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Montpellier Danse 2024 : entrée en matières avec Orlin, McGregor et Teshigawara

Voir trois pièces, de la sud-africaine Robyn Orlin, du britannique Wayne McGregor et du japonais Saburo Teshigawara, un même soir. Les voir en contexte de catastrophe politique. Mais sans les abuser, sans les surcharger d’enjeux de circonstances, qui ne leur appartiennent pas. Peut-être alors, se réjouir d’une formidable sensation de contrastes, qui éclaire, contre replis, enfermements et séparations. Place à un compte rendu hyper subjectif.

Voir trois grandes pièces de danse, s’enchaînant en un seul soir, sur une séquence de cinq heures de durée. Même parmi les plus assidus, très peu de festivaliers se dédient à cette expérience. Une nouvelle fois, cet exercice était rendu possible en soirée d’ouverture de Montpellier Danse 2024 (44e édition). Dès le samedi 22 juin, on pouvait ainsi voir à 18 heures au Théâtre de Grammont la toute dernière pièce de Robyn Orlin, puis à 20h à l’Opéra Berlioz la création mondiale d’une nouvelle pièce de Wayne McGregor. Enfin conclure à 22h au Théâtre de l’Agora, sur une autre création mondiale, de Saburo Teshigawara.

C’est cette mise en regard, en tension, en rythme, qui caractérise un festival, par opposition aux programmations étalées au fil d’une saison. De ce rapprochement dans le temps et l’espace, de cette intensification, découle déjà une production de sens, particulière. On le vérifie, lorsque les lubies d’élus conduisent certains festivals à devoir étaler leurs programmations sur de trop longues durées aux quatre coins de territoires trop vastes. Ils y perdent la perception même qu’on se fait d’eux.

C’est peu de dire que Montpellier Danse, tout à l’inverse, est chevillé à sa ville. N’a pas bougé de dates depuis des décennies. Crépite en deux semaines. D’autres frissons s’y mêlent, en 2024 : cette quarante-quatrième édition frémit à l’idée que Jean-Paul Montanari a fini par acter son départ en retraite. Or cette cérémonie des adieux se produit dans un contexte politique possiblement crépusculaire, de bascule d’une société se jetant dans les bras autoritaires de l’extrême-droite, pour qui les guerres culturelles figurent en tête de l’agenda.

Cela alors que Jean-Paul Montanari incarne -parfois jusqu’à la caricature- la stature des figures de la grande tradition, presque unique, des politiques culturelles publiques, initialement impulsées dans la France de la Reconstruction, par Malraux et maints acteurs surgis des idéaux de la Résistance. Hormis les discours de cocktail d’ouverture, tout se déroule néanmoins comme si de rien n’était, côté salles. Normal. Mais tout ce hors scène politique et circonstantiel fonctionne à plein dans le mental. On est curieux d’imaginer ce que l’histoire culturelle -on parle ici d’un des segments de la science historiographique- saura dire de cette séquence terrible, dans le futur.

Robyn Orlin : retour à l’Afrique 

Robyn Orlin, donc, en ouverture. Toujours ses titres interminables : « How in salts desert is it possible to blossom« . Traduction : « Comment peut-on refleurir, dans un désert de sel« . Et toujours l’atmosphère tumultueuse, chevillée au social vivant, qui bouscule la scène. Déferlement plasticien et sonore total. Une fabuleuse abondance chromatique et de textures, parfois scintillante, côté costumes.

Et toujours la mise en boucle instantanée des captations vidéos de l’action même, côté scène, côté salle. De quoi bousculer les paramètres convenus des trois dimensions, des quatrième murs, des plans et des arrière-plans. Ainsi chahuter l’expérience physique du spectateur. Les images  bourgeonnent à profusion, dans des effets de cocons en attente, de chrysalides épanouies, de fleurs naissantes. Endiablé dans les corps, le rythme est porté à des incandescences lyriques par le duo musical et vocal uKhoiKhoi. On a parfois la sensation, autant côté vidéo que musical, d’une bride lâchée à de brillants collaborateurs, au point qu’ils risquent de prendre le dessus.

Passons sur cette réserve de forme. Pour revenir au fond. Robyn Orlin, bien connue à Montpellier Danse, est une artiste sud-africaine blanche, en son temps totalement engagée contre l’Apartheid. Puis on la vit quitter son pays. Non sans pincement au coeur, et contre les idéaux d’une nation arc-en-ciel, on avait compris qu’elle n’avait plus vraiment sa place dans une société déterminée à se penser pleinement africaine. Chorégraphiquement, ses audaces issues de la danse-peformance au top des tendances occidentales, avaient-elles leur place quand les artistes, noirs, étaient en quête de paramètres ethniques d’une identité bafouée.

