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“Cette pause te place à égalité, toi qui es déjà KO”

Série « La vie au temps du Covid », au pied des Cévennes. Rédacteur pour Lokko, Lionel Navarro est aussi professeur dans le secondaire, codirecteur du festival « Texte En Cours », animateur de l’émission radio « Le Fil du faire » sur Radio FM Plus. Un homme occupé. Décrivant son expérience du burn-out, il raconte les effets positifs de son confinement : pause physique et psychique, lenteur imposées à la moitié de la planète.

La peur qui ne dit pas son nom

Disons que c’est le mercredi 30 septembre, au matin, que cela t’arriva. Le réveil qui sonne à 6 heures du matin. Tout dans la chambre qui tangue, le corps incapable de quitter le lit, la tête qui tourne tellement : quand tu te mets enfin debout, les mains, le front, les aisselles moites, le cœur qui bat dans la poitrine et tes tympans, tu n’entends plus que ça, le sang que tu vois frapper l’intérieur de tes doigts jusqu’aux phalanges où pousse l’ongle. L’estomac et le bord des lèvres qui te préviennent que, d’un instant à l’autre, il est possible que tu vomisses. Et la peur qui ne dit pas son nom, l’angoisse de te trouver au travail pour t’y casser la gueule de manière invisible et pourtant irrévocable.

Depuis plusieurs jours, ta cervelle n’écoutait que cette information diffusée par la tévé, la radio, Internet, les journaux papier, tes réseaux sociaux : « Suicide de Christine Renon », la directrice d’école primaire. Elle n’est pas la seule parmi tes collègues de France à n’avoir plus pu supporter. Le nom et le nombre des morts dans ton administration, les agressions dans les établissements scolaires que les journaux régionaux diffusent, les agressions et les humiliations que toi ou tes collègues ont affrontées.

Où je loge est devenu ma citadelle

Tous les combats ne se voient pas de l’extérieur : toi seul sais que, si tu te retrouves, aujourd’hui, d’ici 2 heures, dans ton espace de travail, tu t’effondreras, devant tout le monde, devant tes élèves, devant toi-même qui te regarderas t’effondrer. Maintenant, tu te tiens, le visage blanc et en sueur, le souffle court, face au miroir de ta salle de bain. Tu te diriges vers la cuisine pour boire un verre d’eau parce que tout en toi est sec, dessiqué ; tu tombes. 6h30 : dans l’appartement du dessus, les pas qui courent d’un jeune enfant, une mère qui gueule comme presque tous les matins.

Tu ne sortiras de ton appartement qu’en fin d’après-midi pour aller chez le docteur. « Ma marche ne tient pas droit, je zigzague comme si j’étais ivre. » La doctoresse écoutera. Elle dira : « Je vous arrête 15 jours. Vous faites un burn-out ». Le burn-out, c’est pas pour le privé, c’est pas pour les gens qui n’ont pas de vacances ? « Dès lors, où je loge est devenu ma citadelle. Voilà plus de 6 mois que, médicalement suivi, je ne peux retourner dans l’espace de travail, le mouvement, les conversations, les frustrations. » Des analyses ici, des tests là pour les vertiges sont pratiqués.

Un écosystème mettant KO de plus en plus de salariés et de professeurs

Où tout travailleur travaille, son Moi et le cœur de ce qu’il est peuvent être psychiquement et administrativement niés par toute une nuée de paradoxes et de tiraillements managériaux. « Ils font intégralement partie d’un écosystème mettant KO de plus en plus de salariés et de professeurs, d’après ma psy, spécialiste du burn-out. » Son cabinet ne désemplit pas.

Il a fallu, après tout le reste, une seule question, presque anodine, de la part d’un élève de Terminale pour que, à la fois d’un coup et lentement, tu t’étioles pour ne plus pouvoir, le lendemain, te lever du lit. Une accumulation de choses qui font que le travail, qui ne répond plus à ce que tu es, à la manière dont tu le vois, prend toute la place du présent et de l’avenir que tu ne te souhaites pas. La perte du sens des choses faites et à faire. Alors, tu pénètres à l’intérieur de toi, dans l’exiguïté du mal qui, comme le covid-19, t’enlève le goût des choses.

Le burn-out, c’est le froid glacé

Quand la question t’est posée : « Comment se passe ton confinement ? », tu réponds : « J’y suis préparé depuis des mois ! » Tu es habitué, depuis un moment, à ne voir pas grand-monde, à être dans l’impossibilité de pouvoir t’impliquer pour telle ou telle affaire et à y prendre plaisir : « Le burn-out, ce n’est pas le feu qui brûle, c’est le froid glacé qui statufie et t’abandonne, là, dans un univers que tu n’arrives plus à partager, même par téléphone, même par Skype ou WhatsApp ». Le burn-out, c’est le trou, dans lequel tu es suspendu, entre ce qui te constitue comme personne et le monde comme il va de façon folle et malsaine. Tu rajoutes : « Savoir que mon environnement proche comme lointain est au ralenti, presqu’à l’arrêt : je suis apaisé. Regarder, depuis le 17 mars 2020, à la télévision, des personnes confinées chez elles me calme ».

