Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

NATYOT : “Je suis fascinée par l’incommunicabilité dans les familles”

Son double texte “Bonjour” suivi de “Hotdog” a été sélectionné pour le Grand Prix de Poésie de l’année de la SGDL (Société des Gens de lettres). Chanteuse, performeuse et auteure, NATYOT est à la Comédie du Livre ce samedi 11 mai pour une lecture de son nouveau roman “Le bercail” à la Panacée.

Cet entretien a été réalisé dans le cadre de la Rentrée littéraire de printemps, organisée le 22 avril dernier à la médiathèque Emile Zola par Occitanie Livre & Lecture.

LOKKO : Beaucoup d’actualité qui dit aussi toute votre présence active comme poète. On ne vous avait pas revue depuis la ZAT avec vos mots dans les stations de tram.

NATYOT. Oui, un long poème de 84 phrases. Une commande de la ZAT pour la gratuité du tram. 1 vers par station que j’ai lu ensuite à l’Opéra-Comédie.

Et la tournée du roman “Le bercail”, votre nouveau livre, qui s’est terminée à la Maison de la poésie à Paris, après le musée d’art de Nantes (photo).

Après Bordeaux, Saint-Nazaire, Laval. Et elle se termine vraiment au bercail pour la Comédie du Livre, le 11 mai.

En mars, vous êtes reçue à “La suite dans les idées” sur France Culture, une émission-phare sur les sciences humaines et sociales pour une émission intitulée “Économie de la pauvreté, pauvreté de l’économie”. Vous avez été invitée pour ces deux textes “Bonjour” suivi de “Hot-dog” qui interrogent la précarité et l’invisibilité des femmes. C’est un espace rare donné à la poésie engagée à la radio.

“Bonjour” a été une commande du théâtre Jean Vilar à Montpellier autour de la vie de Bouchra, une femme de ménage. L’équipe du théâtre avait vu mon travail avec les SDF qui est devenu le texte “Hot Dog”. C’est un travail singulier dans mon parcours. Ici, ma langue poétique vient traduire des paroles recueillies. La finalité était de faire monter ces femmes sur scène, dans des mises en voix et en espace plus que des mises en scène. C’était très touchant. Je voudrais remercier d’ailleurs Maguelone Astruc et Frantz Delplanque du théâtre Jean Vilar de Montpellier d’avoir soutenu ce projet et bien sûr les filles : Baghedoud Amina, Bouchra Demrah, Veronique Traore et Eliane Quenum de m’avoir raconté leur vie et de l’avoir exposée en public.

Vous dites alors dans cette émission qu’à l’occasion vous avez pu constater que “la pauvreté n’intéresse pas”.

Quand j’ai voulu éditer ce texte, on me répondait souvent que ce n’était pas très porteur la pauvreté… Et ça a voir avec mes questionnements, sur le fait qu’on se cache beaucoup de choses et qu’on n’a pas envie de voir ce monde qui est de pire en pire. C’est aussi le sujet de ce dernier livre : l’incommunicabilité.

Un nouveau livre donc à la Contre Allée : le 4ème chez cet éditeur après “Le Nord du monde”, “Tribu” et le double livre “Bonjour” et “Hot Dog”. Une dizaine de titres à votre actif dont un formidable “Janis Joplin” chez Indociles, la collection de Stan Cuesta. Dans “Le bercail”, une fille revient dans la maison familiale après 10 ans d’absence. Elle revient sans qu’on sache pourquoi, ni ce qui a provoqué son départ. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez été influencée par Nathalie Sarraute pour ce nouveau livre ?

Ma première idée était d’incarner un huis clos. J’avais été très marquée par une pièce de théâtre de Sarraute qui s’appelle “Le silence” où six personnes sont confrontées à une septième qui ne parle pas. Et projettent les pensées de celle-ci. Sur les six personnes, il y a ceux qui la plaignent, d’autres qui l’insultent. C’était inspirant dans le cadre de ma réflexion sur l’incommunicabilité dans les familles qui me fascine. Dans cette histoire, personne ne dit rien. Les parents ne sachant pas pourquoi leur fille revient n’abordent pas le sujet.

Elle ne le sait pas elle-même non plus.

On le comprend au fur et à mesure : elle cherche une chaleur familiale. Le défi du livre est là : ils vont tous faire des tentatives de rapprochement qui échouent à chaque fois. Cela peut-être dark dit comme ça mais c’est aussi plein d’humour !

Alors c’est vrai qu’ils ont tous l’air à côté d’eux-mêmes. Ils n’ont pas les bons mots, il y a une maladresse des gestes. 

