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Immersion théâtrale dans l’affaire Gabrielle Russier avec le collectif V.1

L’affaire Gabrielle Russier, cette professeure de Lettres de 31 ans amoureuse de son élève alors âgé de 16 ans, sur les planches : “Il faut dire” est la première création du Collectif V.1 qui privilégie l’exploration d’une écriture collective pour un théâtre mêlant histoire collective et récits intimes (*). Un dispositif immersif pour une proposition puissante et bouleversante sur un drame médiatisé survenu tout juste après mai 68.

 

 

Le sujet de la pièce : « L’Affaire Gabrielle Russier », une professeure de Lettres de 31 ans à la pédagogie peu conventionnelle -divorcée, élevant seule ses deux enfants- tombe amoureuse de son élève Christian alors âgé de 16 ans avec qui elle entretiendra une relation pendant plusieurs mois jusqu’à ce que ses parents portent plainte et l’accusent de détournement de mineur. Évoluant dans un contexte post-mai 68 où le gouvernement tente de rétablir l’ordre civil et moral, l’acharnement judiciaire et la pression médiatique mèneront au suicide de cette « Antigone moderne » le 1er septembre 1969.

Au plateau, deux comédiennes, Sabine Moulia et Jessica Ramassamy, interprétant respectivement les rôles de Christian et Gabrielle, mais incarnant aussi les protagonistes des lettres que l’enseignante envoyait de prison. Car peu importe qui joue les personnages, la présence des actrices sert à véhiculer l’histoire et leur vocation est de faire vivre leurs mots à travers leurs voix et leurs gestes. Cette manière d’incarner ces lettres, sans identifier clairement les personnages, permet une certaine distanciation avec le fait de société et son actualité.
Elian Planès et Alex Denis à la mise en scène proposent un dispositif scénique trifrontal, propre au théâtre contemporain, nous plongeant ainsi au coeur de l’action, en brisant ce quatrième mur, la frontière entre le public et la scène n’existe ainsi plus, la réalité se confond avec la fiction. Cette scénographie -permettant au public une certaine participation- s’adapte parfaitement à cette salle informelle et ouverte du Quartier Gare, lieu de fabrique et de création.

“ 13 mai 1969 […] Je ne regrette rien, sinon d’avoir entraîné dans ce qui apparaît aujourd’hui comme un désastre, beaucoup de gens. Dites-moi que vous savez “ qu’on ne voit bien qu’avec le cœur ”, que nous sommes maintenant dans le trou noir des apparences et de la laideur, mais que la vérité, dans sa simplicité, reviendra avec le soleil. Dites-moi que vous n’êtes pas trop tristes. Nous avons depuis si longtemps vécu avec entre nous la barrière de l’espace. Et pourtant, depuis février 58, onze ans déjà, nous avons toujours été ensemble. Je suis avec vous, pas dans la tristesse et la mélancolie, je voudrais vous donner ma sérénité du moment, vous dire que je vous attends, et que rien ne peut nous arriver. Avec le sourire.
Je vous embrasse.
Gabrielle ”

(Extrait d’une lettre écrite à ses parents)

Nous voilà impliqué-e-s émotionnellement

Des livres disposés sur nos chaises, une adresse directe au public -tenant le rôle assigné des élèves du club de poésie- et tou.te.s sous la lumière, nous voilà en immersion, impliqué.e.s émotionnellement et physiquement. Nous revivons la rencontre de Gabrielle et Christian, leurs premiers émois, d’abord timides et refoulés puis assumés au grand jour avec ce sentiment de liberté bientôt publiquement jugé et réprimé.

Cette histoire oubliée fait bien sûr écho à notre actualité, au débat de société sur l’âge du consentement en cas de pédocriminalité. Et pourtant il s’agit de tout autre chose, il s’agit de parler d’amour et de le montrer mais aussi de relater les réactions de la société, entre histoires de sororité, d’espoir et d’injustice. Car si Gabrielle fut emprisonnée sans même avoir été jugée, c’est avant tout pour sa condition de femme dont la liberté, non tolérée dans une société patriarcale bienpensante, la mènera à être diabolisée, tour à tour nommée « mangeuse d’enfants » ou « perverse hystérique », passant pour un monstre déshumanisé. Et les tentatives acharnées de Christian pour la retrouver ne feront que la condamner pour cet amour impossible shakespearien.

Les deux comédiennes parviennent avec brio à ne jamais tomber dans le pathos en interprétant les pensées intimes de Gabrielle, au prisme des lettres qu’elle écrivit à ses proches depuis la prison, nous offrant des respirations tristement comiques en jouant un procureur sadique ou une journaliste bornée. Arrivé.e.s à la fin du livre et de l’histoire d’une femme de lettres qui en perdit l’esprit et préféra mettre fin à sa vie, il fallait bien ouvrir sur une page blanche, bouclant la boucle pour finir non pas sur sa disparition mais sur son apparition, avec une rencontre et tous les possibles du commencement. C’est bouleversé.e.s que nous ressortons de cet instant d’émotions vécu pour l’amour des mots, pour l’amour de l’amour et pour l’amour du théâtre.

 

Photos @Sandy-Korzekwa

(*) Cette pièce sera présentée au Théâtre de Nîmes les 6 et 7 octobre et au Domaine d’O les 11, 12 et 13 octobre.

La prochaine création du Collectif V.1« Tous nos ciels » (2022) traitera à nouveau un fait de société sur le ton intime pour raconter l’histoire des 2000 enfants réunionnais.e déporté.e.s par les autorités françaises en métropole, notamment dans le département de la Creuse, déserté par l’exode rurale. À travers un dispositif immersif, les trois comédiennes évolueront parmi l’audience afin de questionner notre rapport à l’identité, à l’héritage culturel avec la résilience en filigrane.

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