Savoir, rien que savoir, que le rythme fou d’il y a quelques semaines est, momentanément, brisé a plus d’effet sur toi que des anxiolytiques ou des séances d’acupuncture. Tu es certain de vivre, dans ton cas de mec confiné, en lui-même, par une inquiétude, une parenthèse enchantée. Comme tant d’autres qui, peut-être, aujourd’hui, s’en rendent compte, tu ne subis plus ordres et contre-ordres permanents. Tu ne vois plus, sous ton nez, de parjures, de mensonges, de contradictions. Tu ne les entends plus comme tu n’entends plus les petits arrangements et les abandons volontaires pour la carrière et le mieux-être personnel. Il n’y a que le printemps et le chant des oiseaux pendant la nichée du mois de mars !

« Le monde est enfin au rythme de mon état psychique ! »

Cette pause, -imposée par un virus, l’Etat, la science médicale, mais une pause qui finira-, te place à égalité, toi qui es KO depuis longtemps, avec toutes celles et tous ceux qui, amis et inconnus, quand tu les regardais vivre, quand tu les écoutais dans les bars, quand tu les lisais sur les réseaux sociaux ou les applis de rencontres, montraient une sorte d’excès d’agir, une espèce de réussite quotidienne dans l’art de travailler, de faire carrière, d’obéir, de s’arranger avec ses principes pour atteindre ses objectifs, de voyager, de rencontrer du monde, de fêter, d’être flamboyant, de sortir, d’avoir une vie sexuelle continue, de vivre, ci et là, des histoires de cul étonnantes et/ou une histoire sentimentale forte avec une seule personne. « A Montpellier, ailleurs aussi, j’ai l’impression que pas mal de monde, entre 20 et 40 ans, est en couple libre sans, plus ou moins, le savoir ! »

Aujourd’hui, ce train-là est presqu’à l’arrêt : « Le monde est enfin au rythme de mon état psychique !» Certaines concurrences, certaines dominations s’arrêtent par manque de combattants dans l’arène de la vie quotidienne. Chacun est chez soi. « Quant aux colères superflues, elles perdurent, peut-être, parce que les réseaux sociaux perdurent et les alimentent. Pourtant qu’aurions-nous à prouver ? »

Ce sera la course à la fête

Tu sais pertinemment les conséquences que cette pause implique du point de vue économique et social. Tu sais qu’un virus envoie à l’hôpital, qu’il tue dans une chambre d’hôpital, un EHPAD, chez soi, dans la rue. Tu sais que le confinement peut être dangereux pour la vie des hommes, des femmes, des enfants. Tu sais que des élèves sont mis de côté à cause de l’enseignement à distance, que d’autres n’avaient que les repas à la cantine pour manger correctement. « Je pressens qu’à la fin du confinement rien ne changera, on aura pensé et dit de beaux mots de courage comme on annonce ses bonnes résolutions chaque 1er janvier : ce sera la course à la fête. Même le club des seniors où va ma mère lui annonça, par courriel, hier, une giga-fiesta pour l’après-déconfinement ! » Ordres et contrordres professionnels seront à nouveau donnés, les petits accommodements se referont. Reviendront la course, la folie du quotidien, la haine de l’autre en face à face; l’amour aussi. Des salariés, des agriculteurs, des commerçants, des patrons n’en pourront plus; la nécessité fera tenir debout certains, encore et encore. C’est la nature des conditions de vie façonnées par l’humain depuis des décennies qui nous oblige.

La vraie et implacable distance sociale

La vraie et implacable distance sociale reprendra, pas celle qui vous fait tousser dans votre manche ou garder, avec tremblement et crainte de la voisine, 1 mètre de distance au minimum. Non, la vraie et implacable distance sociale, c’est celle qui vous fait consommer jusqu’à l’âme, l’énergie et la bonne volonté des autres, dans le boulot ou ailleurs. La vraie et implacable distance sociale, c’est celle qui, factuellement, vous isole intérieurement parmi votre communauté avec qui, pourtant, vous dansez et buvez du jeudi au samedi soir. Et, alors, chaque soir, nous rentrerons à nouveau, chez nous, le cœur peut-être serré, un cœur serré que nous ferons taire, reprenant le confinement métaphysique et émotionnel d’avant le covid-19, ce confinement intérieur auquel nous ne faisons plus attention depuis bien longtemps.

C’est le 8 avril 2020. 6h28, sortie matutinale au jardin. Rosée de l’herbe qui rafraîchit mes pieds. Les oiseaux; et, comme un fracas continue que je n’entendais plus depuis des semaines, la nappe sonore, agressive aujourd’hui parce qu’en fait oubliée et a-naturelle, qui me parvient, depuis le lointain, des voitures roulant en continu sur la route d’Uzès et la route de Nîmes. L’Eden des 3 dernières semaines est fini. Et le confinement, mon c….

Qu’est-ce qui a changé, dites, dans l’urgence sanitaire, depuis le 16 mars 2020 pour revenir, déjà, au point de départ ? J’ai un burn-out qui m’attend au tournant puisque tout, déjà, a repris, dans nos têtes, comme avant.

 

 

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