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Lodève se confine en solidaire

L’atmosphère particulière de la ville, les rumeurs du confinement, les portraits de ses habitants : Ali, l’épicier, Ursula, la paysagiste, Cathy, la maraîchère, Marie-Lucie, l’ancienne prof de français parisienne, Gaëlle, candidate aux Municipales. Le reportage de Nadya Charvet à Lodève pour LOKKO.

Lodève, au temps du confinement, fait la queue comme tout le monde. Ce matin, une dizaine de personnes attendent leur tour devant deux stands d’horticulture. En respectant les consignes de distance sanitaire, elles forment une farandole débridée qui s’étire, paresseuse, sur l’esplanade face à la Poste.

Le jardinage, devenu l’occupation-reine

Depuis début avril, les producteurs locaux ont eu l’autorisation de venir à tour de rôle vendre leurs fleurs, plantes aromatiques, pousses de salades, pieds de framboisiers, rosiers, et la queue s’organise, s’apostrophe, en terrain de connaissance, se salue, échange des impressions de confinement. Le jardinage est devenue l’occupation reine : « Je n’ai jamais passé autant de temps dans le mien »« On pourrait lancer un concours des plus beaux jardins post-confinement. » La bonne humeur est de mise. Le soleil de sortie.

Les plantes sont devenues nos amies. « Je leur parle matin et soir. » « Je les bichonne. » « Ma nouvelle passion. » « Chèvre-feuille ou jasmin ? » hésite une main novice. « Chèvre-feuille, la feuille plus charnue, jasmin, l’odeur plus présente. » « Ombre ou lumière pour les renoncules ? » demande une femme à la blouse fleurie, avant de confier : « Là-haut, on ne voit plus personne ». 10 hectares de solitude, à perte de vue. Alors elle parle et parle avant qu’une question ne vienne interrompre son monologue « L’arrosage des anémones ? » demande une brunette.

La Poste à guichet fermé

Un peu plus haut, dans la rue piétonne pavée de coquilles Saint-Jacques, marquant le chemin de Compostelle jusqu’à la cathédrale, la Poste occupe les esprits. Fermée pendant presque 15 jours, elle ne rouvre que deux jours par semaine. Et le distributeur, en prime, est en panne. On s’interroge. Comment font ceux qui sont à la Banque Postale ?  Les bénéficiaires des minima sociaux, nombreux en ville, ont été obligés d’aller jusqu’à Gignac ou Clermont-l’Hérault pour toucher leur RSA. « Il parait que le maire a râlé. » Il paraît.

A Lodève aussi, le confinement attise les rumeurs. « Vous avez entendu cette histoire ?  Une mamie a volé une baguette et du chèvre. Elle n’a plus de sous. Les gendarmes sont venus », raconte une cliente. « Quoi, appeler les flics pour ça, c’est une honte ! » lui répond sa voisine. « Non, elle a tenu à appeler les gendarmes pour que ça se sache. Elle a eu raison !»

Dehors, Ali, l’épicier pianote sur son smartphone. Les livraisons sont chaotiques, les prix des produits fluctuants, les stocks fondent. Les fruits et légumes en provenance d’Espagne manquent à l’appel. « Plus personne là-bas dans les champs pour assurer les récoltes », dit-il (photo ci-dessous avec son équipe)

La rue du Musée est déserte. Seul un homme en fauteuil roulant sur le pas de sa porte tourne la tête à chaque passage de piéton. Avec les bras, il fait des moulinets en direction d’une voiture qui se gare en face. Au volant, la femme ne l’a pas remarqué.

Ça fait du bien de parler à n’importe qui !

