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Catherine Ringer : un fascinant récital érotique

A 95 ans, Alice Mendelson a publié les poèmes érotiques d’une vie. Catherine Ringer les dit et les chante sur scène avec un talent fou. Un moment rare à l’Opéra-Comédie ce dimanche 28 janvier.

A l’homme léchable qui fut et sera passé au tamis de la langue“. On connaissait Alice Mendelson en tant que figure de la résistance, en particulier à travers un livre “Une jeunesse sous l’occupation” qui raconte son enfance dans le milieu ashkénaze parisien des années 30. Une jeune juive polonaise ayant échappé à la rafle du Vel d’Hiv de justesse, tandis que son père, dénoncé, était déporté. Elle sera plus tard professeur de français en Algérie puis à Paris.

C’est dans le cadre d’une carte blanche au théâtre de la Huchette à Paris que Catherine Ringer a lu, pour la première fois, en 2021, les “poésies sensuelles” de l’amie de son père, qui seront publiées l’année suivante sous le titre “L’érotisme de vivre” (aux éditions Rhubarbe). Elle a alors 95 ans ! Toute une création parfaitement insoupçonnée. De 1947 à aujourd’hui : un corpus de textes érotiques d’une grande beauté.

Ringer au service de Mendelson

Accompagnée au piano, côté jardin, par Grégoire Hetzel qui les a mis en musique, Ringer, textes en main, s’efface derrière la langue ardente de Mendelson. Comment incarner sans écraser quand on a une des plus belles voix de la chanson française, et qu’on est une icône indémodable ? Pour soutenir le texte, un choix a été fait d’une variété de registres (jazz, classique, cabaret…) dans une forme d’équilibre, une oralisation alerte et créative mais qui se tient à bonne distance de sa propre célébrité (pour ensuite se lâcher, en fin de récital, en quittant Mendelson pour rater avec brio une chanson de Brassens).

Les modes de lectures aussi ont été envisagés de manière diversifiée, d’abord lus puis chantés. Dans une longue robe rouge rétro, Ringer, longue natte sur l’épaule, frétille et bouge toujours aussi bien : son corps sensuel, libre mais aux gestes si précis est bien en phase.

Que ma langue te remette tout entier au présent

Difficile de comprendre la mise en garde, dans le programme, de Catherine Ringer elle-même : “il y a aussi des choses écrites dans les années 50, où il y avait une autre vision de l’homme“. Quand elle parle d’ “invitation forcée” ? Ou “de ton sexe, tu m’as battue comme un tapis” ? Cela ne saute pas aux yeux. Tant d’hommes m’ont plu/Même ceux qui ne me plaisaient pas/Sauf ceux qui étaient beaux, trop beaux, juste à regarder/Excepté toi… et toi…/Même toi, et toi/Surtout toi... C’est l’adresse à l’homme désiré, mais son “TU” qui les concentre tous est hors genre. Et son invective tellement libre et audacieuse.

Que ma langue te remette tout entier au présent“. Alice Mendelson est une amoureuse passionnée et vorace, avec une insatiable envie de caresses mais c’est surtout une plume inouïe. Ce dimanche après-midi se sont diffusées des “ondes lentes de plaisir profond” dans ce lieu au prestige si raide du patrimoine montpelliérain. Mais l’Opéra-Comédie a prouvé qu’il était un cadre à explorer pour des nuits follement sexy et fut un écrin à la hauteur de l’excitation sans filtre de cette autrice assez incroyable au “miel rayonnant de plaisir“. De cette “fille qui bouillonne“.

Rafle moi, tu me vas

Rafle moi, tu me vas“. Démodé ? Avant tout, un désir de soumission indissociable d’une profonde quête de transcendance amoureuse. “Toi si réel, je te rêve“. Le sexe comme l’amour est une manière de parler à “tout ce qui, jusque-là, en moi, était resté seul“. C’est une prose miraculeusement incandescente et familière. “Je ne suis pas à voir, je suis à sillonner/Fais de moi tes champs et non tes paysages“.

Même quand elle mange un chocolat, elle focalise, elle détaille, elle érotise. C’est bien cela : le sexe chez Alice Mendelson a à voir avec une liberté radicale et un puissant désir de vie. Une érotisation de la vie par laquelle tout vibre. “Ne jamais bâcler de vivre“. Ce qu‘elle appelle “le vice de la joie”. Génial.

“L’érotisme de vivre”, Alice Mendelson, éditions Rhubarbe. Crédits photo @OONM.

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