Ils ont tous envie que ça aille bien, c’est ça qui est touchant. Quand on s’éloigne des gens, ce n’est pas si simple de reconstruire des liens. C’est ce qui m’intéresse dans tous mes livres, cette question des liens invisibles, comment on les rattrape, comment on les recoud quand on les a perdus. Comment on agrafe de nouveau nos sentiments.

Tout est abîmé, c’est terrible. Le dégoût de la mère quand sa fille la touche, quand elle se durcit à son contact, qu’elle devient un mur. Cette incommunicabilité passe par le toucher aussi ?

Oui, cette question du contact me vient sans doute de ma propre famille où on se touchait peu. Ce sont des petites choses, tout se passe dans le détail. La mère se souvient des contacts qu’elle a eus, elle tente de les faire revivre mais expérimente aussi une impossibilité et ça devient obsédant.

Est-ce qu’on peut dire que c’est le roman de la névrose familiale ? Vous dites que dans toutes les maisons, ça souffre et ça “rafistole”.

Ce n’est pas spécialement un roman sur la famille. C’est un huis clos familial mais qui peut être aussi le reflet de notre société d’hypercommunication où l’on n’arrive plus ni à s’écouter ni à se comprendre. La famille étant une mini-société, elle porte tout ça.

Ce qui est particulièrement bien rendu, c’est ce silence terrible dans cette famille. Très épais ! Comment ça se travaille ?

Avant de faire des romans, j’ai publié de la poésie pendant 15 ans. Dans la poésie, on ne prend pas la main au lecteur, on laisse le sens très ouvert, et on travaille la phrase comme étant quelque chose de vivant qui porte du silence. Le silence, c’est l’inverse des phrases plates. Dans ce livre en particulier, j’ai travaillé sur cette vie dans la phrase, sur cette tension et spécialement sur la fabrication d’un univers cinématographique.

Et cette musicalité, comment elle se fabrique ? Vous êtes une écrivaine qui dit, slame et chante ses textes. Donc on suppose que l’écriture se fait aussi beaucoup à l’oreille ?

J’ai beaucoup lu à voix haute quand j’écrivais. Je le fais encore beaucoup. Je passe encore par l’oral. Venant de la poésie et de la musique, j’entends plus un rythme qu’un son d’ailleurs. Maintenant, j’ai un peu la musique dans la tête avec l’expérience. Je vois vite s’il y a un mot de trop. C’est comme une partition en fait avec des cassures, des variations dans le débit de mots, des retours à la ligne. Mais j’ai l’impression que tout le monde fait ça.

Pour finir, c’est un roman sans clef, sans solution claire. On ne sait pas de quoi est fait son trouble à elle, par exemple. Pourquoi cette jeune fille est si étrange, pourquoi elle ne va pas bien. Dans leur passé, il y a des choses pas nettes…

Comme dans le passé de toutes les familles…

Chacun est le monstre de l’autre…

Comme dans toutes les familles…. Je ne donne pas de clefs, non. Le lecteur doit trouver lui-même. On peut me dire : cette fille est débile mais je peux entendre aussi l’inverse ! Sa différence, c’est qu’elle ne perçoit pas le monde comme les autres. Dans ce sens, elle est un peu une poète…

“Le bercail”, extrait

Elle rentre. La fille rentre. Ça fait longtemps. Très longtemps. Qu’elle n’est pas rentrée. Depuis elle ne sait plus quand. Depuis les cycles ont tourné. Plusieurs fois les cycles de la nature, elle les a vus tourner. Mais ses parents non. Les cycles étaient sans ses parents. Maintenant elle a peur. Un peu. Parce que quand même ça fait longtemps. Comment ses parents ont-ils tourné avec les cycles  ? Comment les cycles ont-ils parcouru ses parents, traversé ses parents, sillonné ses parents, peuplé ses parents, comment ? Elle ne sait pas. Elle ne sait rien de ce qui l’attend. Et c’est pour ça qu’elle a peur. Un peu. Elle rentre. Au bercail. À la maison. Au royaume de son enfance. Avec les parents qui ont vécu des cycles sans elle. Mais ça va aller. Bien sûr ça va aller. Les parents normalement ça va.

Le bercail, NATYOT, La Contre Allée, 18€, 144p.

Bonjour, Hot Dog, NATYOT, La Contre Allée, 8€, 9p.

Janis Joplin, NATYOT, Les Indociles/ Hoëbeke, 200p, 25€.

 

NATYOT & Carla Pallone-Lecture musicale “Le Bercail”, le 11 mai à 19h à la Panacée, à Montpellier dans le cadre de la Comédie du Livre – Dix jours en mai. Rens, ici.

Tout le programme de la Comédie du Livre, ici.

Crédits photo Laura Severi pour la lecture avec Carla Pallone et NathMalou pour la UNE.

Print Friendly, PDF & Email
S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Articles les plus lus

0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x