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Le design de la ligne 5 à Barthélémy Toguo : la déception des artistes locaux

L’annonce du choix de Barthélémy Toguo pour le design de la future ligne 5 du tram a suscité des critiques amères du côté des artistes locaux et d’indignes commentaires racistes. Pourtant un choix sans surprise tant l’artiste franco-camerounais, déjà très lié à Montpellier, cochait toutes les cases.

“Un mineur isolé”

D’abord les réactions racistes. Sur Facebook, dans le groupe Montpellier Politique, sous une photo où il est encadré par Michaël Delafosse, le maire et président de la métropole et son adjointe aux mobilités Julie Frêche, Barthélémy Toguo est décrit en “mineur isolé”. Dans le même registre, Franck Manogil, conseiller régional du Rassemblement national, passé chez Zemmour durant les Présidentielles, écrit sur Twitter : “Sans grande surprise, c’est l’artiste pro-migrants Barthélémy Toguo qui a été choisi par les élus de la métropole bobo de Montpellier, pour réaliser les décors de la future ligne de tramway. Nos artistes locaux attendront”. Réactions du même ordre sur les réseaux sociaux de “Midi-Libre”, qui attirent souvent les commentaires affligeants. 

Plus intéressantes : les polémiques venues d’artistes locaux. En première ligne, Débit de beau. En publiant sur sa page Facebook, la maquette d’un projet qu’elle avait envoyé à “La Gazette”, elle s’est dite troublée par la ressemblance avec le projet-lauréat au point de solliciter publiquement des conseils pour rencontrer un spécialiste du droit d’auteur… avant de nuancer son propos.

“On ferme la porte à une catégorie d’artiste”

Plus significatives sont ses remarques sur l’appel à candidatures organisé pour choisir le designer de la ligne 5. Elle enrage “contre des décisionnaires qui ferment systématiquement la porte à une catégorie d’artiste (pour résumer vite fait “le gagne-petit local”) au prétexte qu’ils n’ont pas le niveau (et effectivement l’appel d’offres est ingérable à ce niveau de complexité) en ne cessant jamais les grands discours sur l’importance de l’art, de la culture vivante, au quotidien, dans leur ville, comme si c’était pas la nôtre et bla et bla, j’ai du mal à les imiter je ne suis pas adepte”.

Et si la street-artiste avait dit tout haut ce que pas mal d’artistes pensent ? En message privé, LOKKO a reçu quelques commentaires qui souhaitaient rester anonymes et allaient dans le même sens. L’un pointait la proximité du directeur du MOCO, Numa Hambursin, avec le gagnant du concours. La plasticienne Gisèle Cazilhac, elle aussi, a regretté sur Facebook un recrutement “en circuit fermé. Rien que pour l’appel d’offres, c’était marqué en tout petit dans “Midi-Libre””. Ajoutant : “ils demandaient notre chiffre d’affaires des 3 dernières années, de quoi embaucher un expert-comptable. N’empêche que c’est bien 150 000 euros, et même beaucoup plus, qui nous passent sous le nez”. Un autre artiste, Sébastien Masse, a acquiescé : “J’avais regardé aussi l’appel d’offre mais pour candidater il fallait avoir un CA annuel très élevé…” De son côté, Etienne Schwarcz de la galerie ES Art Factory a déplacé le débat sur un terrain plus politique : “Le choix qui s’est porté sur Barthélémy Toguo est, je pense, non pas un choix artistique, mais POLITIQUE, au service d’une stratégie de communication autour de l’image que Montpellier veut faire valoir”.

“Pas prendre les artistes montpelliérains pour des cons”

Illustratrice qui sera présente à la Comédie du Livre 2023 pour un livre sonore avec Benjamins Médias (ci-dessus), Gwenaëlle Tonnelier a partagé le post de Débit de beau, ajoutant ce commentaire : “quand les choix artistiques se font au masculin et à l’international plutôt qu’au local et au féminin”. Elle a reçu notamment le soutien de la street-artiste Sandra Sancko en ces termes : “Tellement prévisible !! c’était du pipeau leur appel, ils ont juste fait une commande à un artiste de leur choix. C’est très bien pour cet artiste mais il faut arrêter de prendre les artistes montpelliérains pour des cons en leur faisant miroiter pleins de choses, Montpellier ville du street-art, Montpellier capitale de la culture 2028 !” 

