A l’occasion des trente ans de sa disparition, un certain 14 juillet 1993, le graphiste et illustrateur montpelliérain Lukino, aidé pour la narration par le politologue Pascal Boniface, publie la première BD racontant le parcours de ce géant d’artiste. Une très bonne idée et une belle réussite aussi. A découvrir aussi l’anthologie de 24 CD couvrant pour la 1ère fois l’intégralité de la discographie de Léo Ferré, réalisée avec le concours de son fils Mathieu Ferré, chez Universal.
Léo l’enragé
Même si on adore et vénère les 3 de la photo, la fameuse celle du grand Jean-Pierre Leloir immortalisant à jamais les deux grands B (Brel & Brassens) avec le grand F. Un cliché devenu bien vite poster et finissant par damner le pion sur les murs de nos chambrées adolescentes à bien d’autres Beatles ou Che Guevara pour finir par trôner fièrement aux côtés de l’Arthur Rimbaud errant tel qu’Ernest Pignon Ernest nous l’a représenté.
En dépit donc de notre passion sans limite pour le concepteur d’ “Amsterdam” et celui de “La supplique” (pour être enterré sur la plage de Sète), Léo demeure en pole position dans nos mémoires. Peut-être parce que bien que l’aîné du belge de 13 ans et du sétois de 4, il aura été celui au passage terrestre le plus long. Et donc celui qu’on aura eu le loisir de pouvoir voir sur scène à de multiples occasions. Deux ans avant son ultime soupir, il arpentait encore l’espace scénique. A la différence là encore des deux autres compères, il n’hésitait pas à se produire lors de fêtes politiques (les deux autres avec bien plus de parcimonie). Un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. Ou si peu…
Léo, l’engagé
Viscéralement anarchiste et soutenant par des concerts où il se produisait à titre gracieux la Fédération du même nom, on a pu le voir aussi soutenant également le brûlot de la gauche prolétarienne “La Cause du Peuple” (tendance Mao-Mao) créé par “l’architecte des banlieues” Roland Castro qui aura Jean-Paul Sartre comme directeur. Ce qui n’empêchera pas le redoutable Ministre de l’intérieur de l’époque, Raymond Marcelin, de saisir par décret chacun des numéros sortant de presse. Et fera du père Léo, allergique au dernier stade à toutes formes d’autoritarisme, un solide soutien du journal. Comme il le fera bien plus tard pour la station de radio montpelliéraine Divergence FM menacée un temps de disparition (photo). En soutien à “La Cause du Peuple”, Ferré créera même, façon happening, la chanson “Le conditionnel de variété” sur la scène de Bobino. Une chanson, comme une sorte de rap précurseur, pleine d’humour, chaque couplet débutant par : “Comme si je vous disais…”.
Même exercice plus tard avec “Le chien” (un autre grand classique) plus “slam” encore dans l’esprit. Léo Ferré répondra aussi présent pour soutenir le jeune journal “Libération”. Présent aussi à la fête du PSU (1960-1990). Présent encore sur la grande scène de “La Fête de l’Huma” (ultime fois où on a pu le voir en 1991 sollicité par Bernard Lavilliers, un admirateur de toujours). Localement, on a pu l’applaudir à l’une des dernières fêtes dites de la Rose (du PS) au domaine de Montagnac. Et même si on lui prête cette formule : “La gauche, c’est la salle d’attente de la droite“, cet artiste engagé, qui a mis Louis Aragon en musique dix avant Jean Ferrat, ne pouvait pas avoir le palpitant à l’opposé de la marche.
Photo ci-dessous : à l’occasion des 30 ans de sa disparition, “Hexagone”, trimestriel de la chanson, lui consacre 16 pages dans son numéro estival.
Léo en Bulles
La BD qui lui est consacrée est une excellente occasion pour raconter la vie et le parcours du bonhomme. On a oublié, ou on ne le sait pas, mais si Brassens pouvait faire consensus (même le général Bigeard se disait admirateur), Léo Ferré pouvait inspirer véritablement de la haine. C’est un irréductible qui peut parler aux plus jeunes.
Le polémiste et pamphlétaire, directeur de “L’Idiot International”, Jean-Edern Hallier (1936-1997) d’abord très mitterrandiste (puis plus du tout) appelant même à la disparition physique de Ferré. Plus qu’aucun autre, il aura à se justifier sur ses revenus et sur son train de vie. Un anar ça doit vivre comme Diogène, sans quoi, c’est suspect !
Ceux qui chercheront à en savoir plus pourront toujours se référer au livre souvenir de son régisseur et ami Maurice Frot (1928-2004) : “Comme si j’vous disais” (édité par l’Archipel) où il reproduit les propos de Jean-Edern Hallier, en mode pugilat. Enfin ses détracteurs trouveront avec le livre d’Annie Butor (la fille de sa seconde épouse Madeleine), paru il y a 10 ans, d’autres raisons de lui trouver des griefs.
Léo Ferré et Montpellier
C’est à Montpellier -l’anecdote commence à être connue- qu’alors auteur de chansons débutant, Ferré rencontre Charles Trenet à l’occasion d’un récital donné par l’auteur de “La folle complainte” au théâtre municipal. Ce dernier l’encouragera à persévérer dans l’écriture mais pas dans l’interprétation… La môme Piaf, qui lui prendra la chanson “Les amants de Paris”, le décidera à monter à la capitale. Piaf à qui Ferré dédira la complainte “A une chanteuse morte”.
Photo ci-dessus : en bidasse, effectuant son service militaire à Montpellier, en 1939, ici en compagnie de sa sœur Lucienne.
Une rue Léo Ferré ?
Là encore, si Brassens et Brel ont respectivement leurs noms de rue ou de place et même pour le premier une Maison Pour Tous, rien pour l’auteur de “Jolie môme” et de “C’est extra”. Un oubli qu’il y aurait urgence à combler. Même Paris est chiche envers l’auteur de “Paname” : un petit square dans le 12ème arrondissement arraché de haute lutte par son biographe Pascal Boniface parti en croisade avec quelques fans à ses côtés.
Photo ci-dessus : en compagnie de sa chimpanzé Pépée, par le dessinateur montpelliérain Aurel (extrait d’une expo à la galerie de l’Ancien Courrier).
Un des mérites du bouquin de Lukino est de souligner les scores incroyables qu’il faisait à l’occasion de certaines séries de concert : 3 semaines à L’Alhambra dans une salle de 2500 places, faites le compte. Et en novembre 1975 : un pari fou -mais parfaitement gagné- le Palais des Congrès 20 soirs de suite, à la tête d’un orchestre de 80 musiciens et 40 choristes.
“Léo Ferré, Ni Dieu, ni Maître”, Pascal Boniface, Lukino, Dunodgraphic, 21,90€.
“Les paroles et le geste”, 1948-1990, Anthologie de 24 CD de Léo Ferré, chez Universal, 115,90€.
D’autres montpelliérains ont écrit sur Léo Ferré
Claude Frigara, “Léo Ferré ; entretiens entre peau et jactance” paru chez Christian Pirot éditeur en 2003, et Stan Cuesta, “Léo Ferré”, chez Librio musique (2001).
André Fernandez également dans “Têtes de l’Art, Portraits & Rencontres” chez Amazon (2023). Longtemps photographe de presse pour l’AFP principalement, il dresse nombre de souvenirs abondamment illustrés où Ferré, qui était un ami, occupe une place de choix. Photo en couleur, le poing levé.