pour mes débuts. Je n’ai plus envie de Paris. Montpellier a la richesse de géographie humaine que je recherche. Montpellier devient ma base en France”.
Certes, il jure qu’il n’est candidat à aucun poste de direction d’aucun établissement montpelliérain. C’est de toute façon ce qu’on dit d’abord, en ce genre de circonstances.
– Slow Show, pièce de Dimitri Chamblas avec 55 amateurs montpelliérains : samedi 24 juin à 11h au Musée Fabre, et 17h dans la cour de l’Agora de la Danse.
– Dancing in A-Yard, film de Manuella Dalle sur le travail de Dimitri Chamblas dans une prison californienne de haute sécurité : lundi 26 juin à 18h30 au cinéma Diagonal.
– A bras-le-corps, duo de Boris Charmatz et Dimitri Chamblas, les 2 et 3 juillet à 18h au Studio Bagouet du CCN.