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Tout le monde adore les Majorettes de Montpellier mais…

Au Festival Montpellier Danse, l’approche paresseuse du chorégraphe Michaël Phelippeau n’a pas permis d’exploiter le formidable potentiel incarné par la montée sur scène des Major’s Girls, la légendaire formation de majorettes montpelliéraine, qui va fêter son soixantième anniversaire.

Au moins sur les réseaux sociaux, le débat court depuis la création de la pièce Majorettes, ce jeudi 28 juin au Théâtre de l’Agora de la danse, dans le cadre du Festival Montpellier Danse. Son chorégraphe en était Michaël Phelippeau. Depuis deux grosses décennies déjà, celui-ci développe un propos artistique basé sur des portraits chorégraphiques, de personnalités rencontrées, très diverses, et très souvent extérieures aux cercles de la danse contemporaine.

Pour Majorettes, voici qu’il fait monter sur une scène de théâtre conventionnelle, un groupe de majorettes, au grand complet. C’est de la bombe, tant une image de désuétude est attachée à ce genre, de surcroît suspect de compter parmi les sous-produits de la culture populaire américaine, non sans charrier des stéréotypes conservateurs quant à l’image des femmes, à la fois aguicheuses et strictement disciplinées.

Une renaissance de la culture populaire ? 

Puisque le débat court sur les réseaux sociaux, certains commentaires veulent voir, dans cet événement, une reconnaissance de la culture populaire, en plein cœur d’un Festival attaché à des formes esthétiques “élitistes”. Elles sont douze, à descendre (plutôt que monter) sur la scène du théâtre de l’Agora, depuis ses coursives sommitales. La descente des escaliers se prête à merveille au décompte bien sonore des pas, tout en rythme, et au contact très proche des spectateurs. Le ton est donné d’emblée : les dits spectateurs sont nombreux à taper dans leurs mains en cadence. Il règne une complicité joyeuse. Voire un entrain de supporters.

Les Major’s Girls ne sont pas n’importe qui. Même en bottines, jupettes, justaucorps très ajustés, d’un bleu éclatant, elles ont une moyenne d’âge de soixante ans, insolite dans le genre. Leur vigoureuse capitaine, Josy Aichardi, a elle-même soixante-treize ans et fut la propre fille de la fondatrice d’une formation qui fêtera l’an prochain ses six décennies d’existence. Une bonne partie du spectacle consiste à brosser, de vive voix, cette épopée.

Au regard de l’histoire sociale des corps, on relève que les Major’s Girls virent le jour dans le cadre des lendits, grandes manifestations à la gloire des pratiques sportives dans l’école laïque. Et ça n’est pas mince, si on se souvient que durant la grande traversée du désert de la modernité chorégraphique en France (années 50, 60), le monde de l’éducation physique et sportive constitua l’une des rares bases de repli pour les quelques praticiens de la danse qui s’employaient à ensemencer les techniques et les pensées qui produiraient la danse contemporaine à partir des année 70.

Leur jubilation communicative

Sur la scène en 2023, les Major’s Girls rayonnent de l’immensité de leur histoire de groupe. Si leurs sourires font partie des pré-requis de toutes leurs prestations, ont sent ce soir-là qu’il recèle une jubilation de l’instant, débordante et très heureusement communicative. Leur programmation par le Festival Montpellier Danse constitue une aventure à nulle autre pareille. Ces femmes ont une tonne d’expérience à transmettre, et tout pour susciter l’intérêt, soulever des questions, ébranler les représentations installées, transporter leur public, parce qu’elles permettent de provoquer une sortie imaginaire, depuis le cadre des seuls héritages non questionnés.

Bref, avec elles, il y aurait largement matière à faire art, à se déplacer, à s’épanouir tout ailleurs que dans le champ de la reconnaissance du déjà su, déjà vu. Et telle était l’intention revendiquée par Michaël Phelippeau durant sa conférence de presse : “Majorettes est une pièce de danse contemporaine” a-t-il assuré, conformément aux attentes. Sinon, en quoi justifier le déplacement de cette forme chorégraphique qui est, sans cela, parfaitement pensée pour l’animation de l’humeur festive populaire et familiale sur le pavé ?

Quel projet artistique ? 

En regardant la pièce Majorettes, en écoutant les douze Major’s Girls prendre la parole tour à tour pour égrener anecdotes et souvenirs, on se prend à rêver d’un projet artistique qui aurait fait question, produit déplacement, à l’endroit du vieillissement insolite de ces corps de femmes, défiant les canons stéréotypés d’une supposée perfection plastique féminine ; à l’endroit du geste de faire collectif, sortir de sa destinée quotidienne, pour se montrer face à la cité ; à l’endroit de ce qu’elles incarnent de l’identité d’une ville quand elles rendent son dû à l’ancien maire Georges Frêche, extravagant détenteur du pouvoir, capable de mimer l’admiration pour les artistes d’avant-garde avant de les insulter à sa guise, comme de survaloriser les humbles, les petits, sans hésiter à les traiter de sous-hommes.

Etc, etc. Quand on est déçu par Majorettes, ce n’est pas qu’on fasse la moue devant l’occupation temporaire d’un plateau artistique par des figures de la culture populaire. Alors que s’enchaînaient sur scène des chorégraphies conventionnelles, qui ont sûrement l’impact recherché dans la rue, mais n’éveillent qu’un sourire entendu quand elles sont reproduites sur une scène, on s’est surpris à se souvenir de la pièce Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute.

Voir Rebecca Chaillon

Dans cette pièce, la performeuse Rebecca Chaillon fait évoluer une équipe féminine de football. Elle la recrée. Oui mais voilà : Rebecca Chaillon est une artiste radicale, de la mouvance queer et décoloniale, qui traite au vitriol tout ce qu’elle touche, en essaimant le trouble, le paradoxe, des formes de provocation. Or dans le monde des portraits de Michaël Phelippeau, en lien avec un certain assoupissement historique de la danse contemporaine française, il faut a priori que tout le monde soit gentil, que tout reste aimable, attendrissant, en signant le blanc-seing du consensus.

Ce n’est pas rendre hommage aux Major’s Girls, que de ne rien travailler avec elles, de ce qui serait susceptible de nous transcender. Qu’il y ait culture populaire ou élitiste, reste qu’il y a un besoin de l’art. Pour tous et toutes.

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