Devant l’office du tourisme, un stand de producteurs de légumes et de nouveau une queue, bavarde et indisciplinée. Ça fait du bien de parler à n’importe qui. Pourvu qu’on parle. Ursula a un masque bariolé et improvise un numéro de cow-boy. « Haut les mains, c’est un hold up ! » Elle est paysagiste. Elle a composé pendant son confinement une ode à la nature. « Ce moment est propice à de grands questionnements. J’ai le sentiment que nous sommes perdus dans un labyrinthe, symbole pour beaucoup de civilisations du chemin initiatique que l’homme doit parcourir pour se connaître lui-même. » Un policier municipal, en jogging Adidas, vient interrompre sa méditation à voix haute. Il trouve ces bavardages déplacés. « Je vous rappelle que vous êtes censées faire vos courses et rentrer chez vous. » N’est-il pas censé porter une tenue conventionnelle pour nous en aviser ?

Derrière l’étal de salades, patates, poireaux, courgettes, Cathy a son tee-shirt jaune délavé des jours de marché, son sourire lumière et les cheveux en bataille. Le confinement ne lui laisse plus une minute. L’exploitation familiale vit à 100 à l’heure ; via Facebook, Marie Line, sa belle-fille a proposé des ventes de paniers de légumes. Chaque jour, à Bessan, les gens défilent à l’entrée de la ferme pour venir les récupérer. « On ne sait plus très bien entre ce qu’on vend en panier, les points de collecte à approvisionner, et les municipalités qui nous autorisent à mettre un stand, combien il nous reste de stock. » Tout part dans tous les sens. Elle hausse les épaules : « Quand il n’y en aura plus, il n’y en aura plus », part d’un rire franc quand une cliente parle de son mal de dos après deux heures courbées dans le jardin. « Moi, je mets une ceinture ! »

Deux fois plus de commandes au magasin bio

Sur le parking face aux Super U, Séverine s’accorde une pause cigarette. Depuis le confinement, elle aurait tendance à fumer plus. Le magasin bio où elle travaille a réduit ses horaires d’ouverture : 10h-18h. Mais les journées sont plus chargées. Dès 8h30, la marchandise arrive. On ne sait jamais ni quoi, ni combien. Deux fois plus de commandes, deux fois plus de manutention. Le magasin ne désemplit pas. De nouveaux clients. Plus les anciens. Plus ce temps qui ne passe plus et que beaucoup de gens occupent à faire des courses. Une, deux fois par jour parfois. Et à la caisse, plus le temps de rien. Ni plaisanter. Ni discuter. Masquées, elle et ses collègues encaissent« On ne fait que ça. » « Toute la journée. » Une prime de 1000 euros leur sera versée.

Son confinement ? Elle ne l’a pas vu passer. Si, le samedi, avec ses filles et son mari. La sortie resto traditionnelle s’est mue en sortie maison. Menus tacos ou pizzas ou quelque chose qui ressemble à ce qu’on mange dehors. Surtout, « on s’habille comme en soirée, tenue de fête, maquillage, la totale ».« Au moins, je n’ai pas le temps de grignoter. A la fin du confinement, on va pouvoir deviner qui est resté confiné, qui non, rien qu’à regarder la silhouette des gens. »

Mamie fait de la résistance

Au centre-ville, une mamie cherche de la compagnie dans les rayons du Carrefour Market esseulés. La voir là sans gant ni masque donnerait envie de la gronder gentiment. « Vos voisins ou vos enfants ne peuvent pas faire vos courses ? » Elle répond que si, bien sûr, mais elle avait besoin de prendre l’air.  L’aide-ménagère ne vient plus. Elle s’en réjouit. « Ah bon pourquoi ? » « Je me lève un peu plus tard. Habituellement, je suis debout à 6h30 pour faire mon ménage avant qu’elle passe. Mes filles ont insisté pour que je me fasse aider, mais à mon âge sinon, je tourne en rond. » Sourires. Quel âge a-t-elle ? “86 ans.” Que va-t-elle dire à ses filles ? Qu’elle n’est pas sortie.

Comme les 1200 « seniors de la commune », elle a reçu la semaine dernière un appel d’un élu. Il voulait savoir comment elle allait, si elle n’avait besoin de rien. « Ils auraient pu au moins me faire appeler par quelqu’un que je connais », commente-t-elle.