Il y a la saveur d’un retour dans cette nouvelle pièce. Robyn Orlin y découvre les artistes d’une région isolée de l’Afrique du Sud. Une région physiquement et moralement anéantie par les ravages de l’exploitation capitaliste et coloniale. Elle nous dit se sentir à présent plutôt « traductrice » que « chorégraphe ». Place à l’expression d’une nouvelle génération, place à une collaboration égalitaire, place au statut de ces citoyens métis, non binaires racialement, relégués parce que non blancs du temps de l’Apartheid, mais aujourd’hui mal à l’aise de n’être pas franchement noirs.

Sur scène, la réflexion déborde en actions, et une fureur de vivre se déchire entre les violences, sociales et de genre tout particulièrement -scène de viol- dans un territoire écologiquement dévasté, et des exultations de joie déferlante, insensée. Parmi les cinq danseur-ses, une Mater Dolrosa prodigue les soins de la consolation, tout au bord de la danse. Mosaïque échevelée en mouvement, convoquant son public dans la danse, toute la pièce s’insurge contre tout principe de séparation. Aucune neutralité à cet endroit, va-t-il sans dire.

Wayne McGregor : plein la vue 

C’est un abîme de contraste qui s’ouvre alors, quand on pénètre dans le grand temple de l’Opéra Berlioz du Corum pour y découvrir -pour la plupart des spectateur.ices- l’art de Wayne McGregor. Il est britannique. Très peu d’artistes anglais ont marqué la scène internationale de la danse contemporaine. Au reste, les corps des neuf interprètes de sa pièce Deepstaria semblent surgis d’une autre époque. L’empreinte de la haute exigence de la danse classique y demeure plus que palpable, portée par des morphologies parfaites, dénudées tels des compétiteurs de natation aux Jeux olympiques. Et cela sans que la notion de perfection -qui a eu aussi son versant totalitaire dans l’histoire culturelle (et olympique)- soit en rien questionnée.

Un déploiement scénographique de lumières et de variations sonores empreinte au high-tech le plus furieusement en pointe, mais dans une intention exclusivement décorative, à l’échelle somptueuse de la scène de l’opéra. Plein la vue. S’y déroule une litanie d’étirements à l’extrêmes, de cambrures dessinées en arcs de courbe, de suspensions en pamoisons, pirouettes miraculeuses d’équilibre, jusqu’aux cous de pied en impeccable extension. Tout se déroule brillantissime, sans qu’on perçoive que cette danse ait un autre enjeu que de montrer de la danse à voir.

Ainsi peut-on y rêver de la reconduction d’un monde occidental idéal. Ce rêve est d’autant gratifiant que, la démonstration n’en finissant pas de s’étirer, on bénéficie du confort de pouvoir s’endormir sans crainte dans un fauteuil profond. Sortant de l’assoupissement, le raccord se fait instantanément avec ce qui se passe sur scène. Car dans l’intermède, il ne s’est finalement rien passé vraiment.

La grâce Teshigawara 

A trois cents mètres de distance, on bascule à nouveau dans un monde absolument autre, à des milliers de kilomètres -géographiques, culturels, mais encore éthiques et spirituels. Le chorégraphe japonais Saburo Teshigawara est un amoureux du théâtre de l’Agora, où il danse lui-même la création mondiale de Voice of desert. Dans cet espace à ciel ouvert, il convoque aussi -et signe lui-même- une chorégraphie lumineuse, une toile picturale vivante, qui envoûte tout l’espace, aussi incisive que délicate.

On se prend là à rêver des premières années festivalières, quand de manière sans doute naïve, la seule idée de plein air, alors dans une cour Jacques Coeur bricolée et depuis lors disparue, on confondait cette atmosphère estivale avec la notion même de festival (et fête avec). Reste que la monumentalité, mais aussi la chaude matière, des pierres de l’Agora, tutoie alors la portée céleste cosmique, qui ne va pas sans empreindre la totalité de la pièce.

On s’en voudrait de surcharger celle-ci sous un blabla de commentaires. Disons vite que sa texture infiniment ouverte, son espace non agressé, sa gestualité sobre, intègre, non volubile, son intériorité palpitante, son vocabulaire d’esquisse périphérique, écrit au stylet incarné notamment par une diva de la présence -Rihoko Sato, au comble d’une maturité souveraine- nous laisse avec l’imprégnation éthique d’une portée de l’art en rempart de toute paresse, bassesse et barbarie. Leur idée, mais non hélas leur active réalité.

Montpellier Danse jusqu’au 6 juillet. 

Photos Robyn Olrlin © Laurent Philippe, Wayne McGregor © Ravi Deepres, Saburo Teshigawara © Mariko Miura.

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