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Germaine Richier au musée Fabre : démons et merveilles

Depuis deux mois, 200 œuvres de la sculptrice Germaine Richier habitent le musée Fabre, qu’elle arpentait durant ses études à l’École des Beaux-Arts de Montpellier. Des créatures à la présence insistante, qui s’adressent directement à chacun de nous, nous accueillant dans leur monde. Laissez vous inviter par ces œuvres puissantes et bienfaisantes, bien loin de leur réputation horrifique. Encore jusqu’au 5 novembre.

L’artiste née en 1902 a grandi à Castelnau-le-Lez, et, même si dès 1926 elle quitte Montpellier pour d’abord s’installer à Paris dans l’atelier d’Antoine Bourdelle, son travail sera imprégné jusqu’au bout par une appétence pour la culture méridionale : ses mythes, ses matières et sa nature. Comme pour officialiser ce lien indéfectible, Germaine Richier demanda à ce que la première de ses œuvres acquise par l’État, le nu gracile Loretto (1934), intègre directement l’institution montpelliéraine.

L’adolescent est bien là, au début du parcours de l’exposition, avec ses mains et ses pieds démesurés, le bronze accidenté de sa peau, corps qui pulse, en pleine croissance -vivant. C’est très émouvant de pouvoir observer, sur le tirage grand format d’une photographie prise dans son atelier, la sculpture en cours du jeune garçon. Son visage est encore un peu fermé, il s’éclairera sur la version achevée, qu’on observe dans un face-à-face régénérant : tant d’humanité dans ce regard !

Suivent une série de bustes alignés à hauteur d’yeux -toujours cet échange entre le public et l’œuvre. Des hommes, des femmes, à l’expression proche d’une certaine béatitude. Même Le Guerrier (1945) arbore ce demi-sourire ; et pourtant, il a un trou au côté droit, mais il ne dort pas dans son val, lui a les yeux perçants, clairvoyants.

Et voilà L’Homme qui marche (1945). Un autre arpenteur au sortir de la guerre, un compagnon de ses homonymes signés Giacometti. Celui-ci arrimé sur son socle, les plantes de pieds bien à plat. Le corps a vécu, l’ossature est épaisse ; le parcours a été long et difficile, et il n’est pas terminé. La posture est plus symbolique que réaliste, celle d’un être qui porte le poids du monde. Richier, qui travaille toujours avec des modèles vivants, sait s’échapper des mesures et permet à ses créatures d’occuper un espace densifié par sa puissance artistique.

Un bestiaire merveilleux

Les traits des visages se brouillent, on sent le matériau qui reprend sa place, son grain, son épaisseur. Les nez, les yeux, les bouches sont ceux de corps qui semblent directement sortis de la terre, à l’état brut. L’hybridation est en cours. Ce sont plutôt les femmes qui se prêtent à ce mariage avec la nature. Ici La Mante (1946), là La Sauterelle (1955-56), La Chauve-souris (1946/notre photo) ; trois œuvres majeures de Richier.

Inquiétantes ? Nous déambulons plutôt dans un bestiaire merveilleux, où les corps féminins s’arrogent la force de cette faune qui fascinait l’artiste. Les sculptures sont exposées sur fonds doux (sauge, sable,…), les contrastes sont souples, le parcours est aéré. Maud Marron-Wojewodzki a en effet choisi de se démarquer de l’image horrifique qu’on accole parfois au travail de la sculptrice. Elle affirme ici une vision naturelle du monde de Richier, sans mise en scène symbolique qui brouille le discours. Il s’agit ici de comprendre comment l’artiste mêle l’humain à son environnement. Une réflexion qu’on entend aujourd’hui très clairement.

L’Eau (1953-54), femme assise au buste d’amphore, La Forêt (1946), corps-branches, la main sur la tête, soucieuse, autant de signaux qu’on interprète cruellement au présent. Plus symboliquement, la fascinante Hydre (1954) semble aussi sonner l’alerte. La main tendue, la tête difractée en quatre profils distincts, nous met-elle en garde, ou bien voudrait-elle nous entraîner dans son monde ?

Ils nous regardent avec douceur

Les ombres de toutes ces présences enrichissent encore la plongée : un travail méticuleux d’éclairage a été effectué pour cette exposition particulièrement soignée. La conservatrice a voulu retranscrire l’esprit quasi théâtral de Richier (ici, l’Hydre dans son décor), qui considérait ses œuvres dans une installation scénique.

Ainsi, Monsieur et Madame Catastrophes Naturelles, alias L’Orage (1947-48) et L’Ouragane (1948-49/notre photo ci-dessous) ponctuent, au milieu du parcours, la rétrospective. Ils ne sont pas effrayants. Ils nous regardent avec douceur. Nus, comme tous leurs compagnons, ils ont les mains en avant, presque timides. Corps imposants, mûrs.

La tête de L’Orage (ci-dessous) est torturée, ravagée, c’est comme s’il supportait une douleur à notre place, en silence. L’Ouragane est apaisée, rassurante. On voudrait se lover dans leurs bras, qu’ils nous protègent des cataclysmes contemporains, se fondre dans cette harmonie naturelle, espèce en voie de disparition.

Jusqu’au 5 novembre au musée Fabre

 

UNE : Germaine Richier par Agnès Varda, Germaine Richier dans son atelier parisien, mars 1956 © fonds Agnès Varda déposé à l’Institut pour la Photographie, Loretto, bronze patiné foncé, musée Fabre © Anna Zisman, L’orage, 1947, bronze, Centre Pompidou @Anna Zisman, La Chauve-souris, 1946, bronze naturel nettoyé, © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole-Frédéric Jaulmes, L’Ouragane, 1948-1949, bronze patiné foncé, Centre Pompidou, @Anna Zisman.

 

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