 “Ici, les solidarités familiales fonctionnent”

Gaëlle Levêque, première adjointe au maire, candidate arrivée en tête du 1er tour des municipales,  a fait sa part de standard téléphonique. « Ici les solidarités familiales ou de proximité fonctionnent. Pas trop à s’en faire. » Tant mieux.

Les trois maisons de retraite de la ville tiennent le coup. Les pensionnaires sont consignés dans leur chambre, sortis au compte-goutte, avec un accompagnant. Faute de personnel suffisant, ils restent seuls la plupart du temps. Habituellement, Isabel vient de Paris rendre visite à sa mère atteinte d’Alzheimer une fois par mois. Elle appelle désormais tous les jours. Se rend-t-elle compte de ce qui se passe ? « Elle s’ennuie sans télé, avec ses yeux fatigués, sans radio, avec sa sourde oreille. J’ai insisté auprès d’un infirmier l’autre jour pour qu’il la descende dans le parc. »

Des lits vides à l’hôpital

Agnès a mis son cabinet médical en confinement. Plus de chaise pour s’asseoir dans la salle d’attente. Plus de magazine à lire. Plus de patients. « Il faudrait dire aux gens qu’ils peuvent venir consulter. » A défaut, elle propose des téléconsultations. A-t-elle eu des cas de coronavirus ? « Comment savoir? La plupart des malades appellent mais restent chez eux et même les tests ne sont pas fiables à 100%. » Elle tient une comptabilité des appels. A la fin du confinement, avec la cellule Covid 19 de Lodève (*), ils feront les comptes. Pour l’instant rien de sérieux à signaler, les lits prévus à l’hôpital pour recevoir des patients convalescents restent vides. Une seule personne y a été admise.

Agnès profite de ce moment particulier. Elle n’a pas vu son compagnon, ni sa fille asthmatique depuis un mois. « C’est plus sûr », dit-elle. Aucune angoisse dans sa voix. « J’adore, je n’ai jamais passé autant de temps seule avec moi-même. » Grande adepte de la méditation, elle avoue ne pas trop prendre de nouvelles du monde. S’informer sur le virus lui prend déjà tout son temps. Quand elle n’est pas au front, elle débranche.

Comme Lazare. Les vacances scolaires sont venues assouplir l’emploi du temps de mon voisin, directeur d’une école primaire à Lodève, qui en profite pour jardiner. Il est asthmatique. Il préfère rester à distance. Nous discutons par-dessus le mur. A vue. Les premières semaines, entre les appels aux parents, les réunions virtuelles avec les enseignants, le conseil d’école en multiplexe et les cafouillages informatiques, il était content de venir vider son sac. L’enseignement à distance reste un sport de combat.

 800 personnes au Secours Populaire

Dans l’appartement du rez-de-chaussée, Pascal s’occupe comme il peut. Il s’accorde quelques sorties sur le sentier de grande randonnée au bout de la rue, qui grimpe vite dans la forêt, loin de la ville à l’arrêt. Des sorties qu’il calibre en orfèvre pour ne pas risquer l’amende. Il a mis des annonces partout pour proposer son aide. Pas de réponse. Si, il a passé quelques jours au Secours Populaire à faire des colis alimentaires. Le désordre l’a fait fuir. Promiscuité, café bu ensemble dans des gobelets peu recommandables. Et ce type qui, bénévole comme lui, voulait donner des ordres. Le chef de cuisine, habitué à gérer des équipes, n’était pas d’humeur à supporter qu’on lui dise quoi faire.

Il n’empêche, dans Lodève confinée, le Secours Populaire a quasi doublé ses distributions habituelles, près de 800 personnes à nourrir, et commence à manquer de trésorerie. « Les demandes d’aide sont parties sinon nous ne pourrons pas assurer un mois de plus », me confirme Marie-Claude Bastide, sa secrétaire générale.

 “Tu vas voir ce que tu vas prendre !”

