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L’Arbre gris en face de l’Arbre blanc : une autre idée de l’architecture

L’architecte montpelliérain Yann Legouis (1) s’intéresse aux bâtiments modestes de Montpellier, ce que l’architecte-urbaniste français Nicolas Michelin appelle l’ “ordinaire-extra”. Parmi eux, cet immeuble des années 70 en face du “vaniteux” Arbre blanc de Sou Fujimoto (2).

Il est le prochain invité du podcast Genre Urbain.

Juste en face de l’Arbre Blanc, de l’autre côté du Lez, on trouve un bâtiment ordinaire d’une époque pas si lointaine où n’existaient pas encore les médailles en chocolats décernées par des sites agrégeant sans discernement tout le contenu architectural mondial : en 1969, on ne confondait pas encore la recherche de l’authenticité et celle de l’excentricité. Ce bâtiment ordinaire, un vieil Arbre Gris, n’est certes pas le “plus beau bâtiment du monde”, mais a de nombreuses qualités qui font cruellement défaut à son blanc voisin.

On peut rafraîchir sans climatisation

Sa faible épaisseur permet des étages courants avec des logements traversants, et des fenêtres pour toutes les pièces humides. On peut aérer, et rafraîchir, sans climatisation ou ventilation motorisée. Les chambres de l’arbre gris sont avantageusement placées vers le calme intérieur de l’îlot, alors que dans l’arbre blanc, l’idée d’avoir une fenêtre dans la salle de bain est carrément abandonnée, et dormir la fenêtre ouverte est un luxe. La moitié des logements de l’Arbre Blanc -ceux qui sont sur la façade qu’on ne voit jamais sur Pinterest- donnent en effet sur un des ronds-points les plus fréquentés de la ville-centre. Les circulations verticales, vitrées sur l’extérieur, animent agréablement les façades :  on n’a pas besoin d’allumer les paliers quand il fait encore jour, et on peut se raviser en dévalant les étages, lorsque l’on n’a pas pris sa cape de pluie en voyant un ciel gris, menaçant.

Un remède à la Folie architecturale

Côté rue, pas d’effets de manches : les salons sont doublés par une simple loggia, avec une allège de garde-corps pleine garantissant l’intimité du logement et un rapport au vide apaisé. Ces loggias, ont progressivement été habitées, parasitées, appropriées par les habitants, alors que juste de l’autre côté du fleuve, rien de cette vie simple ne transparait sur les balcons aseptisés de l’arbre blanc. C’est qu’à Montpellier, il y a du vent, obligeant sur les plongeoirs de l’arbre blanc à installer un mobilier lesté … et normé. On ne va quand même pas flinguer le feed Instagram des influenceurs mondiaux avec un parasol Orangina ? L’Arbre Blanc propose donc un choix cornélien et original à ses habitants : le vent ou le rond-point. Dans le dos des touristes focalisés sur le blanc éphémère de son jeune cousin, l’arbre gris est un peu quelconque, mais agréable à ses habitants : la définition même d’une architecture ordinaire-extra, remède rétroactif à la Folie architecturale.


Privilégiez le Gris au Blanc

Depuis un demi-siècle, à la nuit tombée, un flâneur profitera du spectacle ordinaire des ombres chinoises découpées par la vie des gens au fond des loggias, et du jeu des lumières intermittentes de ses cages d’escaliers, sans avoir besoin d’attendre Richard Scoffier et l’invention capillotractée “des intimités croisées”. Si vous cherchez à vivre à Montpellier, un conseil d’architecte : privilégiez le Gris au Blanc. Et avec l’argent économisé, allez prendre un café sur le fameux Rooftop de l’Arbre Blanc : on y voit notre mer, et plus le vaniteux bâtiment.

(1) Yann Legouis est architecte associé de SAPIENS Architectes et maître de Conférence associé à l’ENSAM, École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier. Cet article a été publié sur la page Linkedin de l’auteur qui nous a donné l’autorisation de le reprendre, ici.

(2) 56 mètres de haut, 17 étages, et 110 appartements de luxe, le bâtiment le plus photographié de Montpellier a été élu “plus bel immeuble résidentiel du monde” par le site Archdaily. Inauguré en 2020, il fait partie d’un programme ambitieux de “Folies” architecturales, initié sous Hélène Mandroux par Michaël Delafosse, alors adjoint à l’urbanisme, ensuite annulé par Philippe Saurel puis amplifié par l’actuel maire, qui prévoit à terme la construction de 13 bâtiments.

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