Une parole rare

Plusieurs choses à dire : d’abord, il est extrêmement rare qu’une parole aussi libre s’exprime dans la culture montpelliéraine, bien rodée à la contestation murmurée. C’est un fait, en soi. Ensuite, il s’agit là d’une véritable brèche dans l’unanimisme spectaculaire du monde de la culture sous le mandat de Michaël Delafosse. Appuyée par un lourd déploiement communicationnel, l’action du maire-président montpelliérain en direction des artistes locaux est pourtant difficile à prendre en défaut. Exemples : la carte de vœux confiée à un artiste local, un fonds de 500 000 euros pour les ateliers d’artistes, et le soutien aux galeries d’art, même privées comme la galerie Bouchind’homme, ou la Parcelle 473. Aujourd’hui, on apprenait que le montpelliérain Al Sticking avait été choisi pour l’emballement de la tour d’Assas à la Paillade. Sans oublier les fonds considérables alloués aux artistes du territoire dans le cadre de la candidature de Montpellier au titre de Capitale européenne de la culture. Enfin, parmi d’anciens dispositifs, l’incontournable galerie dédiée Saint-Ravy.

De quoi cette réaction est-elle le nom ?

Comment faut-il interpréter alors cette poussée contestataire ? Une réaction souterraine et épidermique qu’il n’est pas urgent d’analyser ? Il y a eu seulement 14 partages du post initial de Débit de Beau. Du côté de la mairie, on admet que la complexité de l’appel à candidatures, relevant des services de la TAM, a pu décourager certains artistes. Mais on ne paraît pas vouloir dramatiser le resurgissement du thème de la place de l’artiste local, argument de campagne de Michaël Delafosse en 2020.

Des réponses ont déjà été livrées à chaud. Adjoint au patrimoine, Boris Bellanger a esquissé un dialogue sous le post de Débit de beau : “La richesse artistique c’est justement les échanges, la diversité. C’est plutôt bon signe une Métropole qui expose ceux qui viennent d’ailleurs. La culture c’est l’ouverture à l’Autre, pas rester dans l’entre soi”. De son côté, le conseiller culture de Michaël Delafosse, Régis Penalva, a ajouté un commentaire au partage de Gwenaëlle Tonnelier en soutenant des choix “qui se font aussi en direction de l’Afrique. Barthélémy Toguo, c’est le choix d’un artiste qui nourrit depuis plusieurs années maintenant des liens forts avec Montpellier, depuis l’admirable exposition “Déluge” au Carré Sainte-Anne, et dont l’école artistique de Bandjun dialogue avec l’Esba (ndlr : l’école des Beaux-Arts) en permettant des échanges entre étudiants européens et africains”. Sont-elles suffisantes ?

Barthélémy Toguo, un artiste en phase 

Cet épisode ne doit pas masquer la singularité montpelliéraine dans ce domaine : unique ville française à “faire voyager ses habitants dans des œuvres d’art” comme l’a souligné, dans un message enregistré, la Ministre de la culture lors du lancement officiel, samedi dernier (“On me parle du tramway de Montpellier jusqu’à New-York”), Montpellier a confié sa ligne 5 à un artiste d’envergure internationale, en même temps militant de l’exil et de l’écologie. On peut voir actuellement son pilier de ballots colorés exposé sous la Pyramide du Louvre à Paris : son engagement humanitaire fait écho au soutien appuyé de la ville en faveur des migrants (notamment en direction de SOS Méditerranée). Idem pour l’écologie : pour Barthélémy Toguo, dont les hommes métaphoriques aux bouches qui expulsent des plantes feront bientôt partie de notre quotidien, elle n’est pas une inspiration décorative. Située en plein pays bamiléké, sur les hauts plateaux de l’ouest du Cameroun, son école d’art Bandjoun Station a développé un projet économique agricole visant à produire, sur place, sans pesticides, du café, des fruits et des légumes. Enfin et surtout, l’Afrique. Comme Marie-Cécile Zinsou au Bénin, dont on a pu voir une partie de la collection au MOCO, il fait partie de ces figures militantes du continent, devenu un axe majeur de l’identité montpelliéraine depuis le sommet Afrique-France de 2021. 

 

La ligne 5

La ligne 5, dont les travaux ont débuté récemment, reliera à partir de 2025, la périphérie nord-est au sud-ouest de Montpellier, en passant par le centre historique. D’une longueur de 20,5km, au total, elle desservira les communes de Lavérune, Montpellier, Clapiers, Montferrier et Prades-le-Lez : 27 arrêts en 45 minutes de trajet. Un tram toutes les 6 minutes. Coût : 440 millions d’euros, dont 346 millions à la charge de la métropole. 80 000 voyageurs/jour attendus.

D’autres images, ici.

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