En passant dans une rue étroite du centre historique, un éclat de voix comme un coup. « Tu fais chier bordel, tu vas voir ce que tu vas prendre ! » Sur France Inter, la semaine dernière, me revient en mémoire la lettre de Leïla Slimani, adressée aux incarcérés du monde entier, nous invitant à regarder au-delà des quatre murs de nos espaces confinés. « J’écris aux femmes battues qui entrent chaque soir chez elles comme on entre en cellule, terrifiées par le geôlier qui les attend, le poing fermé, la matraque à la ceinture.(…) J’écris à ceux qui rêvent d’une chambre à eux, de quatre murs, d’une porte qu’on puisse fermer, d’un lieu d’où ils pourraient ne pas sortir et où personne ne puisse rentrer. »  

A Lodève, l’action sociale reste mobilisée, vigilante, dans une ville où le taux de chômage des jeunes atteint 25% et le nombre d’inactifs un tiers de la population. Sur le trottoir d’en face, Sylvie précède Jean-Luc dans son fauteuil roulant. Ils sont sortis acheter des plants. Première sortie depuis deux mois pour lui, à la santé fragile. Jour de congé pour elle. Sylvie travaille à la Maison Enfance Jeunesse qui accueille en ce moment les enfants des soignants.

Avec les petits, pas de distance de sécurité, alors de retour chez elle, elle se déshabille entièrement, désinfecte ses lunettes et son portable , met en machine sa tenue du jour, passe sous la douche, remet des vêtements propres. Deux de ses collègues ont eu le Covid-19. Pas question de faire prendre le moindre risque à Jean-Luc. La corvée des machines, après un mois de confinement, commence à lui peser.

Elle écrit des parodies du confinement

En rentrant de l’approvisionnement, je fais un stop chez Marie-Lucie, la doyenne de la rue, ancienne professeur de français, latin, grec au lycée Jacques Decour à Paris. Elle habite une immense maison dont une des façades penche. Vu l’âge des pierres, l’effondrement n’est pas pour demain. Son intérieur est riche de ses lectures, assemblages de textes, poèmes, réflexions, tableaux, objets, beaux ouvrages qu’elle partage volontiers.

L’ail des ours est en fleur

C’est l’heure où le soleil devient doux et la lumière rasante. L’heure de l’apéro entre amis.  Partout, des gens dehors. En balade, dans leurs jardins, bricoleurs. Dès qu’une tête amie passe sur le chemin, une autre apparait derrière un mur, salue, questionne, raconte.

Au bord de la rivière, l’ail des ours est en fleur. Une belle fleur blanche, sauvage et fière. Quelqu’un a dressé des statues de cailloux au bord de l’eau. En cercle, comme si elles conversaient. J’ai envie de m’asseoir là et d’écouter la voix des pierres.

Gaëlle, l’adjointe au maire, me disait qu’elle appréciait ce silence. Son jardin. Ses premiers pas en permaculture. Après des mois de campagne, une équipe à constituer, des réunions à organiser, des débats à mener, des tracts à distribuer, un programme à élaborer, des centaines de main à serrer, le confinement a stoppé net son emballement.

Lodève s’interroge sur l’après

Ce premier tour a eu lieu mais il paraît si loin le temps des promesses électorales, des beaux discours, des embrassades. Qu’en restera-t-il quand tout sera terminé ? Saurons-nous utiliser ce temps mort pour nous réinventer? Elle y travaille. Beaucoup l’espèrent. L’échelon local pourrait-il servir d’étalon dans un pays déboussolé par la mondialisation ?

Lodève s’interroge. Jusqu’ici, elle n’a rien vu. Rien vécu d’irréversible. Elle ne compte pas ses morts, célèbre ses soignants, ses commerçants, ses producteurs, veille sur ses anciens, soutient les plus fragilisés, espère que les plus durement touchés par cette mise à l’arrêt s’en sortiront.

Tout cela n’est qu’ un contretemps. Pas un avertissement. Pas une répétition générale. Nous allons en sortir, masqués probablement, marqués sûrement, mais en sortir. Il nous restera alors à vivre la suite.

 

(*) Selon le plan régional, les urgences Covid-19 sont traitées à Montpellier, l’hôpital de Lodève a été réquisitionné pour recevoir des patients dont l’état ne serait plus jugé critique, en convalescence.

 

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