Sororité, collaboration, entraide et prise de pouvoir dans les instances de financement : les réalisatrices catalanes pratiquent un cinéma collaboratif, loin de toute concurrence, joyeux et engagé, qui est en train d’exploser au niveau international. A Cinemed, un débat passionnant a réuni une dizaine des ces femmes dont Carla Simón qui a obtenu l’Ours d’or à Berlin pour son film « Nos Soleils » (à gauche sur la photo).
A Barcelone, on peut visiter l’impressionnant Ca la dona, cet espace qui accueille 75 mètres linéaires d’archives constituées des fonds des groupes féministes catalans. Parfois, le soir, devant l’Ajuntament de Barcelone, non loin des Ramblas, les grands sujets d’actualité rassemblent de jeunes féministes ardentes qu’on entend de loin. Et surtout, en 2022, il y a eu cette loi exemplaire sur le consentement dite la loi “de oui c’est oui”.
L’Espagne est à l’avant-garde des mouvements féministes en Europe. Et les cinéastes incarnent ces combats voire les précèdent. En 2003, Icíar Bollaín avec son films “Ne dis-rien” a marqué les esprits et ouvert la voie à une mutation décisive dans le domaine des violences conjugales en Espagne. Venue l’an dernier au Cinemed, elle a contribué à éveiller la curiosité de l’équipe du festival montpelliérain qui prenait acte de cette émergence particulière. Le film “Creatura” d’Elena Martin -un premier long métrage qui décrit la relation houleuse d’une femme et de son compagnon- a été présenté à la dernière Quinzaine des cinéastes de Cannes et fait partie de la compétition en long métrage de Cinemed 2023. Il a été élu “meilleur film européen” par le Label Europa Cinéma.
Tandis que “Nos soleils” de Carla Simón recevait en 2022 l’Ours d’or à Berlin. Il a été le premier film en langue catalane à recevoir cette distinction internationale. Une merveille.
Un autre film “El sostre groc” de Isabel Coixet a fait sensation à Montpellier : le témoignage de neuf anciennes élèves du théâtre de Lleida qui ont parlé plainte contre leurs professeurs pour abus sexuels (photo ci-dessous). Présente aussi à Cinemed, “La Plage” de Neus Bellus a reçu 4 Gaudi, la plus haute distinction espagnole du genre.
Un cinéma de l’intime
A l’instar de la littérature, il est toujours délicat de genrer le cinéma. Mais elles le disent elles-mêmes : “nous travaillons sur l’intime, c’est ce qui nous définit”. Exemple, Carla Simón avec “Eté 93”, lumineuse fiction sur la solitude d’une enfant placée chez sa tante à la campagne après la mort de sa mère et dont la jeune actrice ressemble à la mythique Ana Torrent de “Cria Cuervos”. Ou “Nos soleils”, chronique autobiographique sur la disparition de l’exploitation agricole située à la bordure d’Alcarràs, petit village de Catalogne où la famille de la cinéaste possède une exploitation de pêchers. Un drame réaliste, d’une sensibilité vive, interprété par des acteurs amateurs, un regard lucide porté sur ses origines, et un rare sens de la nuance “Nous avons un sentiment d’urgence autour de thèmes actuels. Notre cinéma est un cinéma de l’immédiateté, un cinéma brut, un cinéma de l’urgence” a confirmé sa productrice María Zamora.
Une solidarité unique
S’inscrivant dans la continuité de leurs aînées, notamment Isabel Coixtet et Iciar Bollain, qui ont fondé l’Association des femmes cinéastes, c’est l’une d’entre elles, une autre camarade, la productrice Judith Colell, qui préside l’Académie du cinéma catalan depuis deux ans. Une forme de discrimination positive s’est mise en place, un écosystème plus favorable qui oriente les crédits vers les films de femmes longtemps minorisés. “Mais la critique parle encore des films de femmes comme des petits films intimistes et fauchés, des films réalistes et peu chers” a déploré Carla Simón.
La table ronde, assez exceptionnelle dans son genre, qui a réuni une dizaine de ces femmes du nouveau cinéma catalan a permis de voir de près la fraîcheur et la détermination de ces artistes. Elles ont constitué un groupe WattsApp, elles s’entraident, se conseillent, se donnent à lire leurs scénarios, collaborent dans leurs montages respectifs, et partagent une bonne humeur communicative. “On s’entend très bien, a expliqué Carla Simón, nous sommes des amies. Il y a une sorte de sororité et beaucoup de respect entre nous”. “Il y a un vivier, une spécificité catalane, une force et une confiance” a souligné la productrice María Zamora. La plupart issues de milieux modestes ont appris le cinéma à l’université ou en allant voir des films. Dans le sillage de ces réalisatrices, des productrices comme Valérie Delpierre ou des cheffes opératrices comme Gris Jordana, présentes à Cinemed, attentionnées, les ont aidé à grandir, allant vers l’une et l’autre. Cette solidarité : le secret de la réussite. A la question posée si elles se sentent féministes en tant que réalisatrices : c’est grand oui collectif “à 100% !”
A voir encore
-« Eté 93 » de Carla Simón est projeté ce samedi 28 octobre à 12h au Corum,.
-« Nos soleils » de la même réalisatrice, le vendredi 27 octobre au Corum.
-« La plaga » de Neus Ballús, le jeudi 26 octobre à 14h, centre Rabelais.
-« Libertad » de Clara Roquet, le vendredi 27 octobre à 16h au centre Rabelais.
(*) Rencontre ce mercredi 25 octobre, autour de la nouvelle vague catalane en présence des réalisatrices Carla Simón, Clara Roquet, Neus Ballus, Elena Martín Gimeno, de l’actrice et musicienne Laura Weissmahr, des productrices María Zamora, Valérie Delpierre et de la directrice de la photo Gris Jordana.
Rens, ici.
Photos Cinemed.