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Au Printemps des Comédiens, le cabaret des raisons de se réjouir

Coulisse et bar sur scène : très différemment du « grand théâtre », « Le secret  – Cabaret au bon goût d’autre chose » de Jérôme Marin, qui fut le M. Loyal de Madame Arthur, mythique cabaret travesti, a soulevé l’enthousiasme, plein de joie mais non sans profondeur d’un public plus jeune.

Alors d’abord, y a un truc qu’a pas marché. D’abord, en préambule, Monsieur K. (photo) s’avance seul en avant du plateau. Il est le somptueux, l’énigmatique meneur de revue du Secret. Sous son haut de forme, son amplitude corporelle lui confère toute une belle autorité, émaillée de saillies sarcastiques. Là d’abord il vient dire au public de l’amphithéâtre d’O qu’il ne faut pas avoir peur de bordéliser une représentation de cabaret. Se lever. Aller et venir. Tout particulièrement se rendre au bar. Oui mais dans cet espace monumentalisé, le bar étant sur scène, il  faut oser se hisser là, c’est-à-dire emprunter un escalier un peu imposant, en premier plan du show. Et alors, ça le fait pas.

Transgression et outrance 

On note cette anecdote, juste comme un signe de la position complètement décalée de ce spectacle, au regard du paysage et des usages du Printemps des Comédiens. Ce soir on fait pause dans la procession du grand théâtre de texte. Ce soir on entre au pays de la transgression, de l’outrance et de l’extravagance. Mais on en sortira avec un vrai « goût d’autre chose », aux humeurs très intenses.

Là, y a un autre truc qui marche très bien, sans qu’on y fasse suffisamment attention peut-être. C’est que les coulisses sont à vue, sur scène. Les tringles à costumes. Les tables et miroirs à maquillage. Tout se fait au milieu de la représentation même. Ca n’est pas mince, quand pas moins de quinze artistes vont et viennent à tout bout de champ. Or, n’allons pas croire : il ne s’agit pas que d’un clin d’oeil malicieux, d’un coin de voile juste levé sur la coulisse. Il s’agit d’une clé dramaturgique. Au cabaret, tout est question de se faire créature, se travestir, se métamorphoser, s’inventer en revirements, dédoublements, faces cachées, et transitions de toute sorte. Invention libre de soi. Absolu principe d’apparition. Allégorie de la fluidité. Rien, en fait, qui tienne de la futilité.

Y a qu’à voir. L’une des tables à maquillage se montre très en avant, en plein cœur de scène. C’est toujours un seul et même artiste qui s’y occupe. Il ne cesse de défaire et renouveler ses cocons d’apparence. Presque systématiquement, il décline une gamme décline des figures de la déchéance physique, la maladie, la mort. Clé dramaturgique disait on. Humour du cabaret grinçant, existentiel, parfois ultime. Au début on se croit à la revue, au tourbillon, au tour de chants. On s’y enivre. Deux heures et demi plus tard, on découvre avoir arpenté un labyrinthe d’obscurités. Prenant.

15 artistes, un éventail infini de genres

C’était pour le volet Thanatos. Maintenant l’Eros. Quinze artistes composent un éventail jamais fini des diversités de genre, des orientations sexuelles, des gammes de séduction, tournoyant entre toutes les cases. Iels s’appellent Louise de finesse, Patatchouille, ou Bouche du Rhône. Leurs indisiciplines vont de l’intromission en live d’un plug anal, à une vibrante interprétation masculine, toute barbue, de La symphonie des éclairs de Zaho de Sagazan. Cela passe encore par des figures et des voix, plus ou moins égrillées, de Piaf goualante en Mylène Farmer vaporeuse. Et c’est cascade d’atours, de strass, de dénudés, de froufrous, jusqu’au strip tease, sinon l’overdose des traînes et surplis.

Tout cela de très, très haut niveau, avec mention au trio musical violon-piano-accordéon, autant comédien.nes qu’instrumentistes. Persiflages, irrévérences et cruautés. Royaume rêvé d’indiscipline et de transgression. D’exubérance et d’impertinence. Même très codifié d’un point de vue stylistique, même arrimé à mille références cultivées, tout Le secret tient d’un débordement libertaire, échevelé, non sans écho aux questions de genre, et autres audaces de pensée woke, qui animent l’époque.

Et c’est tellement joyeux que, rétrospectivement, quarante-huit heures plus tard, au terme de la consultation électorale qu’on sait, on se prend à y chercher, à y trouver mille raisons de se réjouir et d’espérer. Sauf à se souvenir que les plus grandes heures de l’histoire du cabaret se vécurent dans la nuit de la Grande guerre (réfugié en Suisse), sinon au bord du précipice dans le Berlin du début des années 30.

En tout cas, le public de Monsieur K. et toute sa galaxie exulta. Et bon, alors on adore.

Photos Monsieur GAC

Le Printemps des Comédiens se poursuit jusqu’au 21 